294 Staatsrechtliche Entscheidungen. III. Abschnitt. Kantonsverfassungen.

Dritter Abschnitt. Troisieme section.

Kantonsverfassungen.

Constitutions cantonales.Eingrifl'e in garantierte Rechte. Atteintes
portées a des droits garantie.

48. Arrét du 11 mai 1898, dans la cause Betti-caz et Welle nòerg.

Inviolabilité de 1a propriété, art. 6 Constitution vaudoise ,
expropriatien pour cause d'utilité publique. Application subsidiaire de
l'art. 5 loi fédérale sur l'expropriation? Motifs de nature esthétique
pour justifier une expropriation.

Les recourantes, dames Jeanne Butticaz et veuve Henriette Wellenberg
sont propriétaires au N O et au pied du Grand Pont, dit Pont Pichard, à
Lausanne, de plusieurs parcelles d'immeubles, contigiies, sur lesquelles
se trouve entre autres une maison. Le 16 mars 1896, les recourantes ayant
demandé l'ouverture d'une enquète pour la construction d'une autre maison
sur leur dite propriété, un profilement fut exige, d'où il résulta que le
bàtiment projeté devait dépasser considereblement le niveau du Grand Pont.

Après le dépöt du projet de bàtisse, et après qu'une petition eut
été déposée aupres du Conseil communal contreEingriffe in garantierte
Rechte. N° 48. 295

l'exécution de ce projet, menagant de masquer entieremen't la vue dont on
jouit depuis le Grand Pont et Montbenon susir le ville et la cathédrale,
une interpellation fut soulevée an sein de la dite antorité contre le
projet en question.

La Municipalité répondit qu'elle verrait de quelle maniere elle devrait
intervenir pour empècher cette construction, et elle communiqua cette
Opposition aux propriétaires, par Lettre du 11 avril 1896. si

En meine temps la Municipalité decide de demander au Conseil d'Etat
l'expropriation, pour cause d'utilité publique, d'une servitude einpéchant
de construire sur les terrains en question des hatiments dépassant la
hauteur du Pont Pichard. En nutre la meme autorité prit en considération
la pétition par laquelle 167 citoyens protestaient contre l'exécution
de la bätisse projetée.

Le 24 avril 1896 le Conseil d'Etat accorda une autorisation provisoire
en vue de la constitution, par voie d'expropriation, d'une servitude
non aèiius lollendi dans le sens des propositions faites par la
Municipalité. L'indemnité à payer de ce chef aux proprietaires fut
fixée éventuellement, ensuite d'expertise, a 58 000 fr., et, plus tard,
ensuite d'entente amiable entre parties, à 56 OOO fr.

Par son préavis des 23j26 avril 1897, la Municipalité concluait à etre
autorisée par le Conseil communal à, ratifier cette promesse de cession
de servitude. Cette dernière autorité toutefois, sur le vu d'une nouvelle
petition lui demandant d'exproprier entièrement les terrains dont il
s'agit dans le but de s'assarer aussi un emplacement pour marché couvert
avec salle de vente, decida, dans sa séance du 14 juin 1897, de ne pas
entrer en matière pour le moment sur le préavis de la Municipalité
et d'inviter celle-ci à demander l'autorisation de procéder à une
expropriation eventuelle de toute la propriété Butticaz et Wellenberg.

Par arreté du 22 juin 1897, le Conseil d'Etat de Vaud accorda à la
Municipalité de Lausanne l'autorisation de procéder à une estimation
eventuelle de l'ensemble de la dite propriété, et 1a Commission
d'estimation l'évalua à 160 000 fr.

XXW, 1 i898 20

296 Staatsrechtliche Entscheidungen. Ill. Abschnitt. Kantonsverfassungen.

Cette estimation n'est toutefois pas definitive, un reeours ayant été
interjeté, anprès de l'autorité judiciaire competente, au sujet du
chiffre de l'expropriation.

Dans sa séancsie du 15 novembre i89îsi', le Conseil communal, sur
proposition dela Commission, et sur préavis conforme de la Municipalité,
autorisa cette dernière a poursnivre l'expropriation de la totalité
des immenbles Butticaz et Wellenberg, et, ensuite de cette décision,
le Conseil d'Etat présenta au Grand Conseil, dans sa séance du 20 du
meme mois, un projet de décret dans ce sens, reudant obligatoire et
définitive l'estimation eventuelle faite en vertu de l'an-été du 22
juin précité, sous réserve des droits de recours des parties auprès des
tribunaux competente.

Par décret du lè décembre 1897, le Grand Conseil autorisa 1a Municipalité
de Lausanne à prononcer à, titre définitifsi l'expropriation totale,
pour cause d'utilité publique, des immeubles Butticaz et Wellenberg,
sous réserve que ceuxei ne ponrront etre ailectés qu'à un service public.

C'est contre ce décret que les dames Butticaz et Wellenberg ont formé en
temps utile un recean de droit public au Tribunal fédéral, eoncluant à
ce qu'il lui plaise annuler le dit décret pour Violation de l'art. 6 de
la Constitution vaudoise, garantissant l'inviolabilité de la propriété,
rapproché des art. 346 Go. vaudois et 5 de la loi vaudoise du 22 mai
1875 sur la police des constructions.

Dans leur réponse, l'Etat de Vaud et la commune de Lausanne coneluent
au rejet du recours.

Stat-team sur ces faits et conséde'rant en droit :

1. Les recourantes estiment que le décret attaqué viole tout d'abord
la Gonstitution cantonale, par le fait que le Grand Conseil, dans le
dit décret, n'a pas indiqué, soit spécifié positivement quel était
l'intérèt public, en vue duquel l'expropriation était ordonnée, ce qui
avait toujours eu lieu dans des décrets analogues.

Il faut reconnaitre que la Specification dont il s'agit ne se trouve
point dans le décret dont est recours, lequel se berne à déclarer,
d'une maniere générale, que l'expropriation desEingrifl'e in garantierte
Rechte. N° 48. 297

immeubles des recourantes est prononcée pour cause d'utilité
publique. L'absence de Specification signalée ne peut toutefejs impliquer
une violation constitutionnelle, attendu que l'art. 6 de la Constitution
cantonale, invoqué par le recours, ne contient aucune disposition Speciale
dans ce sens, et qu'aucune loi cantonale n'a été oitée, en vertu de
laquelle une Specification semblable serait nécessaire. L'art. 6 susvisé
se berne a statuer, a cet égard, que la loi ne peut exiger l'abandon d'une
propriété que moyennant une juste et prealable indemnité, ei pour cause
d'inte'rét public [également constaie'. Il y a lieu des lors seulement
de rechercher si, dans l'espéoe, la garantie constitutîonnelle formulée
en ces termes a snbi une atteinte par le fait du décret ineriminé.

2. Les recourantes partent manifestement de l'idée que la commune de
Lausanne ne demande l'expropriation totale des immeubles dont'il s'agit
que dans un but de speculation ou tout au moins d'intéret ssfinancier,
et par conséquent privé, parce qu'elle estime faire une meilleure affaire,
en requérant cette exproprîation, qu'en payant une somme de 56 000 fr. à
titre d'indemnité pour la seule constitution d'une servitude de hauteur
(non aétz'us tollendi) sur les dits fonds.

On pourrait se demander en effet si, d'une maniere générale et en
principe, il y a lieu d'admettre le droit de l'Etat ou d'une commune
d'exproprier, lorsque des intérèts fiscaux ou financiers sont seuls en
jeu. Dans l'espèce l'Etat de Vaud et la commune de Lausanne coucedent
que pour justifier une expropriation, l'existence d'un intérét poetic
dans le sens étroit de ce terme est indispensable, mais qu'en outre,
dans le cas où la constitution d'une servitude exigerait une dépense hors
de proper-tion avec la valeur de l'immeuble a asservir, l'expropriant
doit ètre mis au bénéfice du droit d'extension, c'est-ä-dire de la
faculté de demander l'expropriation totale. A l'appui de cette opinion,
l'Etat et la commune affirrnent que ce droit résulte de la jurisprudence
tres généralement suivie, ainsi que les principes admis en matière
d'expropriation, et qu'il a trouve, au moins implicitement et

298 Staatsrechtliche Entscheidungen. lll. Abschnitt. Kantonsverfassungen.

par analogie, sa consécration dans l'art. 5, prec-ite, de la loi federale
du 1Br mai 1850-

Ce point de vue n'est toutefois point admissible, et le décret attaqué
ne se justifie pas, en présence de l'art. 8 de la Constitntion vaudoise,
en tant que fondé sur ce prétendu droit d'extension. La réponse n'a pas
démontré, mais elle s'est bornée à affirmer que ce droit repose sur
un principe généralement admis, tandis qu'en réalite il est inconnu
à la plupart des législations cantonales et étrangeres. L'art. 5 de
la loi fédérale contient à la vérité une disposition Speciale dans ce
sens, mais elle n'est applicable qu'en matière d'expropriation par la
Confédération (meme loi art. 1), et elle ne saurait l'ètre dans le cas
actuel, où l'expropriation est prononcée par les autorités cantonales,
alors qu'il n'existe dans le canton de Vaud aucune legislation Speciale
sur la matière, et par conséquent aucune prescription de la nature de
celle édictée dans l'art. 5 de la loi federale précitée; les art. 345 et
346 Cc. de Vaud qui seuls reglent la matière, ne consacrent aucunement
un droit d'extension en faveur de l'expropriant, soit de l'entrepreneur,
et rien ne vient à l'appui de l'opinion, soutenue par les opposants au
recours, que les dispositions de la loi fédérale doivent trouver leur
application à titre subsidiaire dans le canton de Vaud. Rien ne peut faire
penser que, dans l'espèce, le Grand Conseil a accorde l'expropriation du
chef du principe de l'extension, et, l'eùt-il meme voulu, il eùt fallu
an préalable pour introduire un principe de droit nouveau touchant les
restrictions à, la propriété, ou bien un acte législatif Spécial, ou bien
modifier les art. 345 et 346 precites du Ge. vaudois sur la matière,
ce qui n'a point eu lieu dans le cas present. Eu tout cas, pour qu'en
l'absence d'une loi cantonale sur la matière la loi fe'de'rale puisse
etre appliquée a titre subsidiaire, il serait nécessaire que l'autorité
legislative du canton eùt autorisé expressément cette application,
ou tout au moins que celle-ci result-at d'une pratique constante des
tribunauxz or ni l'une ni l'autre de ces conditions ne se trouvent
réalisées eu l'espèce, ou la Commission du Grand Conseil n'a pas meine
mentionné leEingrifl'e in garantierte Rechte. N° 48. 299

prétendu droit d'extension comme un motif pouvant justifier
l'expropriation requise.

8. Les motifs reels sur lesquels repose l'autorisation d'expropriation
des immeubles des recourantes sont basést

@) sur des considérations de nature esthétique (obstacles apportés à la
vue sur la ville eta la circulation sur le Grand Pont);

b) sur l'absence de terrains disponibles, dans le centre de la viile,
pour la construction de batiments d'utilité publique ;

c) sur l'éventualité prochaine d'un nouveau rélargissement du Grand Pont,
lequel ne pourra etre execute que du còté de la propriété des recourantes.

Eu ce qui concerne la question de savoir si une expropriation prononcée
par ces motifs implique une violation des principes constitutionnels
garantissant l'inviolabilité de la propriété, le Tribunal fédéral, dans
une pratique constante, est toujours parti de l'idée que, dans la règle,
c'est en première ligne aux autorités cantonales, le mieux placées à
cet effet, qu'il appartient de decider si une entreprise est d'intérèt
public. Cet intérét public doit, à la Vérité, aux termes de l'art. 8
de la Constitutiou cantonale, etre legalement constaté c'est-à dire
par un acte émané du Grand Conseil de Vaud. Ce n'est que dans le cas où
cette autorité aurait prononcé l'expropriation pour des motifs autres que
l'intérét public, et en prétextant seulement ce dernier pour atteindre,
en réalité, un but fiscal interesse, ou pour favoriser pécuniairement des
tiers, que l'intervention du tribuna] de ce'ans se justifierait. (Voir
Bec. ofi'. arréts du Tribunal federal en les eauses Brunner, lll, page
88; Commune de Nettstall, IV, page 611 ; Christ, V, 212, etc.)

En partant de là, il y a lieu de rechercher si le décret attaqué comporte
une application abusive du droit d'expropriation. .

4. Cette question doit recevoir une solution negative. En effet : '

a) en ce qui concerne d'abord les considérations de nature esthétique
invoquées, c'est en s'inspirant de l'intérét bien

300 Staatsrechtliche Entscheidungen. III. Abschnitt. Kantonsverfassungen.

entendu de Lausanne comme ville d'étrangers que les autorités communales
se sont opposées à une bàtisse qui aurait masqué en grande partie la vue
si réputée du Grand Pont. Dans son rapport sur le déeret la Commission du
Grand Conseil l'a reconnu à son tour, en déclarant qu'à ses yeux l'Etat
a droit d'empécher des constructions qui dénaturent l'embellissement
d'une ville.

Or, comme l'a déja reconnu le Tribunal fédéral, ces considérations
d'esthétique suffisent a elles seules pour justifier une exprcpriation
pour cause d'intérét public, a la seule condition que cet intérét soit
réel, et non point seulement prétexté ; dans le cas particulier l'intérét
majeur qu'il y a pour la ville de Lausanne à ne pas voir mutiler un de
ses plus beaux aspects n'apas été sérieusement contesté. (Voir arrét
du Tribunal federal en la cause Nægeli, iQ avril 1884, Rec. off. X,
page 239, 241, 244.)

Ce premier motif sufflrait déjà pour réduire à néant le grief
d'inconstitutionnalité, formule a l'encentre du deeret attaqué ; le
r'ecours apparaît déjà, de ce chef seul, comme ma] fonde.

l)) Le manque, dans la partie centrale de la ville, de terrains
diSponibles aptes à recevoir les divers bàtiments publics susmentionnés,
justifiait également l'opposition des autorités communales, lesquelles,
selon le rapport de la, Commission du Grand Conseil, déjà cité, ont fait
oeuvre de prévoyance et de sagesse en se préoccupant de la construction
eventuelle d'un marché convert, sur les terrains des recourantes, lesquels
paraissent se prèter parfaitement à l'exécution de ce projet. Pen importe,
au point de vue de l'expropriation, que cette construction ne soit pas
entreprise immédiatement; l'intérét qui s'y attache suffit pour lui
imprimer le c-aractère d'intérèt public necessaire pour justifier que
le dit emplacement soit laissé libre en vue de sa destination; d'ailleurs
l'art. 6 de la Constitution cantonale ne contient aucune disposition
positive exigeant qu'en cas d'exproprîation pour cause d'utilité publique,
le but en soit incontineut poursuivi, per exemple par la construction
immediate d'un bàtimentEingriffe in garantierte Rechte. N° 18. 301

projeté. Par contre l'éventualité future d'un rélargissement du Grand
Pont ne suffirait pas, à elle seule, pour justifier l'expropriation
totale des terrains des recourantes, mais senlement celle de la bande
de terrain nécessaire à cette opération.

5. Il va sans dire que le droit des recourantes de rentrer en possession
de leurs immeubles pour le cas où ils seraient affectés à un autre usage
qu'à celui d'un service public prévu à l'art. 18 du décret attaqué,
demeure expressément réservé.

Par ces motifs, Le Tribunal federal prononce:

Le receurs est écarté.