S. 84 / Nr. 16 Gerichtsstand (f)

BGE 56 I 84

16. Arrêt du 21 mars 1930 dans la cause Boveri contre Tribunal cantonal de
Neuchâtel.

Regeste:
La règle de l'art. 87 ch. 3 OJF d'après laquelle, dans les causes civiles
jugées en dernière instance cantonale et non susceptibles d'un recours en
réforme, le Tribunal fédéral peut être saisi d'un recours de droit civil «pour
cause de violation des dispositions du droit fédéral en matière de for» ne
s'applique pas aux cas de violation de l'art. 59 Const. féd., lesquels doivent
être déférés au Tribunal par la voie du recours de droit public. (Consid. 1.)

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Une prescription statuaire obligeant les actionnaires d'une société anonyme à
saisir les tribunaux ordinaires du siège de la société de toute contestation
concernant les affaires sociales peut être opposée aussi à un membre du
conseil d'administration qui ne fait que représenter un tiers au sein du
conseil sans posséder lui-même des actions. (Consid. 2 et 3.)

A. - L'art. 40 des statuts de la Société d'appareils électrique Favarger S.
A., dont le siège est à Neuchâtel, prévoit que «toutes contestations au sujet
des affaires sociales entre la société et ses organes, entre les organes
eux-mêmes, entre la société ou ses organes et un ou plusieurs actionnaires ou
entre actionnaires comme tels seront jugées par les tribunaux ordinaires du
siège de la société. A défaut de domicile dans le canton, les personnes en
cause ont domicile élu avec attribution de for et de juridiction au Greffe du
Tribunal civil de Neuchâtel.»
Le 25 janvier 1929, Albert Favarger, actionnaire de la Fabrique d'appareils
électriques Favarger S. A., a introduit devant le Tribunal cantonal de
Neuchâtel une action en responsabilité, basée sur les art. 674
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 674 - 1 Les pertes doivent être compensées avec, dans l'ordre suivant:
1    Les pertes doivent être compensées avec, dans l'ordre suivant:
1  le bénéfice reporté;
2  les réserves facultatives issues du bénéfice;
3  la réserve légale issue du bénéfice;
4  la réserve légale issue du capital.
2    Les pertes résiduelles peuvent être reportées partiellement ou intégralement dans les nouveaux comptes annuels au lieu d'être compensées avec la réserve légale issue du bénéfice ou avec la réserve légale issue du capital.
et 675
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 675 - 1 Il ne peut être payé d'intérêts sur le capital-actions.
1    Il ne peut être payé d'intérêts sur le capital-actions.
2    Des dividendes ne peuvent être prélevés que sur le bénéfice résultant du bilan et sur les réserves constituées à cet effet.458
3    Le dividende ne peut être fixé qu'après les affectations à la réserve légale issue du bénéfice et aux réserves facultatives issues du bénéfice.459
CO,
contre quelques membres du Conseil d'administration de cette société, savoir
MM. E. Petitpierre et F. L'Eplattenier, à Neuchâtel, O. Dollfus, à Lausanne et
W. Boveri, à Zurich. Le demandeur a conclu à ce que les défendeurs soient
condamnés solidairement à lui payer 164240 fr. à titre de dommages- intérêts
et déclarés solidairement responsables de la somme de 94395 fr. dont il a
demandé le paiement à la Fabrique d'appareils électriques Favarger.
D'entrée de cause, W. Boveri excipa de l'incompétence des tribunaux
neuchâtelois en invoquant son domicile à Zurich et l'art. 59 de la
constitution fédérale. Il contesta que l'art. 40 des statuts de la Fabrique
d'appareils électriques Favarger lui fût applicable, n'ayant jamais été
personnellement actionnaire de cette société, dans le conseil d'administration
de laquelle il n'avait fait que représenter l'«Allgemeine Finanzgesellschaft»,
à Zurich, propriétaire d'un certain nombre d'actions.

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B. - Statuant le 2 octobre 1929, le Tribunal cantonal de Neuchâtel a déclaré
cette exception préjudicielle mal fondée, premièrement, parce que l'argument
tiré du défaut de consentement à la clause de prorogation ne peut se concilier
avec les obligations d'un actionnaire et, deuxièmement, parce que une
interprétation logique de l'art. 40 des statuts amène nécessairement à
comprendre dans le ordre des actions visées par cette prescription les actions
en responsabilité prévues par les art. 671
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 671 - 1 Sont affectés à la réserve légale issue du capital:
1    Sont affectés à la réserve légale issue du capital:
1  le produit réalisé lors de l'émission d'actions au-dessus de leur valeur nominale, sous déduction des frais d'émission;
2  les paiements libératoires retenus sur les actions annulées (art. 681, al. 2), pour autant qu'aucune moins-value n'ait été réalisée sur les nouvelles actions émises;
3  les autres apports et versements supplémentaires libérés par les titulaires de titres de participation.
2    La réserve légale issue du capital peut être remboursée aux actionnaires si les réserves légales issues du capital et du bénéfice après déduction du montant des pertes éventuelles dépassent la moitié du capital-actions inscrit au registre du commerce.
3    Lorsque le but principal de la société est la prise de participations dans d'autres entreprises (société holding), la réserve légale ne peut être remboursée aux actionnaires que si les réserves légales issues du capital et du bénéfice dépassent 20 % du capital-actions inscrit au registre du commerce.
4    La réserve légale pour actions propres dans le groupe (art. 659b) et la réserve légale issue du bénéfice résultant de réévaluations (art. 725c) ne sont pas prises en considération dans le calcul des seuils visés aux al. 2 et 3.
et ss CO.
C. - Walter Boveri a interjeté en temps utile un recours de droit public, basé
sur l'art. 59 CF. Il conclut à ce que le Tribunal fédéral annule l'arrêt du 2
octobre 1929, déclare «que le Tribunal cantonal est incompétent pour connaître
du litige entre parties pour autant qu'il est dirigé contre Walter Boveri» et
condamne Albert Favarger aux frais.
Le recourant fait valoir qu'il est domicilié à Zurich. Contrairement à ce que
le Tribunal cantonal a constaté, il n'a jamais été personnellement actionnaire
de la Fabrique d'appareils électriques Favarger, n'ayant été appelé à faire
partie du conseil d'administration de cette société qu'en qualité de
représentant d'un actionnaire, l'«Allgemeine Finanzgesellschaft», à Zurich.
L'action en responsabilité introduite par Albert Favarger ne rentre au surplus
dans aucun des cas prévus par l'art. 40 des statuts. Le demandeur n'a en effet
pas assigné devant le Tribunal cantonal tous les membres du conseil
d'administration, c'est-à-dire le conseil comme tel, en tant qu'organe social.
Il s'est borné à introduire une action de nature personnelle contre quelques
membres du conseil d'administration. Aucun organe de la société n'étant dès
lors en cause, il s'ensuit que le demandeur ne peut se prévaloir de la clause
de prorogation de for de l'art. 40. Cette disposition statutaire déroge à une
prescription constitutionnelle et doit, par conséquent, être interprétée
restrictivement.
Dans sa réponse, le Tribunal cantonal de Neuchâtel déclare qu'il a
effectivement admis que W. Boveri était

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actionnaire et observe que, lorsque celui-ci excipa de l'incompétence des
tribunaux neuchâtelois, il n'invoqua que son domicile à Zurich sans alléguer
qu'il n'était pas actionnaire.
Albert Favarger conclut au rejet du recours avec suite de frais.
Statuant sur ces faits et considérant en droit:
1.- L'art. 87 OJF, complété par l'art. 49 lit. B de la loi sur la juridiction
administrative et disciplinaire, ayant prévu que dans les causes civiles,
jugées en dernière instance cantonale et non susceptibles d'un recours en
réforme, le Tribunal fédéral peut être saisi d'un recours de droit civil «pour
cause de violation des dispositions du droit fédéral en matière de for», l'on
pourrait se demander si cette prescription s'applique aussi aux cas de
violation de l'art. 59 de la constitution fédérale.
La question doit, toutefois, être résolue par la négative: en effet, l'art. 59
- CF n'institue pas un for fédéral du domicile, mais se borne à fixer des
limites au droit de juridiction des cantons et des états étrangers en
autorisant, sous certaines conditions, tout justiciable domicilié en Suisse à
refuser d'être jugé par des tribunaux autres que ceux du canton dans lequel il
est domicilié (RO 47 II p. 113). En conformité des art. 175 et ss. OJF, les
cas de violation de cette garantie constitutionnelle ne peuvent donc être
déférés au Tribunal fédéral que par la voie du recours de droit public. Des
raisons d'opportunité militent, au surplus, en faveur de cette solution: aux
termes de l'art. 87 OJF, le recours de droit civil ne peut, en effet, être
dirigé que contre les jugements rendus «en dernière instance cantonale»; or,
l'on ne saurait raisonnablement exiger d'un défendeur qui invoque l'art. 59 CF
pour contester la compétence des tribunaux d'un canton que, avant de
s'adresser à la Cour de céans, il fasse trancher cette question par les
tribunaux de ce canton.
2.- Le domicile personnel de W. Boveri à Zurich et

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sa solvabilité n'étant pas contestés, le droit du recourant de s'opposer à
l'action de nature personnelle, qui lui est intentée devant le Tribunal
cantonal de Neuchâtel, dépend de la réponse donnée à la question de savoir si
la clause de prorogation de for de l'art. 40 des statuts le lie et s'applique
à la demande formée par l'actionnaire Albert Favarger.
C'est à tort que le recourant conteste que cette clause lui soit opposable
parce qu'il n'est pas et n'a jamais été actionnaire de la Société d'appareils
électriques Favarger, n'ayant fait que représenter au sein du conseil
d'administration de cette société l'«Allgemeine Finanzgesellschaft». En effet,
à supposer même qu'il en soit ainsi, les règles de la bonne foi exigent que le
recourant, ayant accepté et exercé les fonctions de membre du conseil
d'administration qui, aux termes de l'art. 649
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 671 - 1 Sont affectés à la réserve légale issue du capital:
1    Sont affectés à la réserve légale issue du capital:
1  le produit réalisé lors de l'émission d'actions au-dessus de leur valeur nominale, sous déduction des frais d'émission;
2  les paiements libératoires retenus sur les actions annulées (art. 681, al. 2), pour autant qu'aucune moins-value n'ait été réalisée sur les nouvelles actions émises;
3  les autres apports et versements supplémentaires libérés par les titulaires de titres de participation.
2    La réserve légale issue du capital peut être remboursée aux actionnaires si les réserves légales issues du capital et du bénéfice après déduction du montant des pertes éventuelles dépassent la moitié du capital-actions inscrit au registre du commerce.
3    Lorsque le but principal de la société est la prise de participations dans d'autres entreprises (société holding), la réserve légale ne peut être remboursée aux actionnaires que si les réserves légales issues du capital et du bénéfice dépassent 20 % du capital-actions inscrit au registre du commerce.
4    La réserve légale pour actions propres dans le groupe (art. 659b) et la réserve légale issue du bénéfice résultant de réévaluations (art. 725c) ne sont pas prises en considération dans le calcul des seuils visés aux al. 2 et 3.
CO, ne peuvent être confiées
qu'à un actionnaire, soit dès lors assimilé à l'un de ceux-ci et envisagé
comme substitué de plein droit à tous les engagements prévus par les statuts
de la société, y compris la prorogation de for. De même, il est évident que le
fait que le recourant ne s'est pas conformé à l'obligation de déposer des
actions, prévue par l'art. 658
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 658
CO, ne saurait le libérer de ses obligations
statutaires.
3.- Le recourant prétend que le demandeur Albert Favarger n'ayant pas assigné
tous les membres du conseil d'administration, c'est-à-dire le conseil
d'administration en tant qu'organe de la société, ne peut, dès lors, se
prévaloir de la clause de prorogation de for de l'art. 40 des statuts dans
l'action de nature personnelle qu'il a introduite contre lui, Il oublie,
toutefois, que cette prescription statutaire prévoit la juridiction des
«tribunaux ordinaires du siège de la société» non seulement en ce qui concerne
les contestations «au sujet des affaires sociales entre la société et ses
organes, entre les organes eux-mêmes, entre la société ou ses organes et un ou
plusieurs actionnaires», mais aussi en ce qui concerne les litiges «entre
actionnaires comme tels». Or, il n'est nullement nécessaire de donner

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à ce texte une interprétation extensive pour admettre qu'il s'applique de
toute évidence non seulement aux différends entre simples actionnaires, mais
aussi, et à plus forte raison, aux contestations nées au sujet des affaires
sociales entre un simple actionnaire, d'une part, et un actionnaire, membre du
conseil d'administration, d'autre part. Il s'ensuit que le Tribunal cantonal a
admis à juste titre que la clause de prorogation de for s'applique aussi à
l'action au moyen de laquelle l'actionnaire Albert Favarger demande au
recourant la réparation du préjudice qu'il aurait causé en sa qualité
d'actionnaire, membre du conseil d'administration de la société.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral rejette le recours.