S. 195 / Nr. 32 Obligationenrecht (f)

BGE 56 II 195

32. Arrêt de la Ire Section civile du 20 mai 1930 dans la cause hoirs de J.
de. L. contre T.


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Regeste:
Cession in fraudem legis: nullité d'une cession de droits faite par un client
à son avocat dans le seul but de permettre à celui-ci, suspendu dans
l'exercice de sa profession par une mesure disciplinaire, de continuer à
plaider pour lui.

A. - A la réquisition de M. T. et de son père, créanciers de Louis Nicollier,
l'office des poursuites saisit, les 11, 12 et 14 septembre 1908, quelques
meubles et des immeubles appartenant au débiteur. Le procès verbal de saisie
mentionne 50 parcelles, dont 38 sont grevées d'une hypothèque de 18 000 fr. au
profit de dame C. T.
Le 27 mai 1909, M. T. A. a intenté action à dame C. T. en contestant la
validité de la créance de 18 000 fr. et de l'hypothèque.
Le Tribunal de première instance a écarté les conclusions de la demande. Ce
jugement a été confirmé, le 6 novembre 1916, par le Tribunal cantonal
valaisan. Celui-ci a jugé que l'action introduite par le demandeur ne pouvait
être considérée que comme une action révocatoire et qu'elle était dès lors
irrecevable, M. T. n'étant pas porteur d'un acte de défaut de biens contre
Louis Nicollier.
M. T. ayant recouru en réforme, le Tribunal fédéral a, par arrêt du 2 avril
1917, jugé que le demandeur oppose à la validité de la charge hypothécaire
grevant une partie des immeubles saisis deux moyens, le premier tiré de la
simulation, le second de l'action révocatoire et qu'il est légitimé à les
faire valoir. En conséquence, il a annulé le jugement attaqué et renvoyé la
cause aux juges cantonaux pour examen du fond, le moyen tiré de la simulation
devant être jugé à la lumière du droit valaisan et celui tiré de l'action
révocatoire à celle du droit fédéral.
B. - A la suite d'incidents divers, le Tribunal cantonal du Valais, autorité
de surveillance des membres du barreau, prononça, par décision du 1er /5 mars
1920, la suspension

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de l'avocat J. de L. dans l'exercice de sa profession. Ce dernier était, dès
lors, incapable d'agir comme avocat dans le procès pendant. A la première
audience qui suivit cette ordonnance, soit le 20 avril 1920, il comparut
cependant, se présentant comme le cessionnaire des droits au procès de M. T.
et déposa à cet effet une convention du 19 avril 1920, libellée comme suit:
«Acte de Cession
Le soussigné M. T. à Bagnes déclare avoir fait cession à l'avocat J. de L. à
S. de tous mes droits dans le procès que je soutenais contre Mme T. devant le
Tribunal d'Entremont et de tous mes droits de créance contre Louis et Edouard
Nicollier. sig. M. T. Bagnes, le 19 avril 1920.»
C. - L'avocat R. E., mandataire de dame C. T., refusa de paraître
contradictoirement avec J. de L. en arguant de la nullité de l'acte de cession
du 19 avril 1920. Il demanda que le procès principal fût poursuivi entre M. T.
et sa cliente.
J. de L. conclut au rejet de ces conclusions en faisant valoir que la cession
faite en sa faveur était valable et devait déployer ses effets.
Dès lors, l'instruction du procès se borna à la liquidation de cette
exception. La procédure fort longue aboutit, le 11 février 1930, à un jugement
par lequel le Tribunal cantonal du Valais admettait les conclusions de la
demanderesse quant à la nullité de la cession, rejetait une demande de J. de
L. tendant à faire écarter du débat les pièces produites par la demanderesse à
l'audience du même jour et le condamnait aux frais.
Le Tribunal cantonal a estimé que la cession du 19 avril était nulle parce que
simulée et que, même si l'on admettait qu'elle constitue une cession
fiduciaire, elle devrait néanmoins être déclarée nulle ayant été conclue in
fraudem legis.
D. - Les hoirs de J. de L. ont recouru en réforme contre ce jugement. Ils
concluent à ce que le Tribunal fédéral

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déclare valable la cession du 19 avril 1920, écarte les conclusions de dame C.
T. et condamne celle-ci aux frais des instances cantonales et fédérale.
A l'audience de ce jour l'intimée a conclu à la confirmation du jugement
attaqué avec suite de frais à la charge des recourants.
Statuant sur ces faits et considérant en droit:
1.- L'intimée a fait valoir que M. T., aux droits duquel se trouvent les
recourants, aurait reçu dans la faillite de Louis Nicollier des dividendes
couvrant presque entièrement sa créance et que, par conséquent, le recours
serait irrecevable, la valeur litigieuse étant inférieure à 4000 fr. Ce moyen
n'est toutefois pas fondé, car la cause porte sur la nullité d'une créance et
d'une hypothèque au montant de 18 000 fr.
D'autre part, il y a lieu de constater que le recours n'a été formé que contre
la partie de l'arrêt du 11 février 1930 qui concerne la nullité de la cession
du 19 avril 1920 et non contre celle qui a trait aux conclusions de J. de L.
tendant à faire écarter du débat les pièces produites par dame C. T. à
l'audience du 11 février 1930. Cette partie de l'arrêt ne saurait d'ailleurs
être revue par le Tribunal de céans, car elle concerne un moyen tiré du droit
cantonal.
2.- Le Tribunal de céans peut se dispenser de trancher la question de savoir
si la cession du 19 avril 1920 est simulée, la nullité de cet acte devant être
constatée même si l'on admet qu'il concordait avec la volonté réelle des
contractants. Dans cette éventualité, en effet, l'acte du 19 avril 1920 aurait
incontestablement le caractère d'une cession fiduciaire, dont les effets ne
doivent s'exercer que dans les relations externes, alors que les rapports
internes entre le cédant et le cessionnaire continuent à être régis par les
règles du mandat. Dans leur déclaration de recours, les recourants eux-mêmes
ont admis qu'il en fût ainsi et le bien-fondé de cette manière de voir ne
saurait laisser des doutes en regard des déclarations que M. T. et J. de

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L. firent en cours d'instance. Il résulte en effet de leurs explications, que
la cession n'eut lieu que pour permettre à J. de L., suspendu dans l'exercice
de la profession d'avocat, de continuer, malgré cette mesure, à plaider contre
dame C. T. D'après J. de L., le prix de la cession équivalait à la valeur
nette de la réalisation des droits cédés, ce qui prouve qu'à la fin du procès
il devait donc rendre compte de son activité au cédant. Le caractère
fiduciaire de l'acte du 19 avril 1920 résulte, au surplus, aussi du fait que
M. T., lequel en sa qualité de banquier tient une comptabilité régulière, n'a,
d'après les constatations de fait du juge cantonal, pas inscrit la cession
dans ses livres. Il admettait donc que, malgré la cession, les biens cédés
étaient restés sa propriété.
Or, il est vrai que, à la différence du contrat simulé, le contrat fiduciaire
est valable en principe, mais cette règle comporte une exception lorsqu'il a
été conclu dans le but d'éluder une prescription légale. Dans ce cas, en
effet, il est nul en vertu de l'art. 20
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag
OR Art. 20 - 1 Ein Vertrag, der einen unmöglichen oder widerrechtlichen Inhalt hat oder gegen die guten Sitten verstösst, ist nichtig.
1    Ein Vertrag, der einen unmöglichen oder widerrechtlichen Inhalt hat oder gegen die guten Sitten verstösst, ist nichtig.
2    Betrifft aber der Mangel bloss einzelne Teile des Vertrages, so sind nur diese nichtig, sobald nicht anzunehmen ist, dass er ohne den nichtigen Teil überhaupt nicht geschlossen worden wäre.
CO, lequel déclare tels les contrats
qui ont pour objet une chose impossible, illicite ou contraire aux moeurs.
La question de savoir si, dans une espèce déterminée, un contrat a été conclu
dans le but d'éluder la loi relève du pouvoir d'appréciation du juge.
Celui-ci, ainsi que le Tribunal fédéral l'a déclaré dans son arrêt Savoy c.
Muriset (RO 54 II p. 429), doit rechercher dans chaque cas particulier si la
disposition légale, que l'on a voulu éluder, interdit un certain résultat, ou
si elle ne l'autorise que dans certaines limites, qui échappent au droit de
disposition des parties, ou encore si, sans interdire le résultat, elle règle
les voies et les moyens de l'atteindre. Ce n'est que dans cette dernière
hypothèse que le résultat peut être valablement atteint par des voies de droit
autres que celles qui ont été normalement prévues par le législateur.
3.- En l'espèce, il n'est pas douteux qu'en conférant à une autorité
judiciaire le droit de suspendre un avocat dans l'exercice de sa profession le
législateur valaisan a

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voulu interdire un résultat, c'est-à-dire empêcher que l'avocat frappé par une
peine disciplinaire de ce genre puisse continuer à représenter des tiers en
justice. n s'ensuit qu'une mesure de cette nature ne saurait être valablement
éludée et que partant la cession du 19 avril 1920, qui de l'aveu des
recourants visait ce but, doit être considérée comme nulle, même si elle n'a
pas été simulée.
4.- La question de savoir si l'intimée peut se prévaloir de cette nullité ne
saurait faire de doutes, l'acte du 19 avril 1920 étant nul en vertu de l'art.
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SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag
OR Art. 20 - 1 Ein Vertrag, der einen unmöglichen oder widerrechtlichen Inhalt hat oder gegen die guten Sitten verstösst, ist nichtig.
1    Ein Vertrag, der einen unmöglichen oder widerrechtlichen Inhalt hat oder gegen die guten Sitten verstösst, ist nichtig.
2    Betrifft aber der Mangel bloss einzelne Teile des Vertrages, so sind nur diese nichtig, sobald nicht anzunehmen ist, dass er ohne den nichtigen Teil überhaupt nicht geschlossen worden wäre.
CO. Or, d'après la jurisprudence (RO 25 II 478, 27 II 120, 30 II 416 et 33
II 430
) toute nullité découlant de cette prescription légale doit être relevée
d'office par le juge, même si les parties ne la lui ont pas signalée.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral rejette le recours et confirme le jugement
attaqué.