Bundesverwaltungsgericht
Tribunal administratif fédéral
Tribunale amministrativo federale
Tribunal administrativ federal
Cour IV
D-7334/2018
Arrêt du 28 février 2019
Gérald Bovier, juge unique,
Composition avec l'approbation de Yanick Felley, juge ;
Alain Romy, greffier.
A._______, né le (...),
B._______, née le (...),
C._______, né le (...),
Parties
Géorgie,
représentés par François Miéville, Centre Social Protestant (CSP),
recourants,
contre
Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM),
Quellenweg 6, 3003 Berne,
autorité inférieure.
Exécution du renvoi ;
Objet
décision du SEM du 13 décembre 2018 / N (...).
Vu
la demande d'asile déposée en Suisse par les intéressés en date du 15 novembre 2016,
les procès-verbaux des auditions du 28 novembre 2016 (auditions sommaires),
la décision du 15 décembre 2016, par laquelle le SEM, se fondant sur l'art. 31a al. 1 let. b LAsi (RS 142.31), n'est pas entré en matière sur la demande d'asile des intéressés, a prononcé leur transfert vers D._______ et a ordonné l'exécution de cette mesure, constatant l'absence d'effet suspensif à un éventuel recours,
la décision du 11 septembre 2017, par laquelle le SEM, constatant que le délai de transfert vers D._______ était échu (art. 29 par. 1 du règlement [UE] no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride [refonte] [JO L 180/31 du 29.6.2013, ci-après: règlement Dublin III]), a annulé la décision du 15 décembre 2016 et a rouvert la procédure d'asile en Suisse, conformément à l'art. 29 par. 2 du règlement Dublin III,
les procès-verbaux des auditions du 5 mars 2018 (auditions sur les motifs),
les documents médicaux produits au dossier, dont en particulier des rapports des 19 juin 2017, 22 janvier 2018, 26 janvier 2018, 13 avril 2018 et 8 novembre 2018 concernant l'intéressée et des 1er février 2017 et 30 janvier 2018 concernant l'enfant des intéressés,
la décision du 13 décembre 2018, par laquelle le SEM, se fondant sur l'art. 31a al. 3 LAsi, n'est pas entré en matière sur la demande des intéressés, au motif qu'elle ne constituait pas une demande d'asile au sens de l'art. 18 LAsi, a prononcé leur renvoi de Suisse et a ordonné l'exécution de cette mesure,
le recours formé le 22 décembre 2018 contre cette décision, au terme duquel les recourants ont conclu à l'annulation de dite décision en tant qu'elle ordonnait l'exécution de leur renvoi et au prononcé d'une admission provisoire en leur faveur, pour cause d'inexigibilité de cette mesure, compte tenu de l'état de santé de l'intéressée et de son enfant, en relation avec l'absence des soins médicaux nécessaires en Géorgie et à l'impossibilité de leur financement,
l'attestation médicale du 21 décembre 2018 relative à l'enfant des recourants,
la décision incidente du 17 janvier 2019, par laquelle le juge instructeur du Tribunal administratif fédéral (ci-après : le Tribunal), considérant les conclusions formulées dans le recours d'emblée vouées à l'échec, a rejeté les demandes d'assistance judiciaire partielle et d'exemption du versement d'une avance de frais dont celui-ci était assorti et a imparti aux recourants un délai au 1er février 2019 pour verser un montant de 750 francs à titre d'avance de frais,
le versement, le 31 janvier 2019, de l'avance de frais requise,
le courrier du 31 janvier 2019, par lequel les recourants ont demandé la reconsidération de la décision incidente précitée, et le moyen de preuve annexé, à savoir un rapport médical daté du 28 janvier 2019, relatif à la recourante,
et considérant
que le Tribunal, en vertu de l'art. 31 LTAF, connaît des recours contre les décisions au sens de l'art. 5 PA prises par les autorités mentionnées à l'art. 33 LTAF,
qu'en particulier, les décisions rendues par le SEM en matière d'asile et de renvoi peuvent être contestées devant le Tribunal (art. 33 let. d LTAF, applicable par renvoi de l'art. 105 LAsi), lequel statue alors définitivement, sauf demande d'extradition déposée par l'Etat dont le requérant cherche à se protéger (art. 83 let. d ch. 1 LTF), exception non réalisée in casu,
que les recourants ont qualité pour recourir (art. 48 al. 1 PA),
que, présenté dans la forme et le délai prescrits par la loi (art. 52 al. 1 PA et art. 108 al. 2 LAsi), le recours est recevable,
que seul le point du dispositif de la décision du 13 décembre 2018 relatif à l'exécution du renvoi étant attaqué, l'examen de la cause se limite à cette question,
que pour le reste (non-entrée en matière sur la demande d'asile et prononcé du principe même du renvoi), la décision précitée est entrée en force,
qu'en matière d'exécution du renvoi, le Tribunal examine les griefs de violation du droit fédéral, notamment pour abus ou excès dans l'exercice du pouvoir d'appréciation, d'établissement inexact ou incomplet de l'état de fait pertinent et d'inopportunité (art. 112 al. 1 LEI [RS 142.20] en relation avec l'art. 49 PA ; cf. ATAF 2014/26 consid. 5.6 et 7.8),
que l'exécution du renvoi est ordonnée si elle est possible, licite et raisonnablement exigible ; que si ces conditions ne sont pas réalisées, l'admission provisoire doit être prononcée (art. 83 et 84 LEI, applicables par renvoi de l'art. 44 LAsi),
qu'en l'occurrence, l'exécution du renvoi ne contrevient pas au principe de non-refoulement de l'art. 5 LAsi, les recourants n'ayant pas allégué qu'ils seraient, en cas de retour dans leur pays, exposés à de sérieux préjudices au sens de l'art. 3 LAsi,
qu'il ne ressort en outre du dossier aucun indice d'un risque pour eux d'être soumis en cas de renvoi à un traitement prohibé par l'art. 3 CEDH ou par l'art. 3 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Conv. torture, RS 0.105),
que pour les motifs qui suivent (cf. l'exposé sous l'angle de l'exigibilité), les éléments de santé soulevés par les recourants ne sont a fortiori pas décisifs sous l'angle de la licéité,
que l'exécution du renvoi s'avère donc licite (art. 83 al. 3 LEI ; cf. Jurisprudence et informations de la Commission suisse de recours en matière d'asile [JICRA] 1996 no 18 consid. 14b/ee p. 186 s. et jurisp. cit.),
qu'elle est également raisonnablement exigible, dans la mesure où elle ne fait pas apparaître une mise en danger concrète des recourants (art. 83 al. 4 LEI ; cf. ATAF 2011/50 consid. 8.1 8.3 et jurisp. cit.),
que la Géorgie, exception faite des régions sécessionnistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, dont les recourants ne proviennent pas, ne connaît pas une situation de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée, qui permettrait de présumer, à propos de tous les ressortissants provenant de cet Etat - et indépendamment des circonstances de chaque cas particulier - l'existence d'une mise en danger concrète, au sens d'un préjudice subi ou craint émanant de l'être humain,
que les recourants sont jeunes ; que l'intéressé en particulier est apte à travailler et au bénéfice d'un certain bagage scolaire et qu'il peut se prévaloir d'une expérience professionnelle,
que, de plus, et bien que cela ne soit pas décisif en l'espèce, ils disposent d'un réseau familial sur place et ils ont dû se créer un réseau social qu'il leur sera loisible de réactiver,
que certes, selon les rapports médicaux versés au dossier, la recourante souffre d'un (...) et d'une (...), avec antécédents de nombreuses interventions chirurgicales, ainsi que d'un état anxieux dépressif sévère,
qu'outre un traitement médicamenteux, elle bénéficie d'un traitement pluridisciplinaire englobant une psychothérapie, ainsi que de la physiothérapie périnéale, en gynécologie, de l'apprentissage de techniques de relaxation et d'un suivi sexologique, d'un dépistage régulier des infections urinaires, associé à leur traitement, des investigations en néphrologie et d'un suivi au moins mensuel en médecine de premier recours,
qu'il ressort par ailleurs qu'elle n'aurait pas bénéficié en Géorgie de soins adaptés, dans le sens où des diagnostics erronés ont été posés et où elle a subi des traitements lourds, tant en termes médicamenteux qu'en termes d'actes chirurgicaux invasifs, ayant eux-mêmes induit des complications, des effets secondaires et une iatrogénicité propre,
que quant à l'enfant des intéressés, il bénéficie d'un suivi pédopsychiatrique, en raison d'un trouble anxio-dépressif important,
que les problèmes de santé de la recourante et de son fils ne sont toutefois pas susceptibles de faire obstacle à l'exécution du renvoi,
que la Géorgie dispose en effet d'infrastructures médicales offrant des soins médicaux essentiels, y compris pour les troubles psychiques, ainsi que d'une assurance maladie universelle gratuite (cf. notamment arrêts du Tribunal D-6930/2018 du 20 décembre 2018 p. 7 et jurisp. cit. ; E-360/2018 du 26 février 2018 p. 8 ss et réf. cit.),
qu'il est rappelé que, par soins essentiels, il faut entendre les soins de médecine générale et d'urgence absolument nécessaires à la garantie de la dignité humaine (cf. JICRA 2003 n° 24 consid. 5b ; ATAF 2011/50 consid. 8.3),
que cette définition des soins essentiels tend en principe à exclure les soins avancés relativement communs et les soins coûteux, les soins devant consister en principe en des actes relativement simples, limités aux méthodes diagnostiques et traitements de routine relativement bon marché, les soins vitaux ou permettant d'éviter d'intenses souffrances demeurant toutefois réservés (cf. Gabrielle Steffen, Soins essentiels, Un droit fondamental qui transcende les frontières ?, Bâle 2018, p. 150 ss),
qu'en effet, l'art. 83 al. 4 LEI est une disposition exceptionnelle tenant en échec une décision d'exécution du renvoi, et ne saurait être interprété comme une norme qui comprendrait un droit de séjour lui-même induit par un droit général d'accès en Suisse à des mesures médicales visant à recouvrer la santé ou à la maintenir, au simple motif que les structures de soins et le savoir-faire médical dans le pays d'origine ou de destination de l'intéressé n'atteignent pas le standard élevé que l'on trouve en Suisse,
qu'il ne suffit donc pas en soi de constater, pour admettre l'inexigibilité de l'exécution du renvoi, qu'un traitement prescrit sur la base de normes suisses ne pourrait être poursuivi dans le pays de l'étranger,
qu'eu égard à la définition des soins essentiels précitée, la tradition humanitaire de la Suisse n'a pas vocation à s'appliquer en faveur de ressortissants de pays tiers qui ont mis à profit l'exemption de l'obligation d'être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres de l'espace Schengen pour des séjours de courte durée (inférieurs à 90 jours sur toute période de 180 jours), pour entrer en Suisse et y solliciter un droit de séjour de longue durée en vue d'y accéder gratuitement à des soins coûteux, voire à des traitements de médecine de pointe inconnus dans leur pays, et d'améliorer ainsi leurs chances de guérison d'une maladie préexistante (cf. arrêt du Tribunal E-6609/2018 du 4 décembre 2018 p. 7),
qu'en l'occurrence, le système de santé en Géorgie a connu une importante restructuration ces dernières années et de grands progrès ont été réalisés, de sorte que le traitement de la plupart des problèmes physiques et psychiques y est désormais possible, même s'il ne correspond pas aux standards suisses ; qu'il y a de plus lieu de relever que, depuis février 2013, l'« Universal Health Care » garantit une couverture d'assurance-maladie gratuite pour toutes les personnes qui en étaient auparavant dépourvues (cf. arrêt du Tribunal E-6441/2018 du 4 janvier 2019 consid. 4.4.5 et réf. cit.),
que certes, les médicaments sont, en tout ou en partie, à la charge des patients (cf. E-360/2018 p. 9),
qu'il existe néanmoins des aides additionnelles pour le remboursement de médicaments contre des maladies chroniques en faveur de personnes vulnérables,
que la « Social Service Agency » peut en outre prendre en charge la totalité des frais médicaux pour les personnes les plus vulnérables de la société géorgienne,
que, de manière générale, tous les types de médicaments que l'on trouve sur le marché européen sont disponibles sur ordonnance, sous leur forme originale ou générique,
que le traitement et le suivi des maladies mentales sont gratuits en Géorgie,
que même si les psychiatres et les psychologues sont peu nombreux à travailler selon les connaissances scientifiques les plus récentes, beaucoup suivant encore les préceptes de l'ancienne école soviétique, il n'en demeure pas moins que le suivi psychiatrique y est assuré,
que, pour le reste, la réhabilitation des centres hospitaliers et d'autres structures médicales déjà en place, de même que la construction de nouveaux hôpitaux, grâce à la levée d'importants moyens financiers, ont aussi entraîné une amélioration considérable du réseau de santé, la majorité des habitants du pays ayant désormais la possibilité de consulter un médecin dans de bonnes conditions,
qu'en particulier, depuis 2011, plusieurs établissements offrant des traitements psychiatriques, notamment à Tbilissi, ont été réhabilités et équipés, en conformité avec la législation géorgienne et avec les exigences internationales ; que, par ailleurs, plusieurs organisations non gouvernementales, dont le champ d'action concerne précisément l'accompagnement et le soutien des personnes souffrant de maladies psychiques, sont actives en Géorgie (cf. arrêt du Tribunal E-4370/2016 du 14 février 2017 consid. 6.5),
que, dans ce contexte, il y a lieu d'admettre que, même si l'encadrement et le suivi des personnes présentant des pathologies semblables à celles de l'intéressée et de son fils ne correspondent pas dans ce pays à ceux disponibles en Suisse, le suivi n'ayant pas la même qualité, force est de constater que les soins essentiels garantissant des conditions minimales d'existence et des possibilités de traitement existent sur place,
que, dans ces conditions, on ne saurait considérer qu'en cas de renvoi en Géorgie, leur état de santé se dégraderait très rapidement au point de conduire, d'une manière certaine, à la mise en danger concrète de leur vie ou à une atteinte sérieuse, durable, et notablement plus grave de leur intégrité physique, faute de possibilités d'être soignés (cf. ATAF 2011/50 consid. 8.3 et réf. cit.),
qu'une fois dûment enregistrés dans leur pays, les démarches nécessaires pour bénéficier de prestations médicales et sociales ne devraient pas leur poser de difficultés,
qu'il n'y a pas de raison de considérer que les recourants, qui proviennent de la région de E._______, ne pourraient pas, au besoin, s'établir dans une autre région du pays, notamment dans la capitale,
que, cela étant, il leur sera possible, le cas échéant, de se constituer une réserve de médicaments avant leur départ de Suisse et, si cela s'avérait nécessaire, de présenter au SEM, à l'issue de la présente procédure, une demande d'aide au retour au sens de l'art. 93 LAsi, et en particulier une aide individuelle telle que prévue à l'al. 1 let. d de cette disposition et aux art. 73 ss de l'ordonnance 2 du 11 août 1999 sur l'asile relative au financement (OA 2, RS 142.312), en vue d'obtenir, pour un laps de temps convenable, une prise en charge des soins médicaux indispensables,
qu'il y a par ailleurs lieu de rappeler que la péjoration de l'état psychique est une réaction qui peut être couramment observée chez une personne dont la demande de protection a été rejetée, sans qu'il faille pour autant y voir un obstacle sérieux à l'exécution du renvoi ; qu'en outre, selon la pratique du Tribunal, ni une tentative de suicide ni des tendances suicidaires ("suicidalité") ne s'opposent en soi à l'exécution du renvoi, y compris au niveau de son exigibilité, seule une mise en danger présentant des formes concrètes devant être prises en considération (cf. arrêt du Tribunal E-5384/2017 du 4 septembre 2018 consid. 4.3.3) ; que dans l'hypothèse où les tendances suicidaires s'accentueraient dans le cadre de l'exécution forcée, les autorités devraient y remédier au moyen de mesures adéquates, de façon à exclure un danger concret de dommages à la santé (cf. p. ex. arrêts du Tribunal E-1248/2017 du 8 août 2017 consid. 7.05 ; E-859/2017 du 11 juillet 2017 p. 7),
que l'exécution du renvoi est également possible (art. 83 al. 2 LEI ; cf. ATAF 2008/34 consid. 12 p. 513 ss et jurisp. cit), les recourants étant tenu de collaborer à l'obtention de tout document leur permettant de retourner dans leur pays d'origine (art. 8 al. 4 LAsi),
que le recours doit en conséquence être rejeté,
que, s'avérant manifestement infondé, il est rejeté dans une procédure à juge unique, avec l'approbation d'un second juge (art. 111 let. e LAsi),
qu'il est dès lors renoncé à un échange d'écritures, le présent arrêt n'étant motivé que sommairement (art. 111a al. 1 et 2 LAsi),
qu'au vu de de ce qui précède, il n'y a pas lieu de donner suite à la demande de reconsidération de la décision incidente du 17 janvier 2019,
que, vu l'issue de la cause, il y a lieu de mettre les frais de procédure à la charge des recourants, conformément à l'art. 63 al. 1 PA et aux art. 2 et 3 let. a du règlement du 21 février 2008 concernant les frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral (FITAF, RS 173.320.2),
(dispositif page suivante)
le Tribunal administratif fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais de procédure, d'un montant de 750 francs, sont mis à la charge des recourants. Ils sont entièrement couverts par l'avance de frais de même montant versée le 31 janvier 2019.
3.
Le présent arrêt est adressé aux recourants, par le biais de leur mandataire, au SEM et à l'autorité cantonale.
Le juge unique : Le greffier :
Gérald Bovier Alain Romy
Expédition :