S. 271 / Nr. 55 Banken und Sparkassen (f)
BGE 62 I 271
55. Arrêt du 1er avril 1936 dans la cause Société Générale pour l'Industrie
électrique contre Commission fédérale des Banques.
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Regeste:
Loi fédérale sur les banques et les Caisses d'épargne (art. 1).
Société financière à caractère bancaire (et non industriel ou commercial),
faisant appel au public pour obtenir des dépôts de fonds.
Notion du «caractère industriel» (consid. 2).
Notion du «caractère bancaire» (consid. 3).
Notion de l'appel au public pour obtenir des dépôts de fonds (consid. 4).
A. - Par acte notarié du 3 février 1927 a été fondée à Genève la «Banque
Générale pour l'Industrie électrique». Selon l'art. 3 de ses statuts, cette
société a pour but de procéder ou de participer, en Suisse et à l'étranger, à
toutes opérations financières et industrielles, mobilières ou immobilières et
plus spécialement à celles se rapportant à l'étude, la réalisation,
l'exploitation, la transformation d'entreprises industrielles ou commerciales
exerçant leur activité dans le domaine de l'électricité et de ses
applications. La Société ne fait pas appel à des dépôts du public.
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En 1931, la «Banque Générale pour l'Industrie électrique» a fusionné avec la
«Société franco-suisse pour l'industrie électrique». Ultérieurement, elle a
changé sa raison sociale en celle de «Société Générale pour l'Industrie
électrique».
Le capital-actions actuel est de 30 millions de francs.
La Société ne possède pas de guichets accessibles au public; elle n'a pas de
clientèle, et n'accepte aucun dépôt du public. En revanche, elle finance des
entreprises industrielles de la branche électrique.
Elle a émis en 1931 un emprunt par obligations de 10 millions de francs, qui a
été souscrit ferme par un syndicat de banques et a été placé par elles dans le
public.
A l'actif de son bilan au 30 juin 1935, figurent les postes ci-après:
Actif:
Titres et participations Fr. 17810682.45
Débiteurs divers Fr. 27168194.99
Caisses et banques Fr. 5821865.02
Provisions d'actions Société générale en vue de l'échange contre
actions Société franco -suisse
Fr. 3893600. -
Somme du bilan Fr. 54694342.46
B. - Dans sa séance du 9 septembre 1935, la Commission fédérale des banques
(CFB) a décidé de soumettre la «Société Générale pour l'Industrie électrique»
à la loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d'épargne
(LFB).
C. - Par acte déposé en temps utile, ladite société a formé un recours de
droit administratif, en concluant à ce qu'il plaise au Tribunal fédéral
annuler la décision d'assujettissement prise par la CFB, et dire que la
recourante est une société financière à caractère industriel ou commercial et,
comme telle, n'est pas soumise à la loi fédérale
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sur les banques et les caisses d'épargne. Subsidiairement, elle conclut à ce
qu'il plaise au Tribunal fédéral prononcer que la recourante peut tout au plus
être considérée comme une société financière à caractère bancaire, ne faisant
pas appel au public pour obtenir des dépôts de fonds, et qu'en conséquence,
elle n'est soumise qu'aux art. 7 et 8 de la loi.
Les faits qu'elle allègue et les moyens qu'elle invoque à l'appui de ces
conclusions seront exposés, en tant que de besoin, dans les motifs du présent
arrêt.
D. - La CFB conclut au rejet du recours et à la confirmation de sa décision.
Considérant en droit:
1.- Ainsi qu'il est prescrit en son article 1 , alin. 1, la loi fédérale du 8
novembre 1934 sur les Banques et les caisses d'épargne (LFB) s'applique aux
banques, etc., ainsi qu'aux sociétés financières à caractère bancaire, qui
font appel au public pour obtenir des dépôts de fonds. En revanche, selon
l'art. 1, al. 2 litt. b, les sociétés financières à caractère industriel ou
commercial n'y sont pas assujetties.
En l'espèce, il est incontesté et incontestable que la recourante est une
société financière. Les questions présentement litigieuses sont de savoir: a)
s'il s'agit d'une entreprise à caractère bancaire ou à caractère industriel,
b) si elle «fait appel au public pour obtenir des dépôts de fonds».
2.- La recourante prétend qu'elle a avant tout un caractère industriel. Et, de
fait, son personnel directeur comprend plusieurs techniciens, qui ont souvent
participé aux travaux de mise sur pied des usines dans lesquelles elle a des
intérêts. Toutefois il apparaît nettement que ces usines, une fois fondées,
ont leurs directions propres et que, si les ingénieurs de la Société Générale
pour l'Industrie électrique continuent à leur donner, à l'occasion, des avis
et des consultations, ils n'en restent pas moins en dehors
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de ces entreprises, auxquelles ils ne pourraient guère d'ailleurs collaborer
directement, étant donnée leur nationalité.
Au fur et à mesure que lesdites entreprises commencent à vivre de leur propre
vie, les intérêts que la recourante conserve dans leurs affaires deviennent de
plus en plus financiers et de moins en moins industriels.
Elle a de grosses participations dans ces différentes sociétés. La recourante
y insiste, en soutenant que ces participations ne constituent pas des
placements mais des «financements» . Elle prétend conserver la haute main sur
les entreprises en question, en s'assurant la majorité dans l'assemblée des
actionnaires, ce qui lui permettrait d'exercer une influence efficace et même
un contrôle décisif sur la marche industrielle et commerciale des sociétés
ainsi financées par elle...
Mais, l'argument tiré d'un prétendu contrôle de la recourante sur lesdites
sociétés est loin d'être entièrement fondé. En effet, la Société Générale pour
l'Industrie électrique a perdu la majorité dans un certain nombre de ces
entreprises et non des moindres...
En résumé, les principales entreprises financées par la recourante ont un
développement qui déborde ses possibilités financières, comme société de
contrôle. Dans ces conditions, ses participations aux dites entreprises
n'apparaissent plus comme la manifestation d'une activité industrielle
proprement dite, ayant pour but et pour objet l'exploitation d'usines
électriques et la vente de l'énergie produite par elles. Ces participations ne
constituent plus que des placements, comme peut en faire n'importe quelle
société financière, avec cette seule particularité qu'à l'aide de son
personnel d'ingénieurs, la recourante est en mesure de juger constamment la
valeur et le rendement desdites entreprises et, par là, sera à même de vendre
ses actions au moment le plus opportun, ce qui est le propre d'un capitaliste
avisé.
A cela s'ajoute le fait que la Société Générale pour l'Industrie électrique a
immobilisé plusieurs millions dans
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des affaires qu'elle qualifie elle -même de «placements», et dont la caractère
«transitoire» n'est que partiellement apparent (Entreprises de grands travaux
hydrauliques, à Paris, Société hydro-électrique de la Cure, à Paris, Usines F.
Chaux, à Paris, etc., etc.).
Ces nombreux et importants placements montrent que le caractère financier des
opérations de la recourante l'emporte - aujourd'hui sur le caractère
industriel. Une de ses opérations est d'ailleurs caractéristique à cet égard;
c'est celle que la Société Générale pour l'Industrie électrique a faite à
propos de la Société Hydro-électrique D., achetant et vendant les titres de
l'entreprise financée, avant et après la construction de l'usine, de sorte que
le véritable motif de l'opération paraît avoir été le profit réalisé sur la
différence des cours.
3.- Les considérations qui précèdent permettant de dire que la recourante
n'est pas une société financière à caractère industriel, dans le sens de
l'art. 1 al. 2 litt . b LFB, il y a lieu d'examiner si elle possède le
caractère «bancaire» dont il est question sous la lettre a) du même alinéa.
Cette question appelle les observations ci-après:
La caractéristique d'une banque, c'est de faire le commerce de l'argent,
c'est-à-dire de réaliser professionnellement et sur une vaste échelle, la
mobilisation des capitaux, en se faisant bailler des fonds par les
capitalistes et épargnants pour ouvrir à son tour des crédits à des tiers et
réaliser un bénéfice sur la différence entre les intérêts passifs, dont elle
est débitrice, et les intérêts actifs, dont elle est créancière. Il n'y a de
réserve à faire à cet égard qu'en ce qui concerne certaines banques privées
qui pourraient n'opérer qu'avec les fonds de leur propriétaire (Bull. 1934 C.
E. p. 210). Mais cette réserve ne modifie pas les considérations qui
précèdent, relatives aux traits essentiels des banques en général, et
reconnaissables dans toute entreprise qui fait le commerce de l'argent, tel
qu'on vient de le décrire, sauf si ces opérations ne constituent qu'une
fonction d'un organisme plus vaste, commercial ou industriel
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(art. 1 al. 2 litt. b), ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ainsi qu'il
résulte des développements sous no 2 ci-dessus.
La définition qui précède correspond à la nature même des établissements dont
il s'agit. Elle est conforme à l'opinion du législateur, telle qu'elle a été
exposée dans le message du Conseil fédéral et devant les Chambres fédérales
(FF. 1934 I p. 183/184; Bull. 1934 C. E. p. 209 sq.; C. N. p. 635 sq.).
La nature des créances que les bailleurs de fonds possèdent contre
l'établissement n'est pas un élément caractéristique des opérations bancaires.
Comme il sera démontré sous le no 4 ci -dessous, on est en présence d'une
banque ou d'une entreprise à caractère bancaire, lors même que les fonds reçus
par elle lui ont été baillés à un autre titre qu'en vertu d'un dépôt bancaire
(depositum irregulare) au sens strict de ce terme.
En l'espèce, comme on l'a relevé sous no 1 ci-dessus, la recourante est une
société financière qui fait des placements dans diverses entreprises
électriques. Elle les fait au moyen de fonds qu'elle s'est procurés en grande
partie par l'emprunt. Dans ces conditions, il n'est pas possible de nier que
la Société Générale pour l'Industrie électrique possède le caractère bancaire
dont il est parlé à l'art. 1 al. 2 litt . a LFB.
4.- Il reste à examiner si la recourante fait «appel au public». Elle le
conteste et observe, à cet égard, qu'elle ne possède pas de guichets, pas même
de locaux à elle, qu'elle n'accepte pas de dépôts et n'a pas de clientèle.
Mais, comme la CFB l'a justement remarqué, ces faits sont sans pertinence. En
effet, la notion de l'appel au public a été précisée en ces termes par le
règlement d'exécution du Conseil fédéral (art. 3): «Les banquiers privés ou
les sociétés financières à caractère bancaire sont réputés faire appel au
public ... lorsque, soit par la presse, par circulaires adressées à des tiers
autres que leurs clients, ou par d'autres moyens de réclame, ils portent à la
connaissance du public, dans leurs vitrines ou en dehors de leurs propres
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locaux, qu'ils acceptent des dépôts de fonds». L'existence de bureaux,
comptoirs, etc., où le personnel de l'établissement reçoit lui-même les
versements ou les souscriptions n'est donc pas indispensable (cf. ROSSY et
REINMANN, p. 12, n. 1).
D'autre part, l'appel au public ne doit pas forcément tendre à obtenir des
dépôts dans le sens restreint où on l'entend généralement dans le langage
bancaire (versements faits à l'établissement contre l'ouverture d'un compte
-courant, la remise d'un certificat de dépôt, d'un carnet d'épargne, etc.). A
vrai dire, la loi parle bien de «dépôts de fonds». Mais, il est couramment
admis que ces termes - qui ne correspondent d'ailleurs pas exactement au texte
allemand - ne doivent pas être pris dans un sens étroit, mais dans un sens
large. C'est ainsi que dans leur commentaire de la loi (n. 1 ad art. 1), Rossy
et Reinmann écrivent: «Cet article vise les dépôts de fonds sous n'importe
quelle forme, soit aussi bien les dépôts en compte -courant que les dépôts à
terme fixe et ceux confiés à la banque en échange d'un bon de caisse ou d'une
obligation d'un emprunt émis pour le compte de la banque» (cf. Circ. de la
CFB, 9 sept. 1935: FF. 1935 II p. 427, 428).
Fait donc appel au public, au sens de l'art. 1 de la loi, la société
financière qui, pour se procurer les fonds nécessaires à ses opérations de
placements, émet un emprunt par obligations, auquel n'importe qui peut
souscrire.
En fait, la Société Générale pour l'Industrie électrique a émis, en 1931, un
emprunt par obligations au montant de 10 millions de francs. Elle conteste
bien que cette émission constituât un appel au public, parce qu'elle aurait
été entièrement souscrite par une banque. Mais, comme le Tribunal fédéral l'a
déjà relevé dans son arrêt de ce jour en la cause Motor Columbus, cette
considération n'est nullement décisive. Les obligations de la recourante sont
faites pour circuler, c'est-à-dire pour être placées dans le public. Il est
conforme à l'esprit de la loi que les obligataires, attirés par les appels des
banquiers souscripteurs, bénéficient de la protection légale, comme s'ils
avaient été
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attirés par les procédés de réclame de l'émetteur lui-même. Si tel n'était pas
le cas, il serait trop aisé aux sociétés financières d'éluder la loi, en se
dissimulant derrière une banque chargée de placer leurs emprunts dans le
public.
L'émission de 1931 constitue donc bien un appel au public, faisant tomber la
Société Générale pour l'Industrie électrique sous le coup de l'art. 1 al. 2
litt . a LFB.
La recourante observe, il est vrai, qu'elle a déjà amorti une partie de cet
emprunt par le rachat et l'annulation de ses titres. D'autre part, ledit
emprunt aurait eu quelque chose d'exceptionnel qui excluait, de la part de la
recourante, l'habitude de solliciter le crédit public pour l'apport de fonds.
Le Tribunal fédéral ne saurait partager cette manière de voir.
La recourante reconnaît elle-même qu'il serait absurde de n'assujettir les
sociétés financières à la loi que pendant la durée d'une souscription
d'obligations. Car c'est surtout une fois la souscription terminée qu'il
devient nécessaire de surveiller l'établissement pour l'empêcher de dilapider
les fonds qui lui ont été confiés. La même considération suffit à démontrer
que l'assujettissement à la loi ne doit pas dépendre du caractère plus ou
moins habituel des appels au public. Il suffit qu'une société financière ait
procédé une fois à un appel de ce genre, et qu'elle convertisse les capitaux
ainsi obtenus dans des placements divers, pour justifier l'assujettissement;
en revanche celui-ci deviendra inutile et pourra prendre fin dès le jour où la
société aura intégralement remboursé ses souscripteurs et ne fera plus
d'opérations qu'avec ses propres capitaux ou avec des fonds obtenus par
d'autres moyens que l'appel au public.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est rejeté et la décision attaquée entièrement confirmée.