Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
6P.109/2006
6S.225/2006 /rod

Arrêt du 8 août 2006
Cour de cassation pénale

Composition
MM. les Juges Wiprächtiger, juge présidant,
Kolly et Karlen.
Greffier: M. Vallat.

Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Yvan Jeanneret, avocat,
contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3.

Objet
6S.225/2006
Blanchiment d'argent (art. 305bis ch. 2
SR 311.0 Code pénal suisse du 21 décembre 1937
CP Art. 305bis - 1. Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.455
1    Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.455
2    Dans les cas graves, l'auteur est puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.459
a  agit comme membre d'une organisation criminelle ou terroriste (art. 260ter);
b  agit comme membre d'une bande formée pour se livrer de manière systématique au blanchiment d'argent461;
c  réalise un chiffre d'affaires ou un gain importants en faisant métier de blanchir de l'argent.
3    Le délinquant est aussi punissable lorsque l'infraction principale a été commise à l'étranger et lorsqu'elle est aussi punissable dans l'État où elle a été commise.462
CP)

6P.109/2006
Art. 9
SR 101 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
Cst. Art. 9 Protection contre l'arbitraire et protection de la bonne foi - Toute personne a le droit d'être traitée par les organes de l'État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi.
Cst. (procédure pénale; arbitraire)

pourvoi en nullité (6S.225/2006) et recours de droit public (6P.109/2006) contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève du 7 avril 2006.

Faits:
A.
Par arrêt du 1er juin 2005, la Cour correctionnelle sans jury du Canton de Genève a reconnu X.________, expert-comptable de nationalité suisse et française né en 1950, coupable d'abus de confiance aggravé (art. 138 ch. 1
SR 311.0 Code pénal suisse du 21 décembre 1937
CP Art. 138 - 1. Quiconque, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, s'approprie une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui a été confiée,
1    Quiconque, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, s'approprie une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui a été confiée,
2    Si l'auteur agit en qualité de membre d'une autorité, de fonctionnaire, de tuteur, de curateur, de gérant de fortunes ou dans l'exercice d'une profession, d'une industrie ou d'un commerce auquel les pouvoirs publics l'ont autorisé, il est puni d'une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
CP), de faux dans les titres (art. 251 ch. 1
SR 311.0 Code pénal suisse du 21 décembre 1937
CP Art. 251 - 1. Quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite,
1    Quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite,
2    Abrogé
CP) et de diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 ch. 1
SR 311.0 Code pénal suisse du 21 décembre 1937
CP Art. 164 - 1. Le débiteur qui, de manière à causer un dommage à ses créanciers, diminue son actif
1    Le débiteur qui, de manière à causer un dommage à ses créanciers, diminue son actif
2    Le tiers qui, dans les mêmes conditions, se livre à ces agissements de manière à causer un dommage aux créanciers est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
CP). Elle l'a condamné à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement, assortie du sursis à l'exécution avec un délai d'épreuve de cinq ans. En outre, elle l'a notamment condamné à payer, solidairement avec son coaccusé condamné à deux ans d'emprisonnement, un montant de 21'575'000 francs avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 1997 à la masse en faillite de Y.________ SA.

La Cour correctionnelle a en revanche acquitté X.________ de l'accusation de blanchiment d'argent. L'accusation était en relation avec les titres LHSP que le recourant et son coaccusé avaient fait acheter pour 4'750'000 dollars américains par la société Y.________ SA qu'ils géraient et qu'ils s'étaient par la suite appropriés pour les vendre. Il leur était notamment reproché d'avoir fait transiter les fonds ainsi obtenus par divers comptes ouverts au nom de sociétés panaméennes et au nom de leurs proches. La Cour correctionnelle a certes retenu que ces actes commis entre septembre 1997 et février 1998 constituaient des opérations de blanchiment. Toutefois, après avoir retenu que la circonstance aggravante du métier (art. 305bis ch. 2 let. c
SR 311.0 Code pénal suisse du 21 décembre 1937
CP Art. 305bis - 1. Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.455
1    Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.455
2    Dans les cas graves, l'auteur est puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.459
a  agit comme membre d'une organisation criminelle ou terroriste (art. 260ter);
b  agit comme membre d'une bande formée pour se livrer de manière systématique au blanchiment d'argent461;
c  réalise un chiffre d'affaires ou un gain importants en faisant métier de blanchir de l'argent.
3    Le délinquant est aussi punissable lorsque l'infraction principale a été commise à l'étranger et lorsqu'elle est aussi punissable dans l'État où elle a été commise.462
CP) ne pouvait pas être retenue faute de gain important, elle a constaté que l'infraction simple était prescrite.
B.
Le Ministère public a interjeté un pourvoi en cassation auprès de la Cour de cassation cantonale. Par arrêt du 7 avril 2006, celle-ci a partiellement admis le pourvoi, annulé le jugement en tant qu'il libère X.________ et son coaccusé du grief de blanchiment par métier, et renvoyé la cause à la Cour correctionnelle pour qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants.
C.
X.________ a interjeté un recours de droit public et un pourvoi en nullité auprès du Tribunal fédéral. Il a requis l'octroi de l'effet suspensif à ses deux recours. Invité à se déterminer sur le pourvoi, le Ministère public a conclu à son rejet.

Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
L'arrêt attaqué n'est pas une décision finale qui met fin à la cause au plan cantonal. Toutefois, la Cour de cassation retient dans ses attendus que la Cour correctionnelle a violé la loi en ne retenant pas la circonstance aggravante du métier, et cette dernière est liée par les considérants de la Cour de cassation (art. 356 al. 1 CPP/GE). Il y a donc lieu de retenir que l'arrêt attaqué tranche définitivement, au plan cantonal, une question de droit fédéral déterminante pour le sort de la cause. La voie du pourvoi est dès lors ouverte (ATF 128 IV 34 c. 1a p. 35) et, par réflexe, aussi celle du recours de droit public, nonobstant le défaut de préjudice irréparable (ATF 128 I 177 c. 1 p. 179).
I. Recours de droit public
2.
Dans le recours de droit public, le recourant se plaint de la violation de la garantie constitutionnelle d'être traité sans arbitraire par les organes de l'État (art. 9
SR 101 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
Cst. Art. 9 Protection contre l'arbitraire et protection de la bonne foi - Toute personne a le droit d'être traitée par les organes de l'État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi.
Cst.). Il fait grief à la Cour de cassation d'avoir appliqué arbitrairement le droit de procédure cantonal en modifiant l'état de fait retenu par la Cour correctionnelle (cf. ATF 128 I 177 c. 2 p. 182): Alors que cette dernière avait retenu qu'il n'était pas démontré qu'ils avaient, lui et son coaccusé, l'intention d'agir ou auraient agi pour d'autres fonds que ceux provenant de la vente des titres LHSP précédemment acquis par eux de manière délictuelle, la Cour de cassation aurait, semble-t-il, implicitement retenu qu'ils avaient l'intention de réitérer de tels actes de blanchiment dans un nombre indéterminé de cas.

Le grief est infondé. La Cour de cassation ne s'est, sur ce point, pas écartée de l'état de fait retenu par la Cour correctionnelle. L'arrêt attaqué ne retient pas, ni expressément ni implicitement, que le recourant avait l'intention de blanchir d'autres fonds que ceux provenant des titres LHSP.
3.
Le recours étant rejeté, le recourant supporte les frais de la procédure (art. 156
SR 101 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
Cst. Art. 9 Protection contre l'arbitraire et protection de la bonne foi - Toute personne a le droit d'être traitée par les organes de l'État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi.
OJ). La requête d'effet suspensif est sans objet.
II. Pourvoi en nullité
4.
Le recourant se plaint d'une violation de la let. c de l'art. 305bis ch. 2
SR 311.0 Code pénal suisse du 21 décembre 1937
CP Art. 305bis - 1. Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.455
1    Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.455
2    Dans les cas graves, l'auteur est puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.459
a  agit comme membre d'une organisation criminelle ou terroriste (art. 260ter);
b  agit comme membre d'une bande formée pour se livrer de manière systématique au blanchiment d'argent461;
c  réalise un chiffre d'affaires ou un gain importants en faisant métier de blanchir de l'argent.
3    Le délinquant est aussi punissable lorsque l'infraction principale a été commise à l'étranger et lorsqu'elle est aussi punissable dans l'État où elle a été commise.462
CP, définissant le cas aggravé de blanchiment commis par métier. Il soutient, d'une part, que cette circonstance aggravante n'entre pas en ligne de compte lorsque l'auteur blanchit des fonds provenant de son propre crime, au motif que l'exigence légale de gain important ne peut pas être réalisée puisque l'auteur n'obtient pas de rémunération pour l'activité de blanchiment et donc pas de gain supplémentaire par rapport à celui déjà réalisé grâce au crime commis en amont. Il conteste, d'autre part, avoir agi par métier, faute d'intention de réitérer des actes de blanchiment.
4.1 La circonstance aggravante du métier exige, outre le métier, que l'auteur ait réalisé un chiffre d'affaires ou un gain importants. L'exigence du chiffre d'affaires ou du gain important est alternative; il suffit que l'un des deux soit réalisé. Or le chiffre d'affaires, qui est qualifié d'important s'il atteint 100'000 francs (ATF 129 IV 188 c. 3.1.3 p. 192), correspond au montant blanchi. En l'espèce, il ressort de l'état de fait retenu qu'il correspond au prix de vente des titres LHSP, que Y.________ SA avait acquis pour 4'750'000 dollars américains. Le chiffre d'affaires relatif au blanchiment est donc manifestement important au sens de la loi.
4.2 L'auteur agit par métier lorsqu'il résulte du temps et des moyens qu'il consacre à ses agissements délictueux, de la fréquence des actes pendant une période déterminée, ainsi que des revenus envisagés ou obtenus, qu'il exerce son activité coupable à la manière d'une profession. Il faut que l'auteur aspire à obtenir des revenus relativement réguliers représentant un apport notable au financement de son genre de vie et qu'il se soit, d'une certaine façon, installé dans la délinquance (ATF 129 IV 253 c. 2.1 p. 254).

Le fait que les fonds blanchis par des actes répétés proviennent d'un seul acte criminel, peu importe son auteur, n'exclut pas le métier (arrêt 6S.399/2005 c. 12.2, cité par la Cour de cassation, concernant le cas de fonds provenant du crime d'un tiers). Mais le métier suppose que les actes de blanchiment procurent ou devraient procurer à leur auteur un revenu relativement régulier. Au sujet du revenu régulier acquis par le recourant, l'arrêt attaqué ne contient aucune constatation; il y est seulement relevé que la réalisation d'un gain important n'était pas exclue par le fait que le recourant et son coaccusé ont blanchi de l'argent provenant de leur propre crime. Dans ces circonstances, il ne peut pas être examiné si l'art. 305bis ch. 2 let. c
SR 311.0 Code pénal suisse du 21 décembre 1937
CP Art. 305bis - 1. Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.455
1    Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.455
2    Dans les cas graves, l'auteur est puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.459
a  agit comme membre d'une organisation criminelle ou terroriste (art. 260ter);
b  agit comme membre d'une bande formée pour se livrer de manière systématique au blanchiment d'argent461;
c  réalise un chiffre d'affaires ou un gain importants en faisant métier de blanchir de l'argent.
3    Le délinquant est aussi punissable lorsque l'infraction principale a été commise à l'étranger et lorsqu'elle est aussi punissable dans l'État où elle a été commise.462
CP a été correctement appliqué. Il s'ensuit l'admission du pourvoi.
5.
Il n'est pas prélevé de frais. Une indemnité de 2000 francs est versée au recourant par la caisse du Tribunal fédéral (art. 278
SR 311.0 Code pénal suisse du 21 décembre 1937
CP Art. 305bis - 1. Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.455
1    Quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.455
2    Dans les cas graves, l'auteur est puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.459
a  agit comme membre d'une organisation criminelle ou terroriste (art. 260ter);
b  agit comme membre d'une bande formée pour se livrer de manière systématique au blanchiment d'argent461;
c  réalise un chiffre d'affaires ou un gain importants en faisant métier de blanchir de l'argent.
3    Le délinquant est aussi punissable lorsque l'infraction principale a été commise à l'étranger et lorsqu'elle est aussi punissable dans l'État où elle a été commise.462
PPF). La requête d'effet suspensif est sans objet.
6.
7.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
I. Recours de droit public
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 2000 francs est mis à la charge du recourant.
II. Pourvoi en nullité
3.
Le pourvoi est admis.
4.
L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour de cassation cantonale.
5.
Il n'est pas perçu de frais.
6.
La caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 2000 francs au recourant.
III. Communication
7.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Procureur général du canton de Genève et à la Cour de cassation du canton de Genève.
Lausanne, le 8 août 2006
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le juge présidant: Le greffier: