S. 327 / Nr. 53 Gemeindeautonomie (f)

BGE 56 I 327

53. Arrêt du 12 septembre 1930 dans la cause Bartholdi Herzig contre Genève.

Regeste:
En présence des art. 6 et 85 ch. 7 Const. féd., le Tribunal fédéral n'est pas
compétent pour connaître d'un recours dirigé contre un article d'une
constitution cantonale et fondé sur le grief que cet article serait contraire
aux dispositions de la constitution fédérale. En revanche il serait compétent.
tout au

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moins dans certaines limites, pour examiner le grief de la violation de la
constitution fédérale dans le cas d'un recours dirigé, non plus contre un
article de la constitution cantonale considéré en soi, mais bien contre une
décision ou une mesure prises par l'autorité cantonale en exécution dudit
article.
A moins de disposition contraire de la constitution cantonale rien ne s'oppose
à ce que le nombre des communes d'un canton soit modifié par un vote des
électeurs du canton suivant les formes ordinaires prévues pour une révision de
la constitution.
Le fait qu'une disposition d'une constitution cantonale serait en
contradiction avec une autre disposition de la même constitution ne serait pas
en soi un motif susceptible de fonder un recours de droit public.

A. - Les 17 et 18 mai 1930, les électeurs du Canton de Genève ont adopté un
ensemble de dispositions destinées à remplacer celles qui figuraient
jusqu'alors sous le titre IX de la constitution cantonale. Le but essentiel
des nouvelles dispositions était d'assurer la réunion à la ville de Genève des
communes des Eaux-Vives, de Plainpalais et du Petit-Saconnex.
Ils avaient en même temps à se prononcer sur un projet de loi
constitutionnelle émanant de l'initiative populaire et ayant pour objet la
modification de certains articles du même titre. Ce projet a été repoussé.
B. - Le 16 juin 1930, se prévalant des art. 4 et 113 de la constitution
fédérale, Henri Bartholdi-Herzig et huit autres citoyens suisses habitant
l'une ou l'autre des communes intéressées ont adressé au Tribunal fédéral un
recours de droit public par lequel ils ont conclu à ce qu'il plaise à la Cour:
«casser la décision prise par le corps électoral genevois les 17/18 mai 1930,
soit annuler les résultats de cette votation, tant en ce qui concerne
l'initiative populaire voulant modifier le titre IX de la constitution
genevoise, qu'en ce qui concerne les art. 102 et 120 et les dispositions
transitoires de la loi constitutionnelle du 22 mars 1 930; et déclarer
irrecevable cette initiative populaire et ces art. 102 et 120 nouveaux de la
constitution genevoise pour autant qu'ils seront sous leur forme actuelle.
c'est-à-dire comme un ensemble ayant

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pour résultat de supprimer des communes, autorités et territoires, sans le
consentement préalable des communes intéressées, et de disposer de leurs biens
de la même façon.»
Les recourants s'en prennent essentiellement à l'art. 112 ainsi conçu: «Les
communes actuelles des Eaux-Vives, de Plainpalais et du Petit-Saconnex sont
réunies à la Ville de Genève pour former une seule commune», qu'ils
reconnaissent être le principal et «celui auquel se rapportent explicitement
et implicitement tous les autres articles 102 à 120 et les «dispositions
transitoires» de la loi constitutionnelle nouvelle». Ils taxent également
d'inconstitutionnelle la disposition de l'art. 113 nouveau aux termes de
laquelle «La Ville de Genève reprend tous les droits et assume toutes les
charges et obligations des communes ainsi réunies».
Leur argumentation peut se résumer comme il suit:
L'art. 112 nouveau viole d'abord le principe posé, soit à l'art. 102 ancien,
soit à l'art. 102 nouveau de la constitution cantonale. Sous sa forme ancienne
ce principe était formulé dans les termes suivants: «La circonscription
actuelle des communes ne pourra être changée que par une loi»; l'art. 102
nouveau dispose que «Les limites d'une commune ne peuvent être modifiées que
par une loi». La constitution n'avait ainsi prévu que la modification des
limites d'une commune, mais non pas leur suppression. Celle-ci ne saurait être
le fait que de la seule volonté du corps électoral de la Commune intéressée,
sans ingérence des autres électeurs du Canton. Aussi bien l'existence des
communes est antérieure à la constitution, et celle-ci ne pouvait prétendre
qu'à les organiser. Mais en outre la commune est un organe politique et il est
inadmissible qu'une loi qui ne vise que des modifications de limites puisse
porter atteinte à l'intégrité politique des communes. L'art. 112 est également
contraire à l'art. 43 al. 3 de la constitution fédérale qui exclut les
citoyens établis du droit de disposer des biens des bourgeois et des
corporations. L'art. 112 de même que l'art. 113 sont enfin

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contraires à l'art. 6 de la constitution cantonale qui garantit
l'inviolabilité de la propriété, car les communes possèdent des biens dont
elles ne peuvent être dépossédées que dans les conditions et les formes
prévues par la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, et les
dispositions de cette loi n'ont pas été observées.
Les recourants font valoir en substance les mêmes moyens à l'encontre du texte
de l'initiative populaire.
C. - Le Conseil d'Etat du Canton de Genève a conclu à ce qu'il plaise au
Tribunal fédéral déclarer le recours irrecevable et mal fondé.
Considérant en droit:
1.- En tant qu'il est dirigé contre les dispositions du projet de loi
constitutionnelle émané de l'initiative populaire, le recours est irrecevable.
Ce projet ayant été, de l'aveu même des recourants, rejeté par la majorité des
électeurs, le recours apparaît évidemment comme dépourvu d'objet sur ce point.
2.- L'art. 6 de la constitution fédérale dispose que les Cantons sont tenus de
demander à là Confédération la garantie de leurs constitutions et subordonne
cette garantie à la condition notamment que les constitutions cantonales ne
renferment rien de contraire aux dispositions de la constitution fédérale.
L'octroi ou le refus de la garantie étant du ressort de l'Assemblée fédérale
(art. 85 ch. 7), il appartient à l'Assemblée fédérale de rechercher si cette
condition est ou non réalisée. Or un tel examen ne saurait être entrepris
concurremment par une autre autorité. L'art. 113 de la constitution fédérale
doit sur ce point céder le pas aux dispositions spéciales des art. 6 et 85
leg. cit. (of. RO XVII p. 630 et XXII p. 4). Le grief de la violation de la
constitution fédérale ne pourrait tout au plus être repris devant le Tribunal
fédéral qu'à l'occasion d'un recours formé, non pas contre un article de la
constitution cantonale pris en soi, c'est-à-dire

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dans son principe et dans sa portée générale, mais contre une décision ou un
acte de l'autorité cantonale accompli en exécution dudit article. Encore, en
pareil cas, resterait-il à fixer les limites des pouvoirs du tribunal. Mais
cette hypothèse n'est pas réalisée en l'espèce. Le recours, déposé dans les
trente jours de la promulgation de la loi constitutionnelle, est manifestement
dirigé contre les dispositions de la loi prises comme telles, et il y a donc
lieu, dans ces conditions, de rejeter préjudiciellement pour cause
d'incompétence les moyens fondés sur une prétendue violation de prescriptions
de la constitution fédérale.
3.- En tant que les recourants invoquent la violation d'une disposition de la
constitution cantonale, le recours est recevable, mais il n'est pas fondé.
Il convient de relever tout d'abord qu'aucun grief n'a été formulé quant à 1P~
forme en laquelle les dispositions attaquées ont été soumises au vote et
ratifiées par les électeurs. L'argumentation des recourants vise uniquement le
contenu de ces dispositions qu'ils considèrent comme contraires aux autres
articles de la constitution et même comme incompatibles entre elles. Leur
principal grief consiste à prétendre que si l'art. 102 de la constitution
cantonale, de même que l'art. 102 nouveau, autorise la modification des
limites d'une commune, il ne va pas jusqu'à permettre leur suppression;
qu'aussi bien les communes n'étant pas seulement des divisions géographiques,
mais des organes politiques jouissant de certains droits individuels, tels que
le droit de propriété, toute décision relative à leur existence ne peut être
le fait que de la volonté des électeurs de cette commune. Cette opinion n'est
pas justifiée. Ainsi que le Tribunal fédéral le relevait déjà dans son arrêt
du 21 novembre 1891 dans la cause Commune de Wollishofen (RO XVII p. 628), le
pouvoir des Cantons en matière législative n'a d'autres limites que celles qui
peuvent être fixées, soit dans la constitution fédérale. soit dans la
constitution cantonale.

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A moins d'une disposition expresse réservant à la commune ou aux communes
intéressées le droit de décider sur toute proposition touchant sa division ou
sa réunion avec une autre, on ne voit pas ce qui empêcherait qu'une mesure de
cette nature pût être prise suivant les formes prévues pour l'adoption de
nouvelles dispositions constitutionnelles. Or en l'espèce la constitution
genevoise ne contient aucune disposition en ce sens, pas plus du reste qu'elle
ne renferme d'article qui doive s'interpréter dans le sens de l'intangibilité
des communes existantes. L'art. 102 vise bien sans doute, comme le Conseil
d'Etat le reconnaît, la modification des limites géographiques des communes et
non pas le cas d'une division ou d'une réunion de plusieurs communes, et s'il
tend bien aussi à fournir une garantie aux communes, c'est uniquement dans ce
sens qu'une modification de cette nature ne peut intervenir que par l'effet
d'une loi, par opposition à un simple décret du Conseil. Il ne s'oppose donc
nullement à ce que le nombre des communes soit modifié par voie d'une réforme
de la constitution.
Or, s'il appartenait ainsi au corps électoral genevois de décréter la réunion
de plusieurs communes sans consultation ni assentiment préalables des communes
intéressées, le surplus de l'argumentation des recourants apparaît évidemment
comme non fondé. Y aurait-il même (ce qui n'est d'ailleurs pas le cas) une
opposition ou une contradiction entre les dispositions anciennes et les
nouvelles, cette contradiction ne suffirait pas à justifier une demande
d'annulation de ces dernières. Comme le Tribunal fédéral le relevait dans son
arrêt du 5 novembre 1896 dans la cause Lussy et consorts (RO XXII p. 1020), la
constitution d'un canton forme un tout et l'on ne saurait en séparer les
diverses parties pour attribuer à certaines d'entre elles le caractère d'un
droit constitutionnel primant le reste. Chacune de ses dispositions est, en
tant qu'expression de la volonté du pouvoir suprême de l'Etat, revêtue de la
même autorité. S'il y a conflit entre elles,

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il devra se résoudre tout naturellement par la voie de l'interprétation.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
Dans la mesure où il est entré en matière sur le recours, celui-ci est rejeté.