Urteilskopf

128 III 284

52. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. AG contre Y. (recours en réforme) 4C.385/2001 du 8 mai 2002

Regeste (de):

Regeste (fr):

Regesto (it):


Sachverhalt ab Seite 284

BGE 128 III 284 S. 284

A.- De 1987 à 1995, Y. a été un membre influent du comité exécutif du conseil d'administration de X. AG, dont le siège est en Suisse alémanique. A des dates non précisées, il aurait demandé au président du conseil d'administration de Z. S.A. d'intervenir en faveur de X. AG dans le cadre d'une vente de machines à l'étranger. X. AG a versé à Z. S.A. par deux fois des honoraires de 1'000'000 DM; elle a refusé en revanche de payer un tel montant pour une prétendue troisième intervention.
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B.- Z. S.A. a ouvert action contre Y. à Genève. Elle concluait à ce que le défendeur soit condamné à lui verser la somme de 820'600 fr. (contre-valeur de 1'000'000 DM), plus intérêts. Le 3 janvier 2001, Y. a déposé une demande d'appel en cause de X. AG. Quelques jours plus tôt, le 20 décembre 2000, X. AG avait déposé devant le Juge de paix d'Arbon une requête en conciliation dirigée contre Y. Ses conclusions tendaient notamment à faire constater que Y. ne disposait d'aucun droit de recours contre elle-même au cas où il succomberait dans le procès introduit à Genève par Z. S.A. Le Juge de paix a délivré l'autorisation de citer le 31 janvier 2001. X. AG a déposé la demande le 1er mars 2001 devant le Tribunal de district d'Arbon. A l'audience d'introduction devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, l'appelée en cause a soulevé un incident d'incompétence ratione loci. Par jugement du 26 avril 2001, le tribunal a déclaré recevable l'appel en cause déposé par le défendeur à l'encontre de X. AG, mais a suspendu la cause jusqu'à ce que le Tribunal de district d'Arbon ait statué sur sa compétence dans la cause introduite le 20 décembre 2000. Statuant le 12 octobre 2001 sur appel de Y., la Chambre civile de la Cour de justice a annulé la mesure de suspension de la procédure d'appel en cause.
C.- Le Tribunal fédéral a admis le recours en réforme interjeté par l'appelée en cause.
Erwägungen

Extrait des considérants:

2. a) La présente espèce met en jeu l'art. 35 de la loi fédérale du 24 mars 2000 sur les fors en matière civile (LFors; RS 272), qui a trait aux actions identiques. L'alinéa 1 de cette disposition prévoit que, lorsque des actions portant sur le même objet de litige entre les mêmes parties sont introduites devant plusieurs tribunaux, tout tribunal saisi ultérieurement sursoit à la procédure jusqu'à ce que le tribunal saisi en premier lieu ait statué sur sa compétence. Selon l'arrêt attaqué, l'action négatoire de l'appelée en cause en Thurgovie a été introduite avant l'appel en cause devant la juridiction genevoise. Cependant, la cour cantonale, se fondant sur l'arrêt publié aux ATF 105 II 229, a nié l'identité entre l'action en constat négative et l'action condamnatoire; elle a ainsi considéré que l'une des conditions cumulatives d'une suspension au sens de l'art. 35 al. 1 LFors n'était pas réalisée dans le cas particulier.
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3. Il convient à présent d'examiner les deux actions introduites par l'appelée en cause, respectivement le défendeur. a) Il ne fait aucun doute que l'action engagée en Thurgovie met aux prises les mêmes parties que celles opposées dans l'appel en cause genevois. A cet égard, le rôle des parties dans chacune des procédures est sans importance; que X. AG soit, d'un côté, demanderesse et, de l'autre côté, appelée en cause contre laquelle sont prises des conclusions récursoires, ne l'empêche pas de se prévaloir de l'exception de litispendance (PETER RUGGLE/KRISTINA TENCHIO-KUZMIC, Bundesgesetz über den Gerichtsstand in Zivilsachen, in Kommentar zum Schweizerischen Zivilprozessrecht, n. 6 et 7 ad art. 35 LFors, p. 351; FRANZ KELLERHALS/ANDREAS GÜNGERICH, GestG-Kommentar, Berne 2001, n. 4 ad art. 35 LFors, p. 277; FELIX DASSER, Kommentar GestG, Zurich 2001, n. 8 et 10 ad art. 35 LFors, p. 856; YVES DONZALLAZ, Commentaire de la loi fédérale sur les fors en matière civile, n. 28, p. 739 et n. 38, p. 744; JEAN-MARC REYMOND, L'exception de litispendance, thèse Lausanne 1990, p. 205/206, p. 208/209, p. 243/244 et p. 302). La condition de l'identité subjective est réalisée. b) L'application de l'art. 35 LFors suppose en outre l'identité de l'objet du litige. En relation avec l'exception de chose jugée, le Tribunal fédéral a admis que tel était le cas lorsque, dans l'un et l'autre procès, les parties soumettent au juge la même prétention en se fondant sur les mêmes causes juridiques et les mêmes faits (ATF 123 III 16 consid. 2a p. 18; ATF 121 III 474 consid. 4a p. 477 et l'arrêt cité). L'identité de l'objet du litige s'entend au sens matériel; il n'est pas nécessaire, ni même déterminant que les conclusions soient formulées de manière identique (ATF 123 III 16 consid. 2a p. 19; ATF 121 III 474 consid. 4a p. 478; cf. également DONZALLAZ, op. cit., n. 31, p. 740/741). aa) La conclusion principale de l'appel en cause tend à "condamner X. AG à relever et garantir M. Y. de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre lui dans le cadre de la cause No C/... en capital, intérêts et frais". Quoi qu'en dise l'appelée en cause, cette action récursoire est bien de nature condamnatoire, car elle tend à l'exécution d'une prestation en faveur du défendeur (cf. CHARLES CEPPI, Les conclusions en procédure civile - supplément, p. 9). Parmi les conclusions de la demande déposée devant le Tribunal de district d'Arbon, seule la quatrième, par laquelle l'appelée en cause veut notamment faire constater l'absence de recours du défendeur au cas où ce dernier perdrait son procès contre Z. S.A., repose
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sur le même fondement juridique et le même complexe de faits que l'appel en cause formé à Genève. A priori, il y a identité de l'objet du litige. Cependant, la question de l'éventuelle identité entre une action négatoire et une action condamnatoire est controversée; elle mérite dès lors un plus ample examen dans le cadre de la LFors. bb) Dans l'arrêt publié aux ATF 105 II 229, rendu en application d'une convention bilatérale d'exécution de décisions judiciaires, le Tribunal fédéral a rejeté l'exception de litispendance, faute d'identité entre une action négatoire de droit antérieure et une action condamnatoire déposée postérieurement; il a considéré comme déterminant à cet égard le fait que, en cas de rejet, l'action en constat négative n'excluait pas une action en paiement ultérieure (consid. 1b p. 233). En revanche, cette jurisprudence a été expressément écartée dans le cadre de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Lugano ou CL; RS 0.275.11). S'inspirant des arrêts rendus par la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), le Tribunal fédéral a jugé que l'action tendant à faire constater, en Suisse, que les demanderesses ne devaient rien à la défenderesse en raison des faits exposés dans la demande déposée en Grande-Bretagne, portait sur le même objet et la même cause au sens de l'art. 21 CL que l'action condamnatoire introduite outre-Manche par la défenderesse (ATF 123 III 414 consid. 5 p. 422/423; cf. également ATF 125 III 346 consid. 4b). En effet, le but visé par l'art. 21 CL est d'éviter que les tribunaux des Etats contractants rendent des décisions exécutoires contradictoires; or, ce but ne peut être atteint que si la disposition sur la litispendance s'applique à toutes les procédures judiciaires où ce risque existe (ATF 123 III 414 consid. 5 p. 422). Les auteurs sont partagés sur la question. Pour certains, la jurisprudence de l' ATF 105 II 229 est valable sous l'empire de la LFors. Ils en tirent la conclusion qu'il ne peut y avoir identité objective si l'action négatoire précède l'action condamnatoire (RUGGLE/TENCHIO-KUZMIC, op. cit., n. 14 ad art. 35 LFors, p. 354; KELLERHALS/GÜNGERICH, op. cit., n. 7 et note de pied 2 ad art. 35 LFors, p. 278). Sans prendre réellement position, DONZALLAZ observe que la jurisprudence très extensive de la CJCE et du Tribunal fédéral à propos de l'art. 21 CL conduit parfois à des résultats choquants, notamment en cas de procès dilatoire ou de blocage (op. cit., n. 42 et 43 ad art. 35 LFors et note de pied 2864 décrivant le procédé dit de l'Italian Torpedo, p. 746). Pour DASSER, le cas d'une action négatoire antérieure à une
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action condamnatoire relève de l'art. 36 LFors, relatif aux actions connexes; la suspension supposerait alors l'existence d'un intérêt particulier à la constatation demandée (op. cit., n. 17 ad art. 35 LFors, p. 858). Le même auteur relève pourtant que l'entrée en vigueur de la LFors peut être l'occasion d'adapter la jurisprudence suisse à la solution européenne (op. cit., n. 17 ad art. 35 LFors, p. 858/859). C'est précisément l'opinion de ISAAK MEIER, qui estime que la notion d'actions identiques doit s'interpréter de la même manière à l'art. 21 CL et à l'art. 35 LFors (GestG - Konzept des neuen Rechts und erste Antworten auf offene Fragen, in Revue de l'Avocat 1/2001 p. 29). L'art. 35 LFors tend à éviter des jugements contradictoires au cas où des actions identiques sont introduites à plusieurs endroits (Message concernant la LFors, in FF 1999 p. 2632; JACQUES HALDY, Présentation générale des nouveaux fors fédéraux, in Les nouveaux fors fédéraux et les nouvelles organisations judiciaires, CEDIDAC 2001 p. 21). Cette disposition poursuit donc le même but que l'art. 21 CL (cf. ATF 123 III 414 consid. 5 p. 422). Du reste, le Conseil fédéral souligne le parallélisme entre l'art. 36 du projet (= art. 35 LFors) et l'art. 21 CL; en note de bas de page, il se réfère même expressément à l'arrêt publié aux ATF 123 III 414, rendu en application de l'art. 21 CL (Message du 18 novembre 1998 concernant la loi sur les fors, in FF 1999 p. 2632/2633; DONZALLAZ, op. cit., n. 18 ad art. 35 LFors, p. 734; HALDY, op. cit., p. 21). Vu l'analogie entre les deux dispositions et leur but semblable, on ne voit pas pourquoi la notion de l'identité de l'objet du litige développée par la jurisprudence dans le cadre de la Convention de Lugano ne serait pas valable également dans le cadre de la LFors (cf. DONZALLAZ, op. cit., n. 30 ad art. 35 LFors, p. 740, pour lequel l'objet du litige se définit de la même manière à l'art. 35 LFors et à l'art. 21 CL). Si elles opposent les mêmes parties et portent sur le même complexe de faits, une action négatoire et une action condamnatoire doivent ainsi être considérées comme identiques au sens de l'art. 35 LFors (cf. ATF 123 III 414 consid. 5 p. 423). Peu importe à cet égard que l'action en négation de droit précède ou suive l'action en exécution, car il serait contraire à la logique de faire dépendre la notion d'identité de l'ordre d'introduction des procédures: soit les actions sont identiques, soit elles ne le sont pas (cf. DASSER, op. cit., n. 18 ad art. 35 LFors, p. 859). Par ailleurs, le risque de blocage évoqué plus haut ne doit pas être surestimé. Les tribunaux suisses ne paraissent pas avoir pour habitude de laisser les affaires s'enliser. On peut dès lors compter sur la rapidité du juge
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saisi en premier à se prononcer sur sa compétence, voire à rendre une décision d'irrecevabilité en cas de défaut d'intérêt manifeste à la constatation. Au demeurant, cette solution s'impose indépendamment du parallélisme existant entre l'art. 35 LFors et l'art. 21 CL. En effet, la jurisprudence consacrée à l' ATF 105 II 229 ne peut être reprise pour les raisons exposées ci-après. Selon l'arrêt susmentionné, il n'y a litispendance que si la première procédure permet d'aboutir à un jugement ayant autorité de chose jugée, c'est-à-dire qui tranche définitivement le sort de la prétention faisant l'objet des deux procédures. Or, en cas de rejet de l'action en négation de droit, le défendeur n'obtient pas le résultat que l'admission de ses conclusions condamnatoires lui assurerait. Tirant argument de ce cas de figure, le Tribunal fédéral a refusé de qualifier d'identiques les actions négatoire et condamnatoire (ATF 105 II 229 consid. 1b p. 233). Cette jurisprudence a été critiquée par KUMMER (Die privatrechtliche Rechtsprechung des Bundesgerichts im Jahre 1979, in RJB 117/1981 p. 162 ss; approuvé par POUDRET, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire [COJ] II, n. 1.3.2.6 ad art. 43 OJ, p. 117; cf. également REYMOND, op. cit., p. 221). Comme cet auteur le fait observer avec pertinence, la coexistence des deux actions crée un risque de décisions contradictoires. Or, l'art. 35 LFors, qui tend précisément à éviter des jugements contradictoires, doit être interprété de manière à écarter un tel risque. En l'occurrence, si aucun des deux procès n'est suspendu, le Tribunal de district d'Arbon pourrait, par hypothèse, reconnaître le principe de la dette de l'appelée en cause envers le défendeur, en rejetant l'action négatoire, alors que le juge genevois, qui doit trancher cette question préalablement, pourrait y répondre négativement et rejeter l'appel en cause; le risque de décisions contradictoires existe donc. A l'inverse, un jugement thurgovien antérieur admettant l'action en constat négative aurait autorité de chose jugée et rendrait la procédure genevoise sans objet. Mais, dans cette hypothèse-là également, des motifs d'économie du procès plaident pour ne pas laisser les deux instances se dérouler en parallèle. La suspension de la seconde procédure sur la base de l'art. 35 LFors apparaît dès lors comme le moyen adéquat pour éviter des jugements contradictoires ou un procès inutile lorsqu'une action en négation de droit est opposée à une action condamnatoire. Sur le vu de ce qui précède, la cour cantonale a violé l'art. 35 LFors en considérant que l'action négatoire introduite en Thurgovie n'était pas identique à l'appel en cause genevois.
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4. Cela étant, le défendeur, dans son mémoire de réponse, conteste l'antériorité de l'action introduite à Arbon par l'appelée en cause. a) L'art. 38 du projet de LFors prévoyait que la litispendance est créée par l'ouverture de l'action. Cette solution n'a pas été retenue par le Parlement, qui ne voulait pas d'un concept unifié au plan fédéral. C'est dès lors au regard du droit cantonal qu'il conviendra de définir la litispendance, afin de déterminer le juge saisi en premier (RUGGLE/TENCHIO-KUZMIC, op. cit., n. 18 ss ad art. 35 LFors, p. 355 ss; KELLERHALS/GÜNGERICH, op. cit., n. 8 ad art. 35 LFors, p. 278; DASSER, op. cit., n. 18 ss ad Vorbemerkungen zu Art. 35-36 GestG, p. 848 ss; DONZALLAZ, op. cit., n. 9 ad art. 35 LFors, p. 726). b) En droit thurgovien, le § 90 de la loi de procédure civile du 6 juillet 1988 traite de la litispendance. Son alinéa 1 a la teneur suivante: "Klage und Widerklage werden mit der Einlassung in den Rechtsstreit und, wo kein Vermittlungsvorstand stattfindet, mit dem Eintreffen der erforderlichen Eingabe beim Gericht rechtshängig."
Même si la formulation adoptée n'est pas des plus claires, il est admis que la litispendance est créée par le dépôt de la requête en conciliation (RUGGLE/TENCHIO-KUZMIC, n. 25 ad art. 35 LFors, p. 357). Comme l'appelée en cause a introduit la procédure de conciliation en Thurgovie le 20 décembre 2000, son action en constat négative est antérieure à l'appel en cause formé par le défendeur à Genève le 3 janvier 2001. Les conditions d'une suspension au sens de l'art. 35 LFors sont réunies en l'espèce. Il ne s'impose dès lors pas de se prononcer sur l'éventuelle application de l'art. 36 LFors, préconisée par l'appelée en cause à titre subsidiaire.