40 Staatsrecht.

6. Arrèt du 5 février 1915 dans la cause Siegfried et Roth de Markus
contre Vaud.

Liberté du commerce et de l'industrie : inconstitutionnalité d'une
mesure restreignant pour des motjfs d'or-dre économique le nombre des
representations cinématographiques. Censure des films : mesures ordonnées
par l'autorité militaire federale et exécutées par l'autorité cantonale ;
incompétence dn Tribunal fédéral.

A. P. Siegfried est directeur du Cinéma-Palace et A. Roth de Markus
est directeur du Théätre Lumen, tous deux a Lausanne. En date du 2
eoùt 1914, la Municipalité de Lausanne a ordonné la fermeture de tous
les cinémas. Le 14 septembre 1914, A. Roth de Markus a demandé à la
Municipalité de lever cette interdiction ; il ajoutait : Je

suis disposé, pour le moment, à ne jouer que trois jours.

par semaine, solt le vendredi, samedi et dimanche.

La Municipalité a informe le 17 octobre 1914 les reconrants des décisions
suivantes prises par elle les 6 ;'7 octobre et approuvées par le Conseil
d'Etat le 13 octobre :

Nous avons l'avantage de porter à votre connaissance qu'avec
I'approbation du Conseil d'Etat la Municipalité a decide d'autoriser la
réouverturedes einématographes de notre ville aux conditions suivantes :

2° seront en particulier interdits les films et les affiches reproduisant
des scènes criminelles, sensation nelles, militaires ou toute scène dont
le caractère pour rait porter atteinte à la neutralite de la Suisse,
con stituer des allusions aux faits de la guerre aetuelle ou provoquer
des manjkestations queleonques ;

3° le nombre des representations est limité à trois par semajne, les
speotacles devant avoir lieu en soirée, sank une matinée.

Les recourants ont fait diverses démarches auprès de la Municipalité'
pour faire lever les restrictions apportées à Fexploitation de leurs
établissements tant en ce quiHandels-= und Geverbefreiheit N° _6. 41

concerne le nombre des representations que la composition des programmes.

Le 3 décembre 1914 la Direction de Police les a infor més que la
Municipalité avait décidé de maintenir purement et simplement sa
décision du 6 octobre, vu (notamment) la décision du 11 novembre de
la Direction du service territorial à Berne, invitant les autorités
à surveillerattentivement les programmes des cinématographes et à,
interdire toutes representations relatives à la guerre qui pourraient
étre qualifiées de sensationnelles et vu l'im- possibilité qu'il y a
d'ètablir la limite de ce qui est sensationnel et de ce qui ne l'est pas
et, d'autre part, le fait que des manifestations regrettables peuvent
etre provoquées d'un moment, à l'autre par la représentation de films
de guerre, meme anodins.

Le 7 décembre 1914 la Direction de Police a demandé au Commandant du
service territorial à Lausanne si la censure relativement au stationnement
des troupes était supprimée et si le service territorial verrait un
inconvenient à ce que les Cinemas soient autorisés à représenter des
films militaires suisses. En reponse le Commandant territorial 1 a
transmis à la Direction de Police la lettre suivante de la Direction
du scrvice territorial à Berne en date da 12 décembre : Les demandes
d'autoriser des representations cinématographiques se rapportant à notre
armée doivent etre écartées, d'autant plus que la prise de films a été
directement interdite par l'année et que, si de tels films existent,
c'est qu'ils ont été pris par contre' bande. ss

B. P. Siegfried et A. Roth de Markus ont forme auprès du Tribunal
fédéral un recours de droit publiccontre les décisions sus indiquées
de la Municipalité et du Conseil d'Etat et en demandent l'annulation en
tant qu'elles limitent à trois par semaine le nombre des representations
et qu'elles interdisent d'une facon générale-

et sans distinction les films et affiches représentant des

scènes. . . militaires ou toute scène dont le caractère

42 Staatsrecht.

pourrait. . . constituer des allusions aux faits de la guerre actuelle.

Les recourants invoquent les art. 4 et 31 Const. féd. et argumentent en
résumé comme suit :

En ce qui concerne la limitation du nombre des representations, ils
se réfèrent à l'arrèt Held du 19 novembre 1914 par" lequel le Tribunal
fédéral a déclaré inconstitutionnelles des mesures semhlables motivées
par des considerations économiques ; ils offrent en outre de prouver
qu'elles ont pour conséquence de les obliger à travailler à perte.

Quant à la surveillance des programmes et des ai fiches, sans contester la
constitut'îonnalité de la censure, ils soutiennent qu'aucune considération
sérieuse d'ordre public ne justi fie la prohibition absolue de toutes
scènes militaires ou pouvant contenir des allusions aux faits de la
guerre. Le véritable but de cette prohibition est un but économique,
à savoir la suppression d'une occasiou de dèpense pour le public et
l'appauvrissement, sinon la ruine, des entreprises cinématograpbiques.

Enfin, les recourants estiment que les restrictions apportées dar s le
canton de Vaud à l'exereice de leur industric sont contraires à l'art. 4
Const. fed-., d'une part, parce que dans les autres cantons suisses les
cinématographes jouent toute la semaine et donnent des iilms militaires,
d'autre part, parce que les dispositions du 6/7 octobre scnt particulières
aux cinématographes et ne s'appliquent pas aux autres spectacles publics.

Le Conseil d'Etat et la Municipalité de Lausanne ont conclu au rejet
du recours.

Statuant sur ces faits et considérant e n d r 0 it : En ce qui concerne le
premier point visé par le recours, il suffit de se referer à la décision
rendue le 19 novembre 1914 par le Tribunal fédéral dans l'affaire Held
contre Neuchàtel*. Cet arrét pose er. principe que la liberté du TM I,
N° 56.

__...,|___ .-. _--

Handelsund Gewerbefreiheit. N° 6. 43

commerce et de l'industrie ne saurait étre restreinfe pour des motifs
d'ordre purement économique et que notamment le souci d'éviter à la
population une occasion de dépenses n'autorise pas la fermeture d'un
étahlissemenl: de spectacles cinématographiques. En application du
meme principe, la mesure critiquée en l'espèce doit etre declarée
inconstitutionnelle, car en limitant à trois par semaine le nombre
des representations des cinematographes, l'autorité lausannoise a eu
pour seul but d'empécher le public de se livrer à des dépenses qu'elle
estime exagérées. C'est en vain qu'on objecterait que les reconrants
eux mémes n'ont demandé à jouer que trois jours par semaine ; si en
septembre 1914 ils n'ont sollicité que cette autorisation restreinte,
ils ont ajouté que c'était pour le moment seulement qu'ils étaient
disposés à limiter ainsi le nombre de leurs representations et dans
la suite ils ont demandé le rétablissement complet" du régime anque]
ils étaient soumis avant la guerre.

D'autre part, le Tribunal fédéral n'a pas à rechercher si les autres
dispositions de police prises à l'ègard des cinématographes et concernant
par exemple l'heure des spectacles, l'interdiction des spectacles à
certains jours (Noel, etc-..), sont, comme l'affirme I'autorité cantonale
dans sa réponse au recours, compatibles avec le principe de l'art. 31
Const. fed. En effet, les recourants n'ont formule aucunes critiques
contre ces mesures de police qui d'ailleurs ne paraissent pas s'inspirer
de considérations d'ordre économique et qui ne peuvent par conséquent
etre assimilées à celle qui fait l'objet du present recours.

2. Les recourants se plaignent en outre des règles édictées au sujet
de la composition des programmes et sontiennent que l'interdiction de
donner des films reproduisant des scènes militaires ou toute scène dont
le caractère pourrait constituer des allusions aux faits de la guerre
est inconstitutionnelle. S'il s'agissait là de mesures prises de leur
propre chef par les autorités vaudoises, le Tribunal fédéral serait
évidemment competent

44 staatsrecht-

pour statuer sur ce grief : il aurait à rechercher si une prohibition
aussi absolue se justifie ou si au contraire par sa rigueur excessive elle
sort du cadre des restrictions qui peuvent légitimement etre apportées
au libre exercice de l'industrie des recourants. Mais, dans le cas
particulier, les décisions cautonales contre lesquelles le recours est
dirigé sont de simples mesures d'exécution de décisions f é d é r a l e s
et à ce titre elles échappent au pouvoir de eontròle du Tribunal federal
(0.JF art. 178 ch. I). Tout d'abord l'interdiction des films militaires
s u i s s e s constitue une application de la règle générale poseev par
i'ordonnance du Conseil federal du 10 aoùt 1914 qui interdit de publier
ou de reproduire l'image de militaires, ainsi que d'établissements ou
installations militaires et il résulte de la lettre du 12 décembre
1914 de la Direction du service territorial que l'au toriLé militaire
fédérale envisage bien cette interdiction comme frappant tous les

films qui se rapportent à l'année suisse ; la Municipalité de Lausanne
n'a dono fait que se conformer à une décision federale dont il
n'appartient pas au Tribunal fédéral de discuter la constitutionnalité
ou l'opportunité. En ce qui conceme les autres films se rapportant à la
guerre, la situation est quelque peu differente, en ce sens que c'est
la Municipalité qui paraît avoir pris l'initiative d'en interdire la
représentation, sans qu'elle eùt été requise de le faire par le pouvoir
fédéral ; mais elle s'est trouvée prévenir simplement les intehtions
de l'autorité militaire, puisque, peu après la decision municipale,
le 11 novembre, la Direction du service territorial à Berne a donné
l'ordre aux Commandants territoriaux d'inviter les autorités cantonales
à interdire toutes representations relatives a la guerre qui pourraient
etre qualifiées de sensationnelles . Cette décision fédérale couvre ainsi
la decision prise antérieurement par la Municipalità de Lausanne ; aussi
bien celle-ci a-t-elle, en date du 3 décembre, expressément invoqué les
instructions recues du service territorial pour justifier le maintien
de l'arrété du 6 octobre qui prend dès

U'-

Hanaesiisund Gewerbefreiheit. N° ö. 4

lors, lui aussi, le caractère d'une mesure d'exécution de la decision
fédérale. Les termes dans lesquels sont coneues l'interdiction émanant
de la .Muni'cipalité et l'interdiction émanant du Service territorial
ne sont, il est vrai, pas identiques, et l'on pourrait se demander
si l'autorité lausannoise n'est pas allée au delå de ce qu'entendait
prescrire l'autorité militaire. Cependant ee n'est pas au Tsiribunal
fédéral à trancher cette question, car pour pouvoir le faire il
devrait interpréter la décision du service territorial laquelle ne
lui est pas soumise. Il ne peut donc dire si en interdisant toute
scène dont le caractère pourrait constituer des allusions aux faits
de la guerre actuelle la Municipalité a aggravé la mesure prise par
l'autorité militaire et qui vise toutes representations relatives à la
guerre qui pourraient étre qualifiées de sensationnelles . Sans doute,
au cas où une représentation déclarée non sensationnelle par l'autorité
militaire serait cependant interdite par les autorités vaudoises, on se
trouverait alors en présence d'une décision purement cantonale qui serait
susceptible d'étre portée par la voie du recours de droit public devant
le Tribunal fédéral. De meme, s'il s'élevait un conflit de competence
entre les autorités cantonales et fédérales le Tribunal federal serait
eompetent pour le trancher: Mais aucun de ces deux cas n'étant réalisé
en l'espèce, le recours contre la censure organise'e conformément aux
instructions du pouvoir fédéral est irrecevable.

Par ces motifs, Le Tribunal fédéral pronon'oe: En tant qu'il est dirige
contre la limitation du nombre des représentations, le reeours est admis:
Pour le surplus, il ssn'est pas entré en matière sur le recours. si