S. 207 / Nr. 35 Markenschutz (f)

BGE 59 II 207

35. Arrêt de la l re section civile du 29 mars 1933 dans la cause Tavannes
Watch CO, S. A., contre Favret.

Regeste:
Marques de fabrique. - Les raisons de commerce ne peuvent servir de marques
que si elles sort originales. Tel n'est pas le cas en principe de la
désignation pure et simple du genre ou du siège des affaires. cette règle
comporte une exception lorsqu'une marque dépourvue théoriquement de valeur

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distinctive acquiert par un long usage une signification spéciale et, de fait,
s'avère propre à individualiser les produits d'une maison déterminée. Il en
est ainsi de la marque Tavannes Watch Co. (Consid 1).
La marque «Favret Watch Tavannes» prête à confusion avec la marque «Tavannes
Watch C°» (Consid. 2).
L'antériorité d'usage prime l'antériorité d'inscription (Consid 2).

A. - En 1891, Henri Sandoz père installa une fabrique d'horlogerie dans le
village de Tavannes (Jura bernois), dont il utilisa le nom comme marque. A
cette époque, il n'y avait pas d'autre manufacture d'horlogerie à Tavannes.
En 1895, Sandoz céda son entreprise à la Société anonyme «Tavannes Watch C°»
(capital 2500000 francs, siège Tavannes). Elle a été inscrite au Registre du
Commerce de Moutier le 3 octobre 1895. La publication eut lieu dans la Feuille
officielle du Commerce le 19 octobre de la même année. Le but de la Société
est de fabriquer et de vendre de l'horlogerie et tout ce qui s'y rapporte.
Sous la direction d'Henri Sandoz, la manufacture prit un rapide essor et un
développement très grand. Au début, elle fabriquait 40 montres par jour; en
1930, 4000. Les bâtiments de l'entreprise couvrent aujourd'hui une superficie
d'environ 22000 m2 et les établis représentent à Tavannes seulement une
longueur de quatre kilomètres et demi.
La Tavannes Watch C° et sa maison de vente, Schwob Frères & Cie, à La
Chaux-de-Fonds, ont dépensé depuis 1895 des sommes considérables pour faire
connaître les montres «Tavannes». Durant la dernière décennie, la réclame
faite par Schwob Frères & Cie a coûté plus de deux millions de francs et celle
des agents à l'étranger encore bien davantage. Aussi la Tavannes Watch C° est
connue dans le monde entier, et le nom de «Tavannès» s'est peu à peu identifié
dans le commerce horloger avec l'entreprise du Jura bernois et ses produits. A
l'étranger, on ignore même que Tavannes est le nom d'un village.
La Société a fait enregistrer en Suisse plusieurs marques renfermant le mot
«Tavannes»:

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le 20 novembre 1895, «Tavannes Watch C°», sous no 7897 (actuellement no
74375);
à la même date, «La Tavannes», sous no 7895 (actuellement no 37684);
le 3 octobre 1903, «Tavannes Watch», sous no 16425 (actuellement no 55301);
le 17 mars 1921, «Tavannes», sous no 49161;
le 22 février 1930, «Tavannes» (enregistrée en Allemagne le 4 août 1931).
Indépendamment de leur inscription en Suisse et au Bureau international de la
propriété intellectuelle, les marques ont été enregistrées dans un grand
nombre de pays en Europe et hors d'Europe.
B. - Onésime Favret a été pendant de longues années ouvrier puis chef
d'atelier à la Tavannes Watch C°. Il fut congédié en 1920. En 1928, il
s'installa à Tavannes comme fabricant d'horlogerie et déposa le 1er juin, sous
no 67347, la marque «Favret Watch Tavannes».
La Tavannes Watch C° protesta immédiatement et invita Favret le 27 juin 1928 à
renoncer à sa marque qui prêtait à confusion avec celles qu'elle avait
déposées. Favret refusa en faisant valoir que Tavannes étant son lieu
d'origine et de domicile, il avait le droit d'employer ce mot comme raison
sociale et comme marque de fabrique.
Des confusions se sont effectivement produites.
C. - Le 15 mars 1932, la Tavannes Watch C° intenta action contre Favret pour
faire ordonner par le Tribunal de Commerce du Canton de Berne la radiation de
la marque «Favret Watch» no 67347 déposée le 1er juin 1928 et faire condamner
le défendeur à 10000 francs de dommages-intérêts, avec intérêts à 5% dès le 13
novembre 1931.
A l'appui de ces conclusions, la demanderesse fait valoir en résumé ce qui
suit:
La marque du défendeur a provoqué des confusions en Suisse, à plus forte
raison ce risque existe-t-il pour l'étranger. Les trois mots Watch, C° et
Tavannes ont été repris par Favret; l'adjonction de son nom ne suffit pas

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pour différencier la marque; il a d'ailleurs rendu plus facile la confusion en
faisant graver «Tavannes» en gros caractères et les autres mots en petits
caractères peu lisibles. Le défendeur a non seulement imité les marques de la
demanderesse, il lui a fait une concurrence déloyale, allant jusqu'à prêter sa
marque à d'autres fabricants. Ce qui aggrave encore son cas, c'est qu'il
appose la marque imitée sur des produits de qualité inférieure.
D. - Le défendeur a conclu au rejet de la demande. Il est d'usage, dit-il,
dans l'industrie horlogère d'utiliser comme marque le mot «Watch» en le
faisant précéder du nom de la localité où se trouve le siège de l'entreprise
(«Tavannes Watch C°»), «Watch C°», «Cortébert Watch C°», «Fleurier Watch C°»,
etc.). Il s'agit d'une indication de provenance et l'on ne saurait contester
au défendeur le droit de choisir comme marque son nom suivi du mot «Watch»,
communément employé et de l'indication du lieu dont il est originaire et où il
habite. La marque «Tavannes» de la demanderesse a été déposée après celle du
défendeur. Il n'y a pas de risque réel de confusion. Dans la marque du
défendeur le mot «Tavannes» figure au-dessous des mots «Favret Watch»; la
demanderesse dispose les éléments de sa marque sur une seule ligne. Aucun acte
de concurrence déloyale ne peut être reproché à Favret: ses produits sont de
qualité; les mouvements et la forme de ses montres diffèrent complètement de
ceux de la demanderesse.
E. - Le Tribunal de Commerce, admettant la demande, a prononcé la nullité et
ordonné la radiation de la marque «Favret Watch Tavannes», no 67347 du
défendeur, condamné celui-ci à payer à la demanderesse 1000 francs de
dommages-intérêts avec intérêts à 5% dès le 1er novembre 1931 et mis à la
charge de Favret les frais et dépens du procès. Les motifs essentiels de ce
prononcé seront indiqués dans les considérants juridiques du présent arrêt.
F. - Les deux parties ont recouru contre ce jugement au Tribunal fédéral, en
reprenant chacune ses conclusions

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originaires et en concluant au rejet du recours de la partie adverse.
Considérant en droit:
1. L'action de la demanderesse se fonde principalement sur la loi concernant
la protection des marques de fabrique et subsidiairement sur l'art. 48
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag
OR Art. 48
CO.
Il est constant que la raison sociale «Tavannes Watch C°» est inscrite au
registre du commerce depuis le 9 octobre 1895 et que, dès cette date, la
demanderesse l'a utilisée de façon ininterrompue comme telle et comme marque.
Les conditions de forme exigées pour la protection de cette marque sont donc
réalisées aux termes de l'art. 1er al. 1er et l'art. 2 LM, indépendamment même
de l'inscription au registre des marques (RO 43 II p. 97 et CORNU: De la
protection des marques de fabriques p. 5). Le Tribunal de commerce l'a reconnu
et il suffit de se référer sur ce point aux motifs de son jugement.
Le juge ne s'en est d'ailleurs pas tenu à cette constatation; il a eu raison
d'examiner si, en soi, les mots «Tavannes Watch C°» peuvent constituer
valablement une marque d'après les principes régissant cette matière. Les
raisons de commerce employées comme marques ne bénéficient pas d'un privilège
quant à leur choix et leur composition. Soumises aux mêmes conditions que les
autres marques (cf. l'arrêt cité), elles ne jouissent de la protection légale
que si elles sont originales et propres par conséquent à individualiser les
produits d'un fabricant ou commerçant et à les distinguer de ceux de ses
concurrents. Aussi bien, selon l'arrêt cité du Tribunal fédéral (p. 97 et 98)
si, «en tant que raison de commerce, la désignation pure et simple du genre ou
du siège des affaires ne peut être l'objet d'un droit individuel exclusif et
doit pouvoir être employée (comme raison) par n'importe quelle maison établie
dans la même localité et faisant le même genre d'affaires... a fortiori en
est-il ainsi lorsque la raison est employée comme marque», signe distinctif
qui doit être empreint d'originalité.

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A s'en tenir à la lettre de ces considérants, la protection légale devrait
être refusée à la marque «Tavannes Watch C°», comme on l'a refusée à la marque
«Geneva Watch C°»: le mot «Tavannes» désigne la localité où la société a son
siège et sa fabrique, le mot «watch», qui signifie: montre, indique le genre
des affaires, et l'adjonction «C°» est l'abréviation anglaise habituelle du
mot «compagnie». En principe, pareilles désignations ne doivent pas être
monopolisées (cf. l'arrêt cité p. 97 et RO 40 II p. 607)
Mais, du fait que chacun de ces trois mots appartient au domaine public et n'a
aucun caractère distinctif, il ne suit pas nécessairement que, par exception,
vu les circonstances particulières de l'espèce, la protection ne puisse point
être accordée à la marque «Tavannes Watch C°».
L'arrêt du Tribunal fédéral du 5 novembre 1929 en la cause A. Romary & C° Ltd
(RO 55 I p. 262 et sv) a tempéré la rigueur de la jurisprudence qu'on vient de
rappeler. Bien que rendu en matière administrative et dans le domaine
international, il énonce des principes qui gardent toute leur valeur pour
l'application du droit interne, car les motifs qui, aux termes de la loi
fédérale, justifient le refus de protection légale sont essentiellement les
mêmes que les motifs prévus par l'art. 6 al. 2, ch. 2 de la convention
internationale (RO 55 1 I,. 272, 55 II p. 64 et suiv. et 151 et sv.).
De même qu'une désignation originale peut devenir générique au cours des
années et tomber dans le domaine public, de même il arrive qu'une marque,
dépourvue théoriquement de valeur distinctive, acquière par un long usage une
signification spéciale et devienne propre à individualiser les produits d'une
maison déterminée. C'est ce que le Tribunal fédéral a admis pour le nom de la
localité anglaise Tunbridge Wells, employé comme marque et dont un long usage
a fait la désignation particulière des biscuits fabriqués et mis dans le
commerce par la Société A. Romary & C° Ltd. et non par d'autres maisons de
Tunbridge Wells.

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Le processus a été semblable dans la présente espèce. Pendant environ 35 ans,
la Tavannes Watch C° a été la seule fabrique importante d'horlogerie de la
localité. Elle a joui d'un monopole de fait. Le mot «Tavannes» ne constitue
d'ailleurs pas une indication de provenance selon l'art. 18 LM. Car,
contrairement à ce qui est le cas pour Genève, ce n'est pas la localité de
Tavannes - le juge du fait l'établit de manière à lier le Tribunal fédéral -
qui donne en général son nom ou sa renommée aux produits horlogers provenant
de cet endroit. Il s'agit d'une localité relativement petite dont l'existence
est généralement ignorée à l'étranger. Ce sont les montres manufacturées par
la société demanderesse et vendues dans le monde entier qui ont fait connaître
au loin le nom de Tavannes comme désignant non un village, mais une fabrique
déterminée et ses produits. Cette identification a été d'autant plus effective
que le placement de la marchandise est assuré par la maison Schwob Frères à La
Chaux-de-Fonds et non directement par la fabrique de Tavannes. Le Tribunal de
commerce constate en fait que, «dans le monde horloger, le mot «Tavannes» est
devenu pour ainsi dire le synonyme de la manufacture d'horlogerie de la
demanderesse» et que «ce nom s'identifie avec sa montre et ses produits
horlogers; on dit couramment: c'est une «Tavannes» pour désigner une montre de
la demanderesse».
Il est donc établi que, sur le marché horloger, en Suisse et notamment à
l'étranger, «Tavannes» n'appartient pas au domaine public, mais sert à
désigner et s'avère propre à individualiser les produits de la demanderesse.
Aussi bien, malgré sa pratique rigoureuse, le Bureau fédéral de la propriété
intellectuelle a consenti en 1931) à enregistrer le mot «Tavannes» seul comme
marque distinctive des montres, parties de montres, etc., fabriquées et mises
dans le commerce par la Tavannes Watch C o S. A.

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La protection de la loi spéciale doit dès lors être accordée aux marques
déposées par la demanderesse et dont le mot Tavannes constitue l'élément
essentiel.
2.- De ces considérations, il suit d'emblée que la marque «Favret Watch
Tavannes» du défendeur ne peut coexister avec celle de la demanderesse; elle
est de nature à induire le public en erreur et tombe par conséquent sous le
coup de l'art. 24 LM. A cet égard, il convient de se référer aux motifs
convaincants du Tribunal de commerce. Contrairement aux conditions énoncées à
l'art. 6 LM, la marque du détendeur ne se distingue pas par des caractères
essentiels des marques de la demanderesse. Ce qui frappe l'oreille et la vue
et reste gravé dans la mémoire' ce n'est pas le nom de Eavret, ce sont les
mots «Watch Tavannes». connus dans le monde entier comme spécifiant, les
produits de la demanderesse avec lesquels la marque du défendeur est de nature
à créer une confusion. Le Tribunal de commerce relève avec raison que ce
danger est encore augmenté par le fait que, sur les cadrans et les mouvements
fabriqués par Favret, le mot «Tavannes» est mis en évidence. Et le défendeur a
même aggravé l'imitation en apposant sur certains produits l'abréviation «C°»
à laquelle il n'a pas droit.
Les objections du défendeur ont été réfutées par les premiers juges. Peu
importe que la marque «Favret Watch Tavannes» ait été enregistrée avant la
marque «Tavannes» constituée uniquement par ce mot. L'utilisation effective
crée seule le droit; l'antériorité d'usage prime l'antériorité d'inscription
(RO 47 II p. 360). Or, l'antériorité de l'emploi appartient à coup sûr à la
demanderesse.
Le juge a par conséquent ordonné à bon droit la radiation de la marque «Favret
Watch Tavannes» no 67347, déposée par le défendeur en 1928. L'admission du
moyen principal de la demande rend superflu l'examen du moyen subsidiaire. La
demande serait d'ailleurs également fondée par les motifs qui ont amené le
Tribunal fédéral à protéger la raison sociale «Schraubenfabrik Solothurn» (RO
40 II, p. 605 consid. 4).

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Quant aux dommages-intérêts, la demanderesse y a indubitablement droit en
principe. Les circonstances de la cause font apparaître comme équitable le
chiffre de 1000 francs fixé par les premiers juges, en sorte que le recours de
la demanderesse se révèle également mal fondé.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
rejette les deux recours et confirme le jugement attaqué.
Vgl. III. Teil Nr. 24 und 34. - Voir IIIe partie Nos 24 et 34.