S. 342 / Nr. 71 Markenschutz (f)

BGE 55 II 342

71. Arrêt de la I re Section civile du 23 décembre 1929 dans la cause Badan &
Cie contre Rodier.


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Regeste:
S'agissant d'une action pour concurrence déloyale mais basée sur le droit
exclusif que le demandeur prétend avoir à l'emploi d'une désignation (dans le
cas particulier, du mot «Kasha») qui constitue sa marque de fabrique,
l'existence de ce droit doit s'apprécier d'après les principes admis en
matière de marques de fabrique (consid. 1).
Ce qui est déterminant pour la question de savoir si une dénommation de
fantaisie est tombée dans le domaine public, c'est l'opinion des milieux
intéressés en Suisse, mais, s'agissant d'un produit qui a une renommée
universelle, la manière de voir des cercles intéressés à l'étranger ne sera
pas indifférente (consid. 2).
Le point de vue des concurrents de l'ayant droit doit être accueilli avec
circonspection (consid. 2).
Importance de la vigilance et de la diligence de l'ayant droit (consid. 2).
La portée de l'art. 48
SR 220 Parte prima: Disposizioni generali Titolo primo: Delle cause delle obbligazioni Capo primo: Delle obbligazioni derivanti da contratto
CO Art. 48
CO s'étend aux agissements contraires aux règles de la
bonne foi qui, sans constituer une concurrence directe, ne laissent pas de
diminuer la clientèle du demandeur (consid. 2).
Même une marque inscrite peut se transformer en une dénomination générique
(consid. 3).

A. - Le 20 octobre 1927, le Bureau international de la propriété industrielle,
à Berne, a certifié conforme au registre international la marque «Kasha»,
tissus, déposée le 14 octobre 1921 sous No 25876, enregistrée en France le 12
janvier 1916 et transmise le 5 février 1926 à la Société Rodier, à Paris. Le
27 octobre 1927, le même bureau a certifié conforme la marque déposée le 16
octobre 1924 sous No 38468, enregistrée en France le 11 août 1924,
représentant un arbre au pied duquel est inscrit le nom de «Rodier» et qui
porte sur son tronc le mot de

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«Kasha», tandis que dans son feuillage se trouvent ceux de «Railykasha»,
«Ziblikasha», «Kashaduvetine» et «Kashadrap». Ladite marque concerne «tous
fils et tissus de laine ou de poil, soie, chanvre, lin, jute et autres fibres
de coton».
Le 28 avril 1927, la maison Rodier a écrit aux «Grands magasins Badan», à
Genève, entre autres ce qui suit: «... dans une de vos vitrines figure une
étoffe que vous dénommez Kasha. Comme depuis 1920 vous n'avez fait aucune
affaire avec notre maison, nous avons tout lieu de croire que cette étoffe ne
vient pas de chez nous. Or, le Kasha a été ... créé par nous, le nom en a été
déposé internationalement à Berne.... nous attachons une extrême importance au
respect de nos droits». Le 5 mai de la même année, M. Badan, au nom des Grands
magasins de ce nom, a reconnu n'avoir plus travaillé avec la maison Rodier
depuis 1920 et avoir exposé une étoffe sous la dénomination Kasha. Il
ajoutait: «Nous ignorions que ce nom avait été déposé par vous et comme de
multiples étoffes nous ont été proposées par des voyageurs français sous cette
dénomination, nous pensions en toute bonne foi qu'il s'agissait là d'un terme
générique que chacun avait le droit d'employer. Au reçu de votre réclamation
nous avons immédiatement dépatronné cet article ...»
Le 24 mai 1927, la Société Rodier adressa une nouvelle réclamation à Badan &
Cie et leur fit des propositions en vue d'un arrangement amiable. Les parties
échangèrent plusieurs lettres à ce sujet, mais ne parvinrent pas à s'entendre,
la maison de Genève estimant qu'elle n'encourait aucune responsabilité dans
cette affaire.
B. - Par exploit du 1er septembre 1927, la Société à responsabilité limitée
Rodier assigna Badan & Cie devant le Tribunal de Ire instance de Genève aux
fins de:
1. lui faire interdire de vendre ou de mettre en vente sous le nom de «Kasha»
ou sous toute dénomination similaire. des tissus ne provenant pas de la maison
Rodier;

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2. la condamner à lui payer une indemnité de 5000 fr. avec intérêts de droit;
3. ordonner la publication du jugement.
A l'appui de ces conclusions, la demanderesse faisait valoir qu'elle fabrique
un tissu de sa création qu'elle vend sous le nom de «Kasha»; qu'elle a déposé
ce nom comme marque de fabrique, que les défendeurs vendent et mettent en
vente sous les noms de «Kasha» et «Kashasurah» des tissus ne provenant pas de
la maison Rodier; qu'en se servant de ces dénominations les détendeurs
commettent un acte de concurrence déloyale qui cause un grave préjudice à la
demanderesse. En droit, celle-ci invoque les art. 41
SR 220 Parte prima: Disposizioni generali Titolo primo: Delle cause delle obbligazioni Capo primo: Delle obbligazioni derivanti da contratto
CO Art. 41 - 1 Chiunque è tenuto a riparare il danno illecitamente cagionato ad altri sia con intenzione, sia per negligenza od imprudenza.
1    Chiunque è tenuto a riparare il danno illecitamente cagionato ad altri sia con intenzione, sia per negligenza od imprudenza.
2    Parimente chiunque è tenuto a riparare il danno che cagiona intenzionalmente ad altri con atti contrari ai buoni costumi.
et suivants, notamment
l'art. 48
SR 220 Parte prima: Disposizioni generali Titolo primo: Delle cause delle obbligazioni Capo primo: Delle obbligazioni derivanti da contratto
CO Art. 48
CO.
Les défendeurs n'en continuèrent pas moins d'exposer des tissus sous le nom de
Kashasurah et conclurent à libération des fins de la demande, soutenant qu'ils
ne commettaient aucun acte illicite, le nom de Kasha étant un terme générique
que chacun avait le droit d'employer.
C. - Par jugement du 3 octobre 1928, le Tribunal de Ire instance a accueilli
les deux premiers chefs de conclusions de la demanderesse, en réduisant
toutefois le montant des dommages-intérêts à 3000 fr.
Sur appel des défendeurs et appel incident de la demanderesse, la Cour de
Justice civile du canton de Genève a, par arrêt du 8 octobre 1929, prononcé:
«Confirme le jugement rendu en la cause par le Tribunal de première instance
en date du 3 octobre 1928 en tant:
1. qu'il a fait défense à la maison Badan & Cie de vendre ou de mettre en
vente sous le nom de «Kasha» ou sous toute dénomination similaire, des tissus
ne provenant pas de la maison Rodier;
2. qu'il a condamné la maison Badan & Cie à payer à la maison Rodier la somme
de 3000 fr. à titre de dommages-intérêts, et ce avec tous dépens.
Le réforme en tant qu'il n'a pas admis la demande de la maison Rodier tendant
à la publication du jugement à intervenir. et statuant à nouveau:

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Autorise la publication du dispositif du présent arrêt dans cinq journaux
suisses, au choix de la maison Rodier et aux frais de la maison Badan & Cie, à
concurrence d'une somme de 50 fr. au maximum par insertion.
Condamne la maison Badan & Cie aux dépens d'appel taxés à 398 fr. 20.
Déboute les parties de toutes conclusions contraires.»
D. - Les défendeurs ont recouru contre cet arrêt au Tribunal fédéral, en
reprenant leurs conclusions libératoires et en concluant subsidiairement au
renvoi de la cause devant la Cour de Justice civile pour complément
d'instruction.
La demanderesse a conclu au rejet du recours.
Considérant en droit:
1.- A l'audience de ce jour, le représentant des recourants a allégué qu'il
n'était pas établi que les tissus mis en vente par Badan & Cie sous le nom de
«Kasha» ne provenaient point de la maison demanderesse. Cette allégation se
heurte à toute l'attitude des défendeurs dans le conflit antérieur au procès.
Il ressort nettement de la correspondance versée au dossier que Badan & Cie
ont implicitement reconnu avoir vendu sous la dénomination de Kasha des
marchandises d'une autre provenance que la maison Rodier et se sont bornés à
invoquer leur droit de procéder de la sorte, par le motif que la désignation
de Kasha serait dans le domaine public. Les constatations de la Cour de
Justice ne sont point contredites par les pièces du dossier.
2.- La demande n'est pas fondée sur la loi fédérale concernant la protection
des marques de fabrique, mais sur les art. 41
SR 220 Parte prima: Disposizioni generali Titolo primo: Delle cause delle obbligazioni Capo primo: Delle obbligazioni derivanti da contratto
CO Art. 41 - 1 Chiunque è tenuto a riparare il danno illecitamente cagionato ad altri sia con intenzione, sia per negligenza od imprudenza.
1    Chiunque è tenuto a riparare il danno illecitamente cagionato ad altri sia con intenzione, sia per negligenza od imprudenza.
2    Parimente chiunque è tenuto a riparare il danno che cagiona intenzionalmente ad altri con atti contrari ai buoni costumi.
et suivants CO, notamment sur
l'art. 48 qui a trait à la concurrence déloyale. La demanderesse ne reproche
donc pas aux défendeurs d'avoir utilisé le mot «Kasha» comme marque, mais leur
fait grief de l'avoir employé dans leur commerce pour désigner oralement et
par écrit (catalogues, commandes, etc.) des marchandises

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provenant d'autres maisons que la maison Rodier. Cette distinction est
conforme à la jurisprudence (RO 50 II p. 201 c. 4). Il n'en demeure pas moins
que l'action est basée sur le droit exclusif que la demanderesse prétend avoir
à la désignation de «Kasha» et aux noms dérivés de ce mot ou composés avec lui
et que l'existence de ce droit doit s'apprécier d'après les principes admis en
matière de marques de fabrique.
Le droit allégué étant supposé existant, on pourrait de prime abord se
demander si l'art. 48
SR 220 Parte prima: Disposizioni generali Titolo primo: Delle cause delle obbligazioni Capo primo: Delle obbligazioni derivanti da contratto
CO Art. 48
CO trouve application, car, la demanderesse étant
fabricante et les défendeurs commerçants, une concurrence directe n'entre pas
en considération. Mais l'art. 48 est conçu en termes si généraux qu'il est
légitime d'étendre leur portée aux agissements contraires aux règles de la
bonne foi qui, sans constituer une concurrence directe, ont néanmoins pour
effet de diminuer la clientèle du demandeur, conséquence que les actes
reprochés aux défendeurs sont de nature à entraîner. On serait en tout cas en
présence d'une usurpation de la dénomination. «Kasha» à laquelle - par
hypothèse - la demanderesse a seule droit pour la désignation des tissus, et
cette usurpation constituerait un acte illicite.
Le débat se ramène dès lors essentiellement à la question de savoir si le mot
«Kasha» est tombé dans le domaine public, comme les défendeurs le prétendent,
en sorte que chacun serait en droit de se servir de cette désignation
générique pour des tissus, quelle que soit leur provenance, semblables à ceux
que la maison Rodier met dans le commerce sous cette appellation.
Il est en effet incontesté que le nom de «Kasha» a été inventé par la
demanderesse pour désigner des tissus créés par elle. Il s'agit donc d'une
dénomination de fantaisie dont l'originalité en soi n'est - avec raison -
point mise en doute, bien que, par le son, le mot de kasha rappelle celui de
cachemire, terme générique qui désigne un tissu fin en poil de chèvres de
Cachemire (cf. RO 54 II p. 406).

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Les défendeurs affirment en revanche que le nom «Kasha» a perdu son
originalité, et à l'appui de leur allégation ils invoquent les déclarations de
plusieurs maisons de commerce suisses ainsi que, notamment, l'avis de MM. E.
Blum & Cie, agents de brevets à Zurich, qu'ils ont chargé de procéder à une
expertise.
Pour résoudre cette question, la Cour de Justice civile, conformément à la
jurisprudence du Tribunal fédéral, a pris en considération l'état de choses
tel qu'il se présente en Suisse, car ce qu'il importe de savoir, ce n'est pas
si le terme de «Kasha» est devenu une dénomination générique à l'étranger,
mais s'il est tombé dans le domaine public en Suisse où sa protection est
réclamée (RO 39 II p. 116 et sv.;42 II p. 170;43 II p. 101 et sv.;50 I p.330
et sv.; 55 II p. 152). Ce principe ne doit toutefois pas être appliqué d'une
façon trop absolue et rigide. Il saute aux yeux que, s'agissant d'un produit
qui a une renommée universelle, il se formera une conception concordante dans
les divers pays et que la manière de voir des milieux intéressés à l'étranger
influera sur celle des cercles intéressés à l'intérieur du pays (cf. RO 39 II
p. 117). En outre, dans les relations internationales, la tendance est de
veiller toujours plus strictement à l'observation des règles de la bonne foi
et de la loyauté commerciale. Cette tendance se fait sentir dans les traités
les plus récents (protection des désignations de provenance, comme, par
exemple, les vins de Champagne, les bières de Pilsen).
Les milieux intéressés qui entrent en considération sont, d'une part, les
professionnels (fabricants et négociants) et, d'autre part, le public
consommateur. L'opinion des concurrents de l'ayant droit devra toutefois être
accueillie avec circonspection. La concurrence, suivant la pente naturelle de
son intérêt, incline à hâter le moment où le nom de fantaisie d'un article en
vogue tombe dans le domaine public, si l'ayant droit n'y prend pas garde. La
vigilance et la diligence de ce dernier sont, en effet, importantes pour le
maintien de la force distinctive d'une appelation

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inventée pour désigner un produit spécial d'une provenance particulière (RO 55
II p. 154 et sv.).
3.- La Cour de Justice civile n'a méconnu aucun des principes qu'on vient de
rappeler, et elle les a appliqués sainement aux faits constatés par elle de
façon à lier le Tribunal fédéral. C'est à tort, en effet, que les recourants
reprochent au juge cantonal de s être mis en contradiction avec les pièces du
dossier. Il a, au contraire, tenu compte de toutes les preuves fournies de
part et d'autre; il les a examinées avec soin et les a appréciées comme il lui
appartenait de le faire.
Il est dès lors constant qu'en Suisse la maison Rodier est intervenue auprès
de commerçants qui avaient vendu sous le nom de «Kasha» des tissus qu'elle
n'avait pas fabriqués, que la demanderesse a, notamment, adressé des
réclamations aux défendeurs, et qu'au mois de mai 1927 - fait significatif -
ceux-ci ont reconnu son droit exclusif. Il est, de plus, établi que, si
certaines maisons de commerce en Suisse estiment que le mot «Kasha» est devenu
un terme générique, de nombreuses autres maisons sont d'un avis nettement
opposé. En ce qui concerne l'expertise de MM. E. Blum & Cie, la Cour cantonale
relève qu'elle n'a pas été faite en contradictoire, ce qui diminue déjà sa
valeur probante. Les experts invoquent diverses déclarations provenant
d'associations, de fabricants et de commerçants et arrivent à la conclusion
que ces déclarations «montrent clairement que «Kasha» est devenu aujourd'hui
un terme générique (Sachbezeichnung)». La Cour de Justice observe toutefois,
au sujet de ces documents, qu'ils «ne sont d'une façon générale point
suffisamment déterminants», car les défendeurs «n'ont pu donner des
renseignements» sur les «conditions dans lesquelles ces déclarations... ont
été obtenues», en outre, certaines d'entre elles n'ont pas la portée que Blum
& Cie leur ont attribuée (renseignements donnés sans aucun engagement ou par
des personnes incompétentes ou encore

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droit de la demanderesse reconnu ultérieurement), et pour les associations et
maisons qui sont favorables à la thèse des défendeurs «on pourrait se
demander... si elles n'ont pas un intérêt à ce que l'appellation «Kasha» soit
considérée comme étant tombée dans le domaine public». La conclusion juridique
que la Cour cantonale a tirée de ces considérations de fait ne viole en aucune
façon lé droit fédéral. Elle s'impose au contraire, au regard des principes
établis par la jurisprudence.
Sur un point, cependant, - point qui n'a d'ailleurs pas joué un rôle décisif
en l'espèce - l'arrêt attaqué paraît aller trop loin. Il attribue une portée
trop absolue et générale au considérant de l'arrêt Laurent contre
l'International Harvester Company, du 23 janvier 1929, suivant lequel «la
protection qui résulte de l'enregistrement demeure tant que celui-ci
persiste». Le contexte de l'arrêt montre qu'il reconnaît, conformément à la
jurisprudence, que même une marque inscrite peut se transformer en une
dénomination générique.
Les recourants renouvellent leur offre de compléter les preuves administrées.
La Cour de Justice a rejeté cette offre par des motifs de fait et de droit qui
ne prêtent pas à la critique. Les pièces du dossier établissent d'une façon
péremptoire que la demanderesse a fait le nécessaire pour empêcher le terme
«Kasha» de tomber dans le domaine public et qu'effectivement cette appellation
n'a pas perdu son caractère de désignation particulière dans les cercles
déterminants.
Quant aux conséquences de l'acte illicite qui doit être retenu à la charge des
défendeurs, il n'y a pas de motif de réformer l'arrêt attaqué. La défense de
vendre ou de mettre en vente comme étant du «Kasha» des tissus ne provenant
pas de la maison demanderesse est le corollaire du droit reconnu à cette
maison. Les dommages-intérêts n'apparaissent pas comme excessifs vu
l'importance des intérêts lésés et la publication, dans les limites où elle a

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été autorisée, constitue une réparation justifiée par les circonstances.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral rejette le recours et confirme l'arrêt
attaqué.