S. 188 / Nr. 28 Handels- und Gewerbefreiheit (f)

BGE 60 I 188

28. Arrêt du 18 juillet 1934 dans la cause Ch. Petitpierre S. A. et consorts
contre Conseil d'Etat du Canton de Vaud.


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Regeste:
L'art. 31 CF ne s'oppose pas à ce que la vente de denrées au moyen d'appareils
automatiques soit frappée de taxes spéciales, mais ces taxes ne doivent pas
avoir un caractère prohibitif, c'est-à-dire elles ne doivent pas rendre
pratiquement impossible ce genre de vente. Une taxe modérée peut toutefois
être prélevée même si le rendement des appareils est insuffisant. Dans les
circonstances actuelles, la charge fiscale de 23 fr. 50 grevant dans le canton
de Vaud les distributeurs de chocolat «Toblerone», a un caractère prohibitif
incompatible avec l'art. 31 CF. Cette charge ne doit pas dépasser 13 fr. 50 au
total lorsque le rendement des appareils est insuffisant.

Résumé des faits.
A. - L'art. 62 de la loi vaudoise du 7 décembre 1920 sur la police du commerce
assujettit à l'obligation de se pourvoir d'une patente annuelle «les
propriétaires de distributeurs et appareils automatiques, mis à la disposition
du public contre finance, sur la voie publique ou à l'intérieur des
établissements publics».
Le prix de la patente est fixé entre 10 fr. et 500 fr. et déterminé pour les
différentes catégories par un règlement du Conseil d'Etat (art. 42). Aux
termes de l'art. 59, les autorités communales ont également le droit de
percevoir une taxe dont le montant ne doit toutefois pas dépasser celui qui a
été perçu par l'Etat.
Le règlement d'exécution du 31 décembre 1920 a fixé comme il suit les taxes
annuelles dues à l'Etat pour les distributeurs de chocolat, confiserie, tabac,
etc.: taxe 20 fr., timbre 1 fr., émolument 1 fr.

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Par arrêté du 25 novembre 1929, le Conseil d'Etat a modifié ces chiffres en
prévoyant pour la taxe un minimum de 10 fr. et un maximum de 20 fr. et en
portant le timbre à 2 fr.; l'émolument restait le même.
B. - Les maisons Ch. Petitpierre S. A., F. Baumann et W. Thurnheer ont placé
devant les magasins qu'elles exploitent à Lausanne des appareils automatiques
qui, moyennant versement de 20 cts, distribuent une tablette de chocolat
«Toblerone». Pour l'année 1933, chacune de ces maisons dut payer les droits
suivants pour chaque appareil:
a) à l'Etat de Vaud:
taxe Fr. 10.--
émolument et timbre. » 3.-- Fr. 13.--
b) à la Ville de Lausanne:
taxe Fr. 10.--
visa » 0.50 Fr. 10.50
Fr. 23.50
Au début de l'année 1934, les trois maisons susmentionnées ont sollicité du
Département cantonal de justice et police la suppression ou une réduction
considérable de la taxe. Elles faisaient valoir qu'en 1933 le bénéfice brut
réalisé au moyen des appareils automatiques n'avait même pas suffi à payer les
taxes cantonales et communales qui grevaient ces appareils.
C. - Par décisions des 9 et 22 janvier 1934, le Département cantonal de
justice et police a rejeté ces requêtes.
Sur recours des intéressés, ces décisions ont été confirmées par le Conseil
d'Etat du Canton de Vaud, par le motif que la taxe appliquée était déjà au
minimum prévu par la loi et qu'une diminution ultérieure ne pourrait être
accordée que si le Grand Conseil modifiait les dispositions légales en
vigueur.
D. - Les maisons Ch. Petitpierre S. A., F. Baumann et W. Thurnheer ont formé
en temps utile un recours de droit public tendant à ce que le Tribunal fédéral
annule la décision du Conseil d'Etat. Les recourantes

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exposent que le bénéfice brut réalisé par elles sur les appareils
distributeurs n'est que de 4 centimes, représentés par la différence entre le
prix d'achat (16 cts) et le prix de vente (20 cts) des tablettes de chocolat
Toblerone. Au cours de ces dernières années, ce bénéfice brut a été inférieur
au montant des taxes. Dans les circonstances actuelles, les recourants ne
peuvent pas réaliser un bénéfice plus élevé, en particulier un bénéfice qui
serait en proportion avec les charges fiscales dont ils sont grevés. Les prix
de vente leur sont en effet imposés par le vendeur. Les taxes qui grèvent les
appareils automatiques dans le Canton de Vaud ont donc un caractère
prohibitif; ce caractère ressort notamment du fait que, des 36 appareils
placés dans le canton, 3 seulement ont réalisé en 1933 un bénéfice brut
dépassant 25 fr. Dans la dite année, le bénéfice brut moyen par appareil
distributeur a été dans le canton de 13 fr. 40. Aussi trois commerçants
ont-ils renoncé à se servir de l'appareil distributeur.
E. - Le Conseil d'Etat du Canton de Vaud conclut au rejet du recours. Il ne
conteste pas les faits allégués par les recourants, en faisant toutefois
observer que ces derniers n'ont pas mentionné l'escompte de 3% accordé par la
maison Tobler à ses clients sur le prix d'achat des tablettes.
Considérant en droit:
l. - L'art. 31 litt. e CF réserve aux cantons le droit de frapper l'exercice
des professions commerciales et industrielles d'impôts spéciaux, qui ne
doivent toutefois pas porter atteinte au principe de la liberté du commerce et
de l'industrie.
En ce qui concerne plus particulièrement la vente de denrées au moyen
d'appareils automatiques, il est de jurisprudence constante (cf. SALIS, vol.
II n. 898, BURCKHARDT 3e éd. p. 248, les arrêts non publiés Tobler c. Fribourg
du 19 septembre 1930, et Hauert c. Neuchâtel du

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9 février 1934) qu'en principe l'imposition de ce genre d'activité commerciale
n'est pas incompatible avec la liberté du commerce. Elle peut se justifier,
d'une part, en raison des abus, rendant nécessaire un certain contrôle de
l'autorité, auxquels se prête ce mode de vente et, de l'autre, parce que ces
ventes échappent aux inconvénients de la réglementation des heures d'ouverture
et de fermeture des magasins édictée par l'Etat dans l'intérêt public, et
jouissent ainsi, à certains égards, d'un privilège.
Il ne reste donc qu'à rechercher si, en l'espèce, l'imposition, licite en
principe, des appareils distributeurs de chocolat «Toblerone» est
inconstitutionnelle en raison de ses modalités d'application. D'après la
jurisprudence, tel est notamment le cas si les taxes perçues ont un caractère
prohibitif, c'est-à-dire si leur montant rend, d'une manière générale et non
seulement dans un cas isolé, pratiquement impossible l'exploitation normale du
genre de commerce qu'elles grèvent.
2.- Dans le cas particulier, l'autorité vaudoise a considéré comme
propriétaires des appareils distributeurs assujettis à la taxe, non pas la
Fabrique de chocolat Tobler, mais les commerçants de détail auxquels cette
fabrique confie les appareils. Le point de savoir si les taxes perçues ont un
caractère prohibitif doit par conséquent être tranché en tenant compte
uniquement du gain réalisé par ces commerçants au moyen des appareils.
3.- Dans le Canton de Vaud, les appareils distributeurs de chocolat sont
soumis par l'Etat à une charge fiscale de 13 fr. (10 fr. de taxe et 3 fr. de
timbre et émolument). Les communes étant de leur côté autorisées à percevoir
une taxe de 10 fr. (plus 50 cts pour le visa), le montant total de
l'imposition peut donc atteindre 23 fr. 50 si la commune fait usage de son
droit. Le bénéfice brut réalisé par le détaillant sur la vente d'une tablette
Toblerone étant de 4 cts, ce dernier doit donc vendre environ 590 tablettes
(2350: 4 = 587) pour pouvoir payer ces taxes avec le produit de l'appareil. Or
il résulte

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des indications non contestées fournies par les recourants que le chiffre
moyen de vente des 36 distributeurs de chocolat Toblerone installés dans le
Canton de Vaud en 1933 n'a été que de 335 tablettes par appareil,
correspondant à un bénéfice brut moyen de 13 fr. 40. Aucun des recourants n'a
atteint en 1933 le chiffre de 590 tablettes correspondant à un bénéfice brut
de 23 fr. 50, lequel n'a été dépassé dans tout le canton que par quatre
appareils. Ce bénéfice a, il est vrai, été calculé sans tenir compte de
l'escompte de 3% accordé par le vendeur pour les achats au comptant, mais
l'omission de cet avantage modeste, qui représente à peine ½ ct. par tablette,
ne saurait être reprochée aux recourants, étant donné qu'ils ont renoncé
d'autre part à faire figurer parmi les charges la perte d'intérêt résultant de
ce que les marchandises payées comptant ne sont pas vendues immédiatement.
Dans ces conditions, et tant que les circonstances actuelles subsistent, il
n'est pas douteux qu'une charge fiscale annuelle de 23 fr. 50 par appareil
distributeur a un caractère nettement prohibitif non seulement à l'égard des
recourants, mais, d'une manière générale, pour la grande majorité des
détaillants possesseurs d'appareils distributeurs de chocolat «Toblerone».
Cette charge apparaît partant incompatible avec l'art. 31 CF.
4.- Il ne suit toutefois pas de cette constatation que les recourants doivent
être dispensés de toute taxe pour leurs appareils distributeurs.
D'après la jurisprudence (cf. VON SALIS II n. 898, FF 1902 IV 531 et l'arrêt
non publié Zwahlen du 30 janvier 1931, p. 11/12), une exploitation
industrielle ou commerciale peut en effet être assujettie à un impôt modéré
même si son rendement est déficitaire.
Dans une décision de l'année 1902, le Conseil fédéral a admis qu'une taxe de
15 fr. 30 (12 fr. pour le canton, 2 fr. pour la commune, 1 fr. 30 pour le
timbre) perçue par le Canton de Fribourg sur des appareils automatiques était
compatible avec l'art. 31 CF.

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Si l'on se base sur ce chiffre en tenant compte d'une part de ce que,
contrairement à ce qui est le cas en l'espèce, il s'agissait alors d'appareils
destinés à vendre plusieurs marchandises et placés à des endroits
particulièrement favorables pour ce genre de commerce (les gares) et, d'autre
part, de la dépréciation de l'argent intervenue depuis cette époque, il faut
admettre que le chiffre de 10 fr., auquel il y a lieu d'ajouter 3 fr. 50 pour
le timbre, l'émolument et le visa, représente le montant maximum auquel peut
être fixée la taxe pour les appareils distributeurs qui, comme ceux des
recourants, n'ont qu'un rendement déficitaire ou insuffisant.
Pour l'année 1934, le Conseil d'Etat devra par conséquent fixer la taxe
prélevée sur les appareils distributeurs des recourants de telle manière que
le total, y compris la taxe communale, le timbre, l'émolument et le visa, ne
dépasse pas 13 fr. 50. Si la commune ne renonce pas à percevoir sa taxe, il
devra donc fixer le montant de l'impôt cantonal à un chiffre inférieur au
minimum prévu par l'article 42 de la loi sur la police du commerce, lequel ne
le lie pas en tant qu'il est contraire à l'art. 31 CF.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est admis dans le sens des considérants et les décisions prises le
5 et le 27 février 1934 par le Conseil d'Etat du Canton de Vaud sont annulées.