Europäischer Gerichtshof für Menschenrechte
Cour européenne des droits de l'homme
Corte europea dei diritti dell'uomo
European Court of Human Rights


SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête N° 24134/94

présentée par Petr VORLICEK, Pavel VORLICEK et

Martin VORLICEK

contre la Suisse

La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 28 février 1996 en présence
de

MM. H. DANELIUS, Président

S. TRECHSEL

Mme G.H. THUNE

MM. G. JÖRUNDSSON

J.-C. SOYER

H.G. SCHERMERS

F. MARTINEZ

L. LOUCAIDES

J.-C. GEUS

M.A. NOWICKI

I. CABRAL BARRETO

J. MUCHA

D. SVÁBY

P. LORENZEN

Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;

Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 21 mars 1994 par Petr VORLICEK, Pavel
VORLICEK et Martin VORLICEK contre la Suisse et enregistrée le
11 mai 1994 sous le N° de dossier 24134/94 ;

Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, apatrides, sont nés à Prague en 1955, 1958 et
1960. Ils sont étudiants et résident dans le canton de Berne, en
Suisse. Ils agissent en personne devant la Commission.

Les faits de la cause, tels que présentés par les requérants,
peuvent se résumer comme suit.

1. Circonstances particulières de l'affaire

Les requérants furent interpellés à la frontière entre la Suisse
et l'Allemagne et remis à la police du canton de Schaffhouse, en
Suisse, le 27 septembre 1991.

Par ordonnances (Strafbefehl) des 9 octobre 1991 et

24 décembre 1992, le juge d'instruction du canton de Schaffhouse
condamna le premier requérant, respectivement les deux autres
requérants, à quatorze jours d'emprisonnement avec sursis pour avoir
enfreint une décision d'expulsion du territoire prise à leur encontre
le 29 octobre 1987 et exécutée en novembre 1990.

Les requérants firent opposition à ces ordonnances auprès du
tribunal du canton de Schaffhouse.

Le 27 mars 1992, le tribunal supérieur du canton de Schaffhouse
rejeta la demande du premier requérant visant à obtenir l'assistance
d'un avocat d'office. Cette décision fut confirmée par le Tribunal
fédéral le 22 septembre 1992.

Par convocations des 2 novembre 1992 et 6 avril 1993, le premier
requérant, respectivement les deux autres requérants, furent invités
à comparaître devant le tribunal du canton de Schaffhouse les
9 décembre 1992 et 9 juin 1993.

Les 2 décembre 1992 et 28 mai 1993, le premier requérant,

respectivement les deux autres requérants, informèrent le tribunal du
canton de Schaffhouse qu'ils ne pourraient se présenter aux audiences,
leurs moyens financiers ne leur permettant pas d'acheter le billet de
train pour le trajet de Berne à Schaffhouse, et sollicitèrent des
autorités qu'elles prennent en charge les frais de déplacement. Les
deuxième et troisième requérants demandèrent en outre l'assistance d'un
avocat d'office.

Les 7 décembre 1992 et 2 juin 1993, le président du tribunal du
canton de Schaffhouse rejeta ces demandes, aux motifs qu'aucune
disposition légale ne permettait aux requérants de prétendre à l'avance
des frais de déplacement par les autorités, que le montant en question,
en l'occurrence 80 FS. environ par personne pour un billet de train
Berne-Schaffhouse et retour, était minime et pouvait être mis à la
charge des requérants sans méconnaître le principe de l'équité. Le
président, après avoir constaté l'absence de motifs de renvoi, décida
par ailleurs de maintenir les audiences aux dates fixées et rappela aux
requérants que leur non-comparution aurait pour conséquence le retrait
de leurs oppositions et l'entrée en force des ordonnances de
condamnation des 9 octobre 1991 et 24 décembre 1992.

Les requérants ne se présentèrent pas aux audiences des

9 décembre 1992 et 9 juin 1993. Par ordonnances des mêmes jours, le
tribunal du canton de Schaffhouse déclara la procédure judiciaire
terminée suite au retrait des oppositions formulées par les requérants
et raya les affaires du rôle, en application des articles 245 et 248
du Code de procédure pénale cantonale.

Par décisions amplement motivées des 7 mai et 27 août 1993, le
tribunal supérieur du canton de Schaffhouse écarta les recours des
requérants, aux motifs notamment que ceux-ci avaient déjà été informés
par les convocations des 2 novembre 1992 et 6 avril 1993 des
conséquences d'une absence injustifiée aux audiences et confirma que
le motif allégué, à savoir l'impossibilité d'acheter un billet de
train, ne suffisait pas à justifier la non-comparution. Le tribunal
supérieur jugea par ailleurs que la procédure avait été conforme aux
exigences de l'article 6 de la Convention.

Par arrêts des 6 septembre et 18 novembre 1993, notifiés les
24 septembre et 10 décembre 1993, le Tribunal fédéral rejeta pour
défaut manifeste de fondement les recours de droit public interjetés
par les requérants.

2. Droit et pratique internes pertinents

Aux termes de l'article 245 par. 1 du Code de procédure pénale
du canton de Schaffhouse, l'ordonnance de condamnation (Strafbefehl)
est définitive et équivaut à un jugement ayant acquis force de chose
jugée lorsqu'aucune opposition n'est formulée à son encontre ou lorsque
toutes les oppositions sont retirées. L'article 248 par. 2 du Code de
procédure pénale cantonale précise que l'absence non excusée aux débats
(unentschuldigtes Ausbleiben) de la personne ayant fait opposition vaut
retrait de son opposition.

Est réputée non excusée l'absence qui ne repose sur aucun motif
pertinent ("Das Ausbleiben ist dann unentschuldigt, wenn die
vorgeladene Person ohne genügende Entschuldigung nicht erscheint").
GRIEFS

Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention, les requérants se
plaignent de ce que le droit d'accès au tribunal a été méconnu en
raison du fait qu'ils n'ont pas été en mesure de comparaître à
l'audience par-devant le tribunal du canton de Schaffhouse suite au
refus des autorités judiciaires de prendre en charge leurs frais de
déplacement. A cet égard, ils allèguent être dans l'indigence et ne
pas disposer de revenus (völlige Mittellosigkeit).

Invoquant l'article 6 par. 2 de la Convention, les requérants
soutiennent par ailleurs que le principe de la présomption d'innocence
a été méconnu en raison du fait qu'aucun tribunal ne s'est prononcé sur
leur culpabilité dans le cadre d'une procédure équitable, leur
condamnation résultant d'une ordonnance pénale du juge d'instruction.
EN DROIT

1. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, les
requérants se plaignent de ce que le droit d'accès au tribunal a été
méconnu en raison du fait qu'ils n'ont pas été en mesure de comparaître
devant le tribunal du canton de Schaffhouse suite au refus des
autorités judiciaires de prendre en charge leurs frais de transport
depuis Berne.

L'article 6 (art. 6) dispose dans ses parties pertinentes :

"1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre
elle. (...)

3. Tout accusé a droit notamment à : (...)

c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur
de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un

défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat

d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent (...)".
La Commission rappelle qu'en matière pénale, l'article 6 par. 3
de la Convention prévoit expressément une aide judiciaire ; celle-ci
ne doit toutefois être accordée que lorsqu'elle s'avère nécessaire
(No 10871/84, déc. 10.7.86, D.R. 48, pp. 154, 189). Il est vrai que
les frais de déplacement ne sont pas explicitement mentionnés par cette
disposition ; néanmoins, il est admis qu'il découle de l'objet et du
but de l'ensemble de l'article 6 (art. 6 ) et de la notion de procès
équitable que l'accusé doit avoir la faculté de prendre part aux débats
(No 10889/84, déc. 11.5.88, D.R. 56, p. 40).

La Commission observe que la question pourrait se poser de savoir
si le droit d'accès au tribunal a été méconnu suite au refus du
tribunal du canton de Schaffhouse de prendre en charge les frais de
déplacement des requérants depuis Berne, lieu de leur domicile.
Toutefois, la Commission relève en l'espèce que les requérants
vivent et étudient en Suisse depuis un certain temps et qu'il est peu
probable, dans ces circonstances, qu'ils ne disposent d'aucun revenu.
La Commission observe à cet égard que les requérants n'ont jamais
fourni d'indications quant à leurs ressources financières. Elle estime
en conséquence que les requérants n'ont pas démontré que les frais de
déplacement pour comparaître à l'audience, d'un montant de 80 FS. par
personne environ, étaient tels qu'ils constituaient une entrave à leur
droit d'accès au tribunal.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée et doit être rejetée, en application de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.

2. Les requérants se plaignent de ce que le principe de la

présomption d'innocence a été méconnu en raison du fait qu'ils n'ont
pas été condamnés par un tribunal dans le cadre d'une procédure
équitable. Ils invoquent l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la
Convention, qui dispose :

"Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie."

Le principe de la présomption d'innocence exige qu'aucun

représentant de l'Etat ne déclare une personne coupable d'une
infraction avant que sa culpabilité ait été établie par un tribunal (No
17265/90, déc. 21.10.93, D.R. 75, p. 76).

La Commission rappelle par ailleurs la jurisprudence des organes
de la Convention selon laquelle l'article 6 (art. 6) n'est pas méconnu
lorsque l'autorité ayant pris la décision litigieuse ne remplit pas les
exigences de cette disposition mais est soumise au contrôle ultérieur
d'un organe judiciaire de pleine juridiction présentant les garanties
en question (Cour eur. D.H., arrêt Belilos du 29 avril 1988, série A
n° 132, p. 30, par. 68 et No 18874/91, déc. 12.1.94, D.R. 76-B, p. 44).
En l'espèce, la Commission relève que les ordonnances pénales du
juge d'instruction du canton de Schaffhouse pouvaient être contestées
par la voie de l'opposition. Or celle-ci ouvrait la voie de la
procédure judiciaire proprement dite, au sujet de laquelle les
requérants n'ont pas allégué que les exigences de l'article 6 (art. 6)
de la Convention n'étaient pas satisfaites.

La Commission observe en outre qu'aux termes du Code de procédure
pénale du canton de Schaffhouse, celui qui ne se présente pas aux
débats, sans indiquer de motifs suffisants, est présumé avoir retiré
son opposition. Elle constate à cet égard que les requérants ont été
informés de ce que le motif qu'ils avançaient, en l'occurrence leur
indigence, ne permettait pas de justifier leur absence et qu'ils ont
été mis en garde à diverses reprises des conséquences de leur non-
comparution. La Commission ne décèle aucun élément d'arbitraire dans
les décisions des autorités.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est également

manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de
la Convention.

Par ces motifs, la Commission, à la majorité,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

Le Secrétaire de la Le Président de la

Deuxième Chambre Deuxième Chambre

(M.-T. SCHOEPFER) (H. DANELIUS)