S. 396 / Nr. 60 Erbrecht (f)

BGE 57 II 396

60. Arrêt de la IIme Section civile du 15 juillet 1931 dans la cause Héritiers
de Dame Claudine Pribiloff.


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Regeste:
Art. 87 OJF. - Le refus du juge de délivrer le certificat d'héritier et
d'ordonner la remise des biens constitue une décision rendue dans une «cause
civile», et cette décision, si elle émane de la dernière instance cantonale,
peut être attaquée par la voie du recours de droit civil, encore qu'elle
rentre dans le domaine de la procédure non-contentieuse. Différence entre la
notion de «cause civile» et celle de «contestation de droit civil».
Art. 22 de la loi fédérale du 25 juin 1891. - La succession d'une Russe dont
le dernier domicile était en Suisse est régie par le droit suisse. Les
héritiers légaux, dont la qualité n'est pas contestée, ont le droit d'obtenir
et la délivrance du certificat d'héritier et la remise des biens, même s'ils
sont domiciliés en Russie. La loi du 25 juin 1891 est étrangère à toute notion
de réciprocité. Le juge suisse n'a pas à se préoccuper du sort que pourront
avoir les biens après leur remise aux héritiers.

Résumé des faits:
A. - Dame Claudine Pribiloff, de nationalité russe, est décédée le 12
septembre 1921, à Bex. Elle était domiciliée à Montreux. Sa fortune s'élevait
à 141000 fr. environ. La plupart des parents, qui paraissaient habiter la
Russie, étant inconnus, l'autorité compétente a ordonné l'administration
officielle de la succession. Vers la fin de 1921, une des filles de la
défunte, Dame Riabouchinsky née Pribiloff, qui vit à Milan, s'est annoncée
comme héritière. En septembre 1928, d'autre part, l'Union de la Croix-Rouge et
du Croissant-Rouge à Moscou, disant agir au nom de Vladimir Pribiloff, s'est
adressée à l'avocat Rapp à Paris pour obtenir des renseignements sur la
succession. Quelque temps plus tard, Dame Sophie Makeef, née Pribiloff, fille
de la défunte, Anna Popoff et Alexandra

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Chachine, filles de feu Nicolas Pribiloff et petites-filles de la défunte,
Vladimir Pribiloff et Marie Sabinoff, fils et fille de feu Vladimir Pribiloff
et petit-fils et petite-fille de la défunte, ont adressé à l'avocat Rapp, par
l'intermédiaire du Bureau Consultatif pour le droit international du Collège
des défenseurs à Moscou, des procurations munies de leurs signatures
légalisées, à l'effet de les faire confirmer dans leurs droits à la succession
de leur mère et grand-mère et recueillir en leur nom les biens leur revenant.
Ils lui ont adressé également les actes d'état-civil justifiant de leur
filiation.
B. - Le Juge de paix du cercle de Montreux, admettant que dame Claudine
Pribiloff n'avait laissé aucune disposition de dernières volontés, a fait
dresser un certificat d'héritiers constatant la qualité d'héritiers légaux des
enfants et petits-enfants de la défunte.
Quelque temps plus tard, la Justice de paix du cercle de Montreux a approuvé
les comptes de l'administrateur d'office et ratifié un partage effectué le 4
mars 1930, en vertu duquel Dame Riabouchinsky avait reçu pour sa part 35777
fr. 35, les parts des autres héritiers restant en masse successorale sous la
surveillance de l'administrateur.
Statuant le 1er septembre 1930 sur la requête de l'avocat Rapp et sur celle
qui avait été présentée le 10 juillet 1930 par l'avocat de Muralt à Montreux
en qualité de mandataire substitué du premier et qui, de même, tendait à la
délivrance d'un certificat d'héritiers aux autres intéressés et à la remise en
mains de l'avocat de Muralt de la part de l'actif successoral revenant à
ceux-ci, la Justice de paix a décidé de refuser à l'administrateur d'office
«l'autorisation de remettre à Me Rapp, à destination des héritiers, les biens
de la succession de Dame Claudine Pribiloff».
C. - L'avocat de Muralt, au nom des héritiers représentés par lui et par
l'avocat Rapp, a recouru contre cette décision au Tribunal cantonal vaudois en
reprenant, en substance, ses conclusions.

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Par acte du 15 novembre 1930, portant les signatures légalisées de tous les
recourants et parvenu au Tribunal cantonal directement par la poste le 18 du
même mois, Dame Makeef et consorts ont confirmé leur recours et ont demandé au
Tribunal d'annuler la décision de la Justice de paix et d'ordonner la remise
de la succession à l'avocat Rapp.
En cours d'instance, les héritiers se sont encore enquis de l'état de
l'affaire par télégramme adressé au Tribunal.
D. - Par arrêt du 1er avril 1931, le Tribunal cantonal a admis le recours, en
tant qu'il visait à la rectification du nom de certains héritiers,
inexactement mentionnés dans le certificat, mais il l'a rejeté dans la mesure
où il tendait à la délivrance d'expéditions du certificat d'héritiers et à la
remise des biens aux recourants ou à leurs mandataires. En conséquence, il a
invité le Juge de paix à demander à l'administrateur de soumettre son compte
final et, une fois ce compte approuvé, à lever l'administration d'office et à
faire désigner par la Justice de paix un curateur chargé de gérer les parts
des héritiers. Les frais ont été mis à la charge de la succession.
Sur le fond, cet arrêt est motivé en substance comme il suit:
Dans des circonstances normales, la délivrance des biens devrait avoir lieu
sans discussion. Toutefois, la question se pose de savoir si, étant donnés la
non-reconnaissance du Gouvernement des Soviets par la Suisse et le régime
actuel de la Russie, on peut accorder aux ressortissants russes domiciliés en
Russie le libre exercice de leurs droits de propriété sur des biens situés en
Suisse. Si la non-reconnaissance du Gouvernement soviétique n'autorise pas à
considérer comme inexistants les lois et les décrets qui émanent de lui et
s'il convient donc de prendre en considération le droit russe actuel, cela ne
peut être cependant que dans la mesure où les dispositions de ce droit ne sont
pas contraires à l'ordre public en Suisse. A cet égard, le fait de la
non-reconnaissance n'est

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pas indifférent. Si la Suisse a refusé de reconnaître le Gouvernement
soviétique, c'est non seulement pour des motifs politiques, mais aussi à cause
des confiscations et spoliations dont ont été victimes ses ressortissants en
Russie et qui n'ont été que la conséquence de la volonté arrêtée dudit
gouvernement de supprimer la propriété privée et d'organiser un Etat fondé sur
des lois communistes. La législation russe repose sur des principes dont
l'essentiel est la négation de la propriété privée; en outre, elle part d'une
distinction fondamentale entre les classes dites des travailleurs et des
non-travailleurs. A ce double titre, elle est contraire à l'ordre public en
Suisse. D'autre part, il ressort des renseignements fournis par le Département
politique fédéral que si l'on tient compte du cours forcé de 266 fr. pour 100
roubles, de la diminution du pouvoir d'achat du rouble et du droit de
mutation, la somme qui reviendra en définitive aux héritiers ne représentera
qu'une très petite fraction de ce qui leur est dû, la presque totalité tombant
entre les mains de l'Etat russe. On a même de sérieux motifs de craindre que
les recourants n'aient formé leur requête que sous la pression des autorités
russes et que les organisations officielles qui ont servi d'intermédiaires ne
soient intervenues exclusivement dans l'intérêt du Gouvernement soviétique. On
peut également invoquer le principe de la réciprocité. Malgré certaines
déclarations, tout porte à croire qu'un Suisse, même habitant la Russie,
n'aurait pas la faculté de transporter hors de ce pays les biens qui
pourraient lui appartenir. Dans ces conditions, si l'on a pu accorder aux
recourants le droit d'acquérir des biens en Suisse par voie de succession, on
ne saurait admettre en revanche qu'ils puissent disposer de ces biens et les
transporter en Russie. Si l'on veut empêcher ce transfert et la confiscation
des biens par le Gouvernement soviétique, il est nécessaire de les frapper
d'indisponibilité absolue tant que les circonstances n'auront pas changé. Les
héritiers étant tous connus, l'administration d'office doit

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cependant prendre fin et un curateur doit être nommé pour la conservation des
biens.
E. - Au nom des héritiers et de l'avocat Rapp ès qualités, Me de Muralt a
formé en temps utile contre cet arrêt un recours de droit civil, en reprenant
ses conclusions.
Considérant en droit:
1. - L'art. 87 ch. 2 OJF dispose que dans les causes civiles jugées en
dernière instance cantonale et non susceptibles d'un recours en réforme, le
Tribunal fédéral peut être saisi d'un recours de droit civil lorsqu'ont été
méconnues les dispositions de la loi fédérale du 25 juin 1891 sur les rapports
de droit civil des citoyens établis et en séjour. Etant donnée la nature de la
question à juger, soit celle de savoir si les recourants, en leur qualité,
d'ailleurs reconnue, d'héritiers légaux de Dame Claudine Pribiloff, sont en
droit d'obtenir un certificat attestant cette qualité et la délivrance de la
part leur revenant de la succession, il n'est pas douteux qu'on ne soit en
présence d'une cause civile au sens de cette disposition. La décision
attaquée, rendue en dernière instance cantonale, n'est pas, d'autre part,
susceptible de faire l'objet d'un recours en réforme. Il ne s'agit pas, en
effet, d'un jugement ni d'un arrêt rendu sur une contestation de droit civil,
mais bien d'une décision rentrant dans le domaine de la procédure non
contentieuse, et, ainsi que le Tribunal fédéral l'a déjà jugé, le recours de
droit civil est également ouvert contre une telle décision (cf. RO 41 II p.
762 et sv.). Enfin, il est constant que l'arrêt attaqué est fondé sur des
motifs pris de la loi de 1891, dont les recourants invoquent la fausse
application. Le recours est donc recevable.
2. - C'est à bon droit que le Tribunal cantonal a jugé que la succession de
dame Claudine Pribiloff, dont le dernier domicile était en Suisse, était
soumise à la loi suisse (art. 22 et 32 de la loi fédérale de 1891). La défunte
étant décédée sans avoir fait de testament, les recourants,

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qui sont ses descendants les plus proches, avaient donc incontestablement, au
regard de l'art. 457 Cc, le droit de revendiquer la qualité d'héritiers
légaux. Mais, contrairement à l'opinion exprimée dans l'arrêt attaqué, cette
constatation suffisait, même en l'espèce, à leur conférer et le droit de
réclamer des expéditions du certificat d'héritiers (auquel peuvent en effet
prétendre les héritiers légaux aussi bien que les héritiers institués, cf. RO
41 II p. 213 et suiv.) et celui d'obtenir la délivrance des parts leur
revenant. Les motifs invoqués par le Tribunal cantonal ne sont pas pertinents.
Ainsi en est-il en particulier de l'argument tiré du principe de la
réciprocité. La loi de 1891 est étrangère à toute notion de réciprocité. En
second lieu, ce principe lui-même n'est pas, en droit international privé tout
au moins, d'une importance telle qu'on doive le considérer comme une règle
d'interprétation sous-entendue de toutes les lois qui traitent de cette
matière. La loi fédérale ne tient pas compte non plus, en cas de successions
ouvertes en Suisse, du sort que pourront avoir les biens dévolus aux héritiers
domiciliés à l'étranger. Quoi qu'il puisse advenir de ces biens, les héritiers
domiciliés à l'étranger sont tous traités de même. Il s'ensuit donc qu'en
refusant la remise du certificat et la délivrance des biens aux recourants, le
Tribunal cantonal a apporté à l'exercice des droits de ceux-ci une entrave
incompatible avec les dispositions de la loi de 1891. Il suffisait en réalité
de constater que les recourants, qui avaient justifié de leur qualité
d'héritiers légaux, demandaient que les biens leur fussent remis en Suisse. La
question de savoir où ces biens seraient transportés ensuite, quelle serait
leur affectation, quelle part en reviendrait à l'Etat russe sous forme d'impôt
ou autrement, en raison notamment du cours imposé pour la conversion des
valeurs étrangères en roubles, sont des questions qui pouvaient sans doute
intéresser les héritiers personnellement, mais sur lesquelles ils n'avaient
pas de compte à rendre et qui avaient aussi peu de rapport avec

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la question de la délivrance des biens qu'avec celle de la vocation
successorale. Le juge suisse n'avait donc aucune raison de s'en préoccuper,
alors surtout que les héritiers insistaient pour obtenir leurs parts et
affirmaient qu'ils sauraient bien en conserver la jouissance, sous la seule
réserve du montant des droits de mutation.
Le Tribunal cantonal objecte, il est vrai, qu'il y aurait de sérieuses raisons
de supposer, malgré toutes les assurances données par les mandataires des
recourants, que ceux-ci n'eussent pas formulé leur requête spontanément et
librement, mais sous la pression des autorités soviétiques. Cette
considération ne saurait être retenue non plus. Tout d'abord, il ne s'agit
dans l'opinion même du Tribunal que d'une supposition, car autrement il aurait
rejeté la demande préjudiciellement en raison du vice dont auraient été
atteintes la procuration et la requête elle-même. En second lieu, on comprend
fort bien que la crainte émise par le Tribunal ne lui ait pas paru un motif
suffisant pour se refuser à entrer en matière, étant donné que le 21 juillet
1930, l'un des héritiers s'adressait directement à l'avocat Rapp, c'est-à-dire
sans passer par l'intermédiaire du Collège des défenseurs, pour lui confirmer
ses pouvoirs et l'inviter à accélérer la solution de l'affaire, et que, plus
tard encore, en cours d'instance, le Tribunal lui-même recevait, non moins
directement, une requête collective signée par tous les recourants, lui
demandant de faire droit à leurs conclusions.
Le Tribunal fédéral prononce:
I. - Le recours est admis et l'arrêt rendu par la Chambre des recours du
Tribunal cantonal vaudois, le 1er avril 1931, est annulé dans la mesure où il
a rejeté les conclusions des recourants tendant à la délivrance d'expéditions
du certificat d'héritiers et à la remise des biens aux recourants ou à leurs
mandataires, et dans la mesure également où il a invité le Juge de paix du
cercle de Montreux à

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faire désigner un curateur chargé de gérer les parts d'héritage revenant aux
recourants.
II. - Le Juge de paix du cercle de Montreux est tenu de délivrer à Me Rapp,
représenté par l'avocat J. de Muralt à Montreux, une expédition du certificat
attestant la qualité d'héritiers de ... (suit la liste des intéressés).
La Justice de paix du cercle de Montreux est tenue d'autoriser
l'administrateur officiel des biens de cette succession, M. Heinrich, à
remettre à Me Rapp, soit à son mandataire en Suisse l'avocat J. de Muralt, la
partie de l'actif de cette succession qui ne sera pas frappée de séquestres ou
de saisies encore en force à ce jour.