Europäischer Gerichtshof für Menschenrechte
Cour européenne des droits de l'homme
Corte europea dei diritti dell'uomo
European Court of Human Rights


SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête N° 19889/92

présentée par Bruno ZARBL

contre la Suisse

__________

La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 24 février 1995 en présence de

M.H. DANELIUS, Président

MmeG.H. THUNE

MM.G. JÖRUNDSSON

S. TRECHSEL

J.-C. SOYER

F. MARTINEZ

L. LOUCAIDES

J.-C. GEUS

M.A. NOWICKI

I. CABRAL BARRETO

J. MUCHA

D. SVÁBY

M.K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ;

Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 23 mars 1992 par Bruno Zarbl contre la Suisse et enregistrée le 23 avril 1992 sous le N° de dossier 19889/92 ;
Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ;

Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
21 mars 1994 et les observations en réponse présentées par le requérant le 6 juin 1994 ;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant suisse né en 1913 et domicilié à Ascona (Tessin). Devant la Commission, il est représenté par Me Rudolf Schaller, avocat à Genève.

1. Circonstances particulières de l'affaire

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit :

Le requérant a cotisé pendant trois ans au régime colonial de Sécurité Sociale du Congo belge.

Les ressortissants suisses qui ont versé des cotisations au régime colonial de Sécurité Sociale du Congo belge reçoivent de la Belgique des rentes au niveau du 30 juin 1960, alors que les ressortissants belges notamment ont vu leurs rentes adaptées en fonction du coût de la vie. Cette différence de traitement repose sur la loi dite de garantie du 16 juin 1960 que le Gouvernement belge a promulguée lors de l'accession du Congo belge à l'indépendance. Destinée à assurer la continuité du régime colonial de Sécurité Sociale, cette loi ne prévoit l'indexation des rentes au coût de la vie qu'en faveur des ressortissants belges et de ceux des pays ayant conclu un accord de réciprocité.

N'ayant pu conclure un tel accord, la Suisse a finalement décidé de remédier elle-même à cette situation en allouant une aide aux ressortissants suisses concernés.

Ainsi, le 14 décembre 1990 a été adopté un "arrêté fédéral relatif aux revendications des Suisses du Congo belge et du Ruanda-Urundi en matière de sécurité sociale".

Sur cette base, le Département fédéral des affaires étrangères, autorité d'exécution de l'arrêté, après avoir invité par lettre du 8 février 1991 le requérant à remplir un questionnaire en vue du calcul de l'indemnité, alloua par décision du 30 avril 1991 une indemnité forfaitaire et unique au requérant.

Contre cette décision, le requérant déposa le 25 mai 1991 un recours à la Commission de recours en matière d'indemnités étrangères comme le lui permettait l'arrêté fédéral. Il reprochait au Département fédéral des affaires étrangères d'avoir calculé l'allocation de façon erronée, d'être tombé dans l'arbitraire, d'avoir pris une décision qui n'était pas conforme à l'esprit de la loi et d'avoir procédé à une inégalité de traitement. Sur ce dernier point, il se référait au cas d'une dame M. allèguant qu'elle avait été traité différemment.

Statuant en dernier ressort, la Commission de recours en matière d'indemnités étrangères rejeta le recours du requérant le 17 septembre 1991. Cette décision lui fut notifiée le 24 septembre 1991.

2.Eléments de droit interne

Aux termes de l'article 2 al. 1 lit. a de l'arrêté fédéral relatif aux revendications des Suisses du Congo belge et du Ruanda-Urundi en matière de sécurité sociale du 14 décembre 1990, "les bénéficiaires doivent satisfaire aux conditions suivantes :

a. Pour la rente de vieillesse, avoir atteint 65 ans révolus (hommes) ou 62 ans révolus (femmes) au 31 décembre 1994."

GRIEFS

1.Le requérant se plaint de ce que les autorités d'exécution de l'arrêté fédéral ne sont pas des tribunaux, qu'il n'a pas été statué publiquement et équitablement; il se plaint également de ne pas avoir eu accès à un tribunal. Il invoque les articles 6 par. 1 et 13 de la Convention.

2.Il se plaint également de ce que l'arrêté fédéral consacre une discrimination du fait qu'il subordonne l'octroi de l'aide financière à une limite d'âge différente selon le sexe, et que la Commission de recours n'a pas examiné son reproche à cet égard. Il invoque l'article 14 de la Convention en liaison avec les articles 6 et 8 (en substance 3).
3.Il se plaint finalement de ce que le non-accès à un juge porte atteinte à la dignité humaine et invoque l'article 8 (en substance 3) de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

La requête a été introduite le 23 mars 1992 et enregistrée le 23 avril 1992.
Le 12 janvier 1994, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé, en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 21 mars 1994 et le requérant y a répondu le 6 juin 1994, après prorogation du délai initialement imparti.
EN DROIT

1.Le requérant se plaint de ce que les autorités d'exécution de l'arrêté fédéral ne sont pas des tribunaux, qu'il n'a pas été statué publiquement et équitablement ; il se plaint également de ne pas avoir eu accès à un tribunal. Il invoque les articles 6 par. 1 et 13 de la Convention.
La partie pertinente de l'article 6 par. 1 de la Convention se lit ainsi:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil..."

Et l'article 13 se lit ainsi:

"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un

recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles."

Le Gouvernement fait remarquer que le requérant n'a invoqué devant la Commission de recours en matière d'indemnités étrangères aucune violation de la Convention ni expressément ni en substance. Il n'a invoqué que de pures questions techniques liées au calcul du montant de l'allocation.
Le requérant admet qu'il n'a pas soulevé expressément tous ses griefs dans son recours. Il rappelle cependant qu'il a fait valoir que la première décision était "arbitraire", qu'elle n'était pas conforme à l'esprit de la loi et qu'elle était contraire à la promesse du Conseil fédéral de réparer le dommage subi par les Suisses du Congo. Il avait soulevé en outre le grief de l'inégalité de traitement en indiquant le cas de Madame M.. Il estime donc avoir fait valoir ses griefs en substance devant la Commission de recours en matière d'indemnités étrangères. Le requérant estime qu'il aurait été inutile de soulever les griefs relatifs à l'absence de procès devant un tribunal indépendant et à l'absence de publicité parce que la Commission de recours en matière d'indemnités étrangères n'est qu'une autorité d'exécution comme elle l'a elle-même indiqué dans sa décision et parce que l'article 113 alinéa 3 de la Constitution fédérale, dont on admet qu'il s'impose à toutes les autorités, interdit le contrôle de constitutionnalité des lois fédérales et également leur contrôle de "conventionnalité".

La Commission constate que le requérant se plaint principalement de ne pas avoir eu accès à un tribunal pour la détermination de ses droits de caractére civil. Elle rappelle cependant qu'elle a déjà eu l'occasion de constater, lors de l'examen de la requête N° 16744/90, Max Studer et autres c/Suisse, que la Commission de recours en matière d'indemnités étrangères pouvait être tenue pour un tribunal indépendant. Etant donné que le requérant pouvait soumettre son affaire à ladite Commission de recours, son grief tiré de l'absence d'accès à un tribunal manque de fondement.
S'agissant du grief tiré du défaut de publicité de la Commission de recours, la Commission note qu'à aucun moment le requérant n'a soulevé cette question devant ladite Commission.

Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée conformément à l'article 27 par. 2 de la Convention.
2.Dans la mesure où le requérant allègue l'inéquité de la procédure, la Commission n'a décelé aucun motif pouvant l'amener à penser que la cause du requérant n'a pas été examinée équitablement par la Commission de recours. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement dépourvue de fondement au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention.

3.Le requérant se plaint de ce que le non-accès à un juge porte atteinte à la dignité humaine et invoque l'article 8 (en substance 3) de la Convention.
L'article 3 de la Convention se lit ainsi:

"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants."

La Commission n'a décelé dans la cause aucun fait pouvant laisser croire qu'une violation de cette disposition s'est produite.

Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée conformément à l'article

27 par. 2 de la Convention.

4.Le requérant se plaint de ce que l'arrêté fédéral consacre une discrimination du fait qu'il subordonne l'octroi de l'aide financière à une limite d'âge différente selon le sexe, et que la Commission de recours n'a pas examiné son reproche à cet égard. Il invoque l'article 14 de la Convention en liaison avec les articles 6 et 8 (en substance 3).
L'article 14 de la Convention se lit comme suit:

"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."
La Commission rappelle que cette disposition n'interdit la discrimination que dans les droits et libertés garantis par la Convention (No 10733/84, déc. 11.3.85, D.R. 41 p. 211) mais que cela ne signifie pas cependant qu'il soit nécessaire de constater au préalable une violation de ces droits pour que l'article 14 puisse être appliqué (N° 5849/72, Rap. 1.10.75, D.R. 3 p. 25 ; N° 5935/72, déc. 30.9.75, D.R. 3 p. 46).

La Commission estime également que le Protocole N° 1 à la Convention n'entre pas en considération en l'espèce dès lors que la Suisse ne l'a pas ratifié.
Elle est donc appelée à rechercher si le requérant a fait l'objet d'une discrimination dans les droits qui lui sont garantis par l'article 6 de la Convention.

La Commission constate que l'arrêté fédéral relatif aux revendications des Suisses du Congo belge et du Ruanda-Urundi en matière de sécurité sociale du 14 décembre 1990 prévoit à son article 2 al. 1 lit. a que "(...) les bénéficiaires doivent satisfaire aux conditions suivantes : a. Pour la rente de vieillesse, avoir atteint 65 ans révolus (hommes) ou 62 ans révolus (femmes) au 31 décembre 1994".

La Commission rappelle toutefois que l'article 6 de la Convention ne garantit que des droits procéduraux et n'assure par lui-même aucun contenu matériel aux "droits et obligations de caractère civil".

Il est vrai que la législation subordonne l'octroi de l'allocation forfaitaire à une limite d'âge différente selon le sexe mais la Commission relève qu'aucune discrimination n'a atteint le requérant dans sa possibilité de faire examiner sa cause par les autorités qui en ont été saisies.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée conformément à l'article 27 par. 2 de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

Le Secrétaire de laLe Président de la

Deuxième ChambreDeuxième Chambre

(K. ROGGE) (H. DANELIUS)