Bundesverwaltungsgericht
Tribunal administratif fédéral
Tribunale amministrativo federale
Tribunal administrativ federal


Cour VI

F-5870/2018

Arrêt du 8 juillet 2019

Blaise Vuille (président du collège),

Composition Gregor Chatton, Yannick Antoniazza-Hafner, juges,

Marie-Claire Sauterel, greffière.

A._______,

Parties représentée par Philippe Stern, Entraide Protestante Suisse EPER/SAJE, Rue Enning 4, Case postale 7359, 1002 Lausanne,

recourante,

Contre

Secrétariat d'Etat aux migrations SEM,

Quellenweg 6, 3003 Berne,

autorité inférieure.

Refus d'autorisation d'entrée en Suisse
Objet
(visa pour motifs humanitaires).

Faits :

A.
Par courrier du 11 avril 2018 adressé au Secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après : SEM), A._______, ressortissante érythréenne née le 9 avril 1964, a sollicité, par l'intermédiaire de son conseil, la délivrance d'un visa humanitaire en sa faveur, en précisant qu'elle avait quitté son pays pour se rendre en Egypte où elle avait été enregistrée par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et qu'elle souhaitait pouvoir s'installer durablement en Suisse auprès de son fils B._______, ressortissant érythréen né le 26 octobre 1988, titulaire d'une autorisation d'établissement. Par courrier du 19 avril 2018, le SEM lui a indiqué qu'il transmettait son courrier à l'Ambassade de Suisse au Caire pour raison de compétence et qu'elle pouvait y déposer une demande. Tout en attirant son attention sur le fait que les conditions pour l'octroi d'un visa humanitaire ne semblaient pas être réalisées en l'espèce, le SEM a relevé que sa décision était expressément réservée en cas de demande formelle.

B.
Par formulaire daté du 20 juillet 2018, A._______ a, par l'intermédiaire de son conseil, sollicité à l'Ambassade de Suisse au Caire la délivrance d'un visa humanitaire. A l'appui de sa requête, elle a en particulier mis en avant sa situation précaire en Egypte, en tant que femme seule, et sa volonté de rejoindre son fils en Suisse.

La représentation susmentionnée a refusé de donner une suite favorable à cette requête par décision du 20 août 2018.

C.
Le 4 septembre 2018, A._______, agissant par l'entremise de son mandataire, a formé opposition, auprès du SEM, contre la décision de l'Ambassade du 20 août 2018, au motif qu'elle souhaitait rejoindre son fils en Suisse et que son intégrité physique et psychique était en danger en Egypte, où elle vivait seule.

D.
Par prononcé du 20 septembre 2018, le SEM a rejeté l'opposition formée par la prénommée et confirmé le refus d'autorisation d'entrée en Suisse rendu par l'Ambassade de Suisse au Caire.

Dans la motivation de son prononcé, l'autorité inférieure a constaté en premier lieu que l'intéressée ne remplissait pas les conditions posées à la délivrance d'un visa uniforme pour l'Espace Schengen. Le SEM a ensuite considéré que A._______ ne se trouvait pas dans une situation d'une gravité telle qu'elle justifierait l'octroi d'un visa pour des motifs humanitaires en sa faveur. Dans ce contexte, le SEM a en particulier estimé que la vie et l'intégrité physique de la requérante n'étaient pas directement, sérieusement et concrètement menacées en Egypte où elle s'était faite enregistrer auprès de l'UNHCR, qui devait lui garantir une certaine protection. Ainsi, la situation de l'intéressée ne rendait pas indispensable l'intervention des autorités helvétiques au moyen de la délivrance d'un visa humanitaire.

E.
Par acte du 12 octobre 2018, A._______, agissant par l'entremise de son mandataire, a formé recours, auprès du Tribunal administratif fédéral (ci-après : le Tribunal ou le TAF), contre la décision du SEM du 20 septembre 2018, en concluant à son annulation et à l'octroi de l'autorisation requise.

A l'appui de son recours, l'intéressée a en particulier exposé qu'en 2007, après que son fils B._______ eut déserté l'armée érythréenne, elle aurait été emprisonnée en représailles, puis libérée contre une somme d'argent, puis en 2014, lorsque l'une de ses filles avait fui l'Erythrée pour se soustraire à ses obligations militaires, elle aurait à nouveau été incarcérée pour une durée de deux mois environ, puis libérée contre une somme d'argent. Ne se sentant pas en sécurité, elle aurait quitté son pays en août 2018 [recte 2017] pour se rendre en Egypte, où elle séjourne depuis lors. Selon la recourante, la situation des réfugiés Erythréens en Egypte n'est cependant pas facile, ceux-ci faisant l'objet de discriminations à cause de leur couleur de peau. Par ailleurs, la plupart des femmes réfugiées travailleraient comme employées de maison, dans un secteur qui n'est pas régulé et où elles peuvent faire l'objet de harcèlement.

F.
Appelée à prendre position sur le recours de A._______, l'autorité intimée en a proposé le rejet dans sa réponse du 15 novembre 2018, en relevant que le pourvoi ne contenait aucun élément ou moyen de preuve nouveau susceptible de modifier son point de vue.

Invitée à se prononcer sur ce préavis, la recourante n'y a donné aucune suite.

G.
Les autres éléments contenus dans les écritures précitées seront examinés, si nécessaire, dans les considérants en droit ci-dessous.

Droit :

1.

1.1 Sous réserve des exceptions prévues à l'art. 32 LTAF, le Tribunal, en vertu de l'art. 31 LTAF, connaît des recours contre les décisions au sens de l'art. 5 PA, prises par les autorités mentionnées à l'art. 33 LTAF. En particulier, les décisions en matière de refus d'autorisation d'entrée prononcées par le SEM - lequel constitue une unité de l'administration fédérale telle que définie à l'art. 33 let. d LTAF - sont susceptibles de recours au Tribunal qui statue définitivement (cf. art. 1 al. 2 LTAF en relation avec l'art. 83 let. c ch. 1 LTF).

1.2 A moins que la LTAF n'en dispose autrement, la procédure devant le Tribunal est régie par la PA (cf. art. 37 LTAF).

1.3 La recourante a qualité pour recourir (art. 48 al. 1 PA). Présenté dans la forme et les délais prescrits par la loi, le recours est recevable (cf. art. 50 et 52 PA).

2.
La recourante peut invoquer devant le Tribunal la violation du droit fédéral, y compris l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation, la constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents ainsi que l'inopportunité de la décision entreprise, sauf lorsqu'une autorité cantonale a statué comme autorité de recours (cf. art. 49 PA). L'autorité de recours n'est pas liée par les motifs invoqués par les parties (cf. art. 62 al. 4 PA), ni par les considérants de la décision attaquée (cf. Moser et al., Prozessieren vor dem Bundesverwaltungsgericht, Handbücher für die Anwaltspraxis, Tome X, 2ème éd., 2013, n° 3.197). Aussi peut-elle admettre ou rejeter le pourvoi pour d'autres motifs que ceux invoqués. Dans son arrêt, elle prend en considération l'état de fait existant au moment où elle statue (cf. ATAF 2014/1 consid. 2).

3.
La politique des autorités suisses en matière de visa joue un rôle très important dans la prévention de l'immigration clandestine (cf. à ce sujet
le Message du Conseil fédéral concernant la loi sur les étrangers du 8 mars 2002, FF 2002 3469, p. 3493). Aussi, elles ne peuvent accueillir tous les étrangers qui désirent venir dans ce pays, que ce soit pour des séjours de courte ou de longue durée, et peuvent donc légitimement appliquer une politique restrictive d'admission (cf. ATF 135 I 143 consid. 2.2 ; voir également arrêt du TAF F-7224/2016 du 10 octobre 2017 consid. 3).

D'une manière générale, la législation suisse sur les étrangers ne garantit pas de droit ni quant à l'entrée en Suisse, ni quant à l'octroi d'un visa. Comme tous les autres Etats, la Suisse n'est en principe pas tenue d'autoriser l'entrée de ressortissants étrangers sur son territoire. Sous réserve des obligations découlant du droit international, il s'agit d'une décision autonome (cf. le Message précité, FF 2002 3469, p. 3531 ; voir également ATF 135 II 1 consid. 1.1, concernant une autorisation de séjour ; ATAF 2014/1 consid. 4.1.1 et 2009/27 consid. 3).

4.
L'ancienne ordonnance du 22 octobre 2008 sur l'entrée et l'octroi de visas (aOEV, RO 2008 3087) a été remaniée et remplacée par l'ordonnance du 15 août 2018 sur l'entrée et l'octroi de visas, entrée en vigueur le 15 septembre 2018 (OEV, RS 142.204). L'art. 70 OEV prévoit que le nouveau droit s'applique aux procédures pendantes à la date de son entrée en vigueur.

4.1 En se fondant sur l'art. 5 al. 4 LEtr (RS 142.20 ; étant précisé que depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2019, du deuxième volet de la modification de la LEtrdu 16 décembre 2016 [RO 2018 3171], cette loi a une nouvelle dénomination, à savoir loi fédérale sur les étrangers et l'intégration [LEI]) - qui constitue une base légale suffisante (cf. ATAF 2018 VII/5 consid. 3.6.1) - le Conseil fédéral a introduit un nouvel art. 4 al. 2 OEV, à teneur duquel un étranger qui ne remplit pas les conditions de l'al. 1 peut être, dans des cas dûment justifiés, autorisé pour des raisons humanitaires à entrer en Suisse en vue d'un long séjour. C'est le cas notamment lorsque sa vie ou son intégrité physique est directement, sérieusement et concrètement menacée dans son pays de provenance.

4.2 L'art. 4 al. 2 OEV règle les conditions d'octroi du visa humanitaire en faveur d'un étranger qui dépose auprès d'une représentation suisse une demande d'entrée dans ce pays. Cette réglementation fait suite à une jurisprudence que le Tribunal avait rendue afin de combler une lacune résultant du constat, par la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après : CJUE), selon lequel l'octroi de visas humanitaires pour un long séjour relevait du seul droit national et échappait partant à l'art. 25 du Code des visas (arrêt CJUE C-638/16, X et X contre Etat belge [Grande chambre] ; cf. aussi les arrêts du TAF F-5646/2018 consid. 3 et F-7298/2016 du 19 juin 2017 consid. 4.2 et 4.3). Ainsi, il sied de distinguer le visa national de long séjour pour des motifs humanitaires (visa national D), au sens de l'art. 4 al. 2 OEV, du visa de court séjour n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, lequel relève de l'acquis de Schengen (art. 3 al. 4 OEV et 25 du Code des visas ; cf. arrêt du TAF F-5646/2018 consid. 3.6.2).

4.3 Les « motifs humanitaires » débouchant sur la délivrance d'un visa de long séjour sont donnés si, dans un cas d'espèce, il est manifeste que la vie ou l'intégrité physique d'une personne sont directement, sérieusement et concrètement menacés dans son pays d'origine ou de provenance. L'intéressé doit se trouver dans une situation de détresse particulière qui rend indispensable l'intervention des autorités, d'où la nécessité de lui accorder un visa d'entrée en Suisse. Tel peut être le cas, par exemple, dans les situations de conflit armé particulièrement aiguës ou lorsqu'une personne cherche à échapper à une menace personnelle bien réelle (cf. arrêts du TAF F-5646/2018 du 1er novembre 2018 consid. 5.3.2, E-6889/2014 du 20 août 2015 consid. 2.6).

4.4 Cela étant, si l'intéressé se trouve déjà dans un Etat tiers, il y a lieu de considérer, en règle générale, qu'il n'est plus menacé, si bien que l'octroi d'un visa humanitaire pour la Suisse n'est plus indiqué (cf. arrêts précités du TAF F-5646/2018 consid. 3.6.3, 5.3.1 et 5.3.2, E-6889/2014 consid. 2.6).

4.5 La demande de visa doit donc être examinée avec soin et de façon restrictive, en tenant compte de la menace actuelle, de la situation personnelle de l'intéressé et de la situation prévalant dans son pays d'origine ou de provenance (cf. arrêt précité du TAF F-5646/2018 consid. 3.6.3).

4.6 Dans l'examen qui précède, d'autres éléments pourront également être pris en compte, en particulier l'existence de relations étroites avec la Suisse, l'impossibilité pratique et l'inexigibilité objective de solliciter une protection dans un autre pays, ainsi que les possibilités d'intégration des personnes concernées (cf. arrêt précité du TAF F-5646/2018 consid. 3.6.3 et les références citées).

5.
En l'occurrence, la recourante, en tant que ressortissante érythréenne, est soumise à l'obligation de visa pour l'entrée en Suisse, conformément à l'art. 1 par. 1 du règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des Etats membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation (JO L 81/1 du 21 mars 2001). La recourante ne conteste à juste titre pas le refus d'octroi d'un visa Schengen uniforme.

Par ailleurs, la recourante ne peut pas davantage solliciter, en l'état, la délivrance d'un visa humanitaire fondé sur l'art. 25 par. 1 du Code des visas, étant donné que ce type de visa est prévu pour des personnes ayant l'intention de séjourner brièvement dans le pays d'accueil (cf. supra consid. 4.2 in fine).

Partant, l'objet du présent litige est limité à la question de savoir si le SEM était fondé à confirmer le refus de l'octroi d'un visa national de long séjour (« visa humanitaire »), au sens de l'art. 4 al. 2 OEV.

6.
La recourante considère qu'en raison de sa situation personnelle, elle remplit les conditions pour se voir délivrer un visa humanitaire applicable au seul territoire suisse.

6.1 Au vu des pièces du dossier, il appert que A._______ a quitté l'Erythrée et réside depuis août 2017 en Egypte. S'il apparaît certes qu'en tant que femme seule elle y vit dans des conditions précaires, il y a cependant lieu de retenir qu'elle séjourne dans un Etat tiers dans lequel on doit, en principe, considérer qu'elle n'est pas menacée. Ce constat s'impose d'autant plus que l'intéressée réside en Egypte depuis maintenant plus d'un an et demi, et qu'elle ne fait état d'aucune menace particulière à son endroit.

6.2 Le Tribunal n'entend nullement mettre en doute le fait que les conditions de vie en Egypte pour les réfugiés érythréens ne sont pas faciles, en particulier, comme en l'espèce, pour les femmes seules, dont les membres de famille résident à l'étranger. Cela étant, comme relevé ci-avant déjà, l'intéressée n'a cependant produit aucun document qui permettrait de conclure que sa vie ou son intégrité physique seraient directement, sérieusement et concrètement menacées et que sa situation serait plus difficile que celle des autres réfugiés dans cet Etat (dans le même sens, cf. l'arrêt du TAF E-6889/2014 du 20 août 2015 consid. 6.3). Par ailleurs, l'intéressée s'est inscrite auprès du HCR en qualité de réfugiée et elle a ainsi accès aux programmes de soutien des réfugiés du HCR en Egypte. Sur un autre plan, les membres de sa famille résidant à l'étranger, en particulier son fils Sélim Hussein résidant à Payerne au bénéfice d'une autorisation d'établissement, ont la possibilité de lui apporter un soutien moral et financier à distance.

6.3 Partant, sans vouloir remettre en cause les difficultés rencontrées par la recourante en raison notamment de la situation sécuritaire prévalant dans son pays d'origine, des séquelles psychiques causées par le départ de ses enfants à l'étranger, le Tribunal considère que c'est à bon droit que le SEM a retenu que l'intéressée ne se trouvait pas dans une situation de danger imminent justifiant l'octroi d'un visa humanitaire.

7.
Il s'ensuit que, par sa décision du 20 septembre 2018, le SEM n'a ni violé le droit fédéral, ni constaté des faits pertinents de manière inexacte ou incomplète ; en outre, cette décision n'est pas inopportune (cf. art. 49 PA).

En conséquence, le recours est rejeté.

Vu l'issue de la cause, il y aurait lieu de mettre les frais de procédure à la charge du recourant. Toutefois, eu égard aux circonstances particulières du cas, il y sera renoncé en l'espèce, en application de l'art. 63 al. 1 PA en lien avec l'art. 6 let. b du règlement du 21 février 2008 concernant les frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral (FITAF, RS 173.320).

(dispositif page suivante)

Par ces motifs, le Tribunal administratif fédéral prononce :

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de procédure.

3.
Le présent arrêt est adressé :

- à la recourante, par l'intermédiaire de son conseil (Recommandé)

- à l'autorité inférieure, avec dossiers Symic (...) et N (...) en retour.

Le président du collège : La greffière :

Blaise Vuille Marie-Claire Sauterel

Expédition :