Numéro du dossier: BK_B 160/04

Arrêt du 3 novembre 2004 Cour des plaintes

Composition

Les juges pénaux fédéraux Hochstrasser, président Bertossa et Ponti Le greffier Vacalli

Parties

A.______Fehler! Textmarke nicht definiert., plaignant

représenté par Me Niccolò Salvioni,

contre

Ministère public de la Confédération

Objet

Ordonnance de suspension (art. 106 PPF).

Faits:

A. Le 8 avril 2003, le Ministère public de la Confédération (MPC) a ouvert une enquête de police judiciaire contre inconnu, des chefs de blanchiment d'argent, corruption, infractions graves à la loi fédérale sur les stupéfiants (LStup), éventuellement de participation à une organisation criminelle. Cette décision a pour toile de fond diverses livraisons de stupéfiants en France et en Italie qui ont eu lieu au cours des années 1990, auxquelles des policiers de plusieurs pays, dont la Suisse, ont participé comme agents infiltrés. L'ouverture de l'enquête a fait suite à des révélations que l'un de ces agents, le policier tessinois A.______, a transmises au printemps 2003 à un procureur fédéral. Ce policier fait notamment état des déclarations d'un trafiquant qui mettent en cause un ancien collègue de A.______, à savoir le policier B.______. Ce dernier a été interpellé le 11 septembre 2003, inculpé d'infractions graves à la LStup, de blanchiment d'argent et de corruption, puis placé en détention jusqu'au 18 septembre suivant.

B. Le 22 septembre 2004, à l'issue d'une longue enquête, le MPC a décidé de suspendre les recherches, considérant en substance que les soupçons dirigés contre B.______ ne sont pas confirmés. La décision a été notifiée au seul inculpé.

C. A.______ et B.______ sont en litige et de nombreuses procédures les opposent, dont toutes ne sont pas terminées à ce jour. A.______ a également intenté des actions en dommages-intérêts contre la Confédération et contre le Canton du Tessin, par lesquelles il requiert réparation civile du préjudice qu'il dit avoir subi en raison des circonstances qui ont entouré sa mise à l'écart de la police.

D. Dès le 8 avril 2003, l'avocat de A.______ s'est adressé au MPC pour lui dire son intérêt à pouvoir produire, dans les procédures susdites, les éléments ressortant de l'enquête pénale. Il a déclaré se constituer partie civile. Le MPC a pris acte de cette constitution, tout en faisant savoir à l'avocat de A.______ que ce dernier ne saurait obtenir l'accès au dossier, dès lors qu'il n'est qu'une simple personne entendue à titre de renseignement. Par courrier du 22 septembre 2004, soit du même jour que la décision de suspendre les recherches, le MPC a informé A.______ qu'il refusait de le considérer comme partie civile. La décision de suspension ne lui a pas été notifiée.

E. Par acte du 4 octobre 2004, A.______ saisit la Cour des plaintes d'une plainte contre le refus de lui reconnaître la qualité de partie civile. Invoquant l'art. 106 al. 1bis PPF, il conclut à ce que la qualité de victime lui soit reconnue et que la décision de suspension lui soit notifiée, avec ouverture de la voie du recours.

Le MPC conclut au rejet de la plainte, dans la mesure où elle est recevable.

La Cour des plaintes considère en droit:

1. Bien que le plaignant s'en prenne formellement à la décision de lui refuser la qualité de partie civile, il faut constater que, matériellement, sa démarche vise le refus de lui notifier la décision de suspendre les recherches dirigées contre B.______ et, partant, de l'empêcher de faire valoir ses droits contre cette décision.

2. A teneur de l'art. 106 al. 1bis PPF, la décision de suspension doit être notifiée au lésé, ainsi qu'à la victime au sens de la LAVI. Ces personnes peuvent porter plainte dans les dix jours auprès de la Cour des plaintes. Pour sa part, l'art. 105bis al. 2 PPF prévoit que les opérations ou les omissions du procureur général peuvent également faire l'objet d'une plainte. Les art. 214 à 219 PPF sont applicables. Le droit de plainte appartient aux parties, ainsi qu'à toute personne à qui l'opération ou l'omission a fait subir un préjudice illégitime (art. 214 al. 2 PPF). Le délai de plainte est de cinq jours (art. 217 PPF). Si la procédure de plainte contre une décision de suspension est exclusivement régie par l'art. 106 PPF (arrêt du Tribunal fédéral du 9 décembre 2003 [8G.125/2003], publié in SJ 2004 I 229), la question soulevée en l'espèce est celle de savoir si la plainte contre le refus de notifier une telle décision est soumise à la même disposition ou s'il s'agit au contraire d'une omission sujette à la plainte prévue par l'art. 105bis CP. Pour les raisons qui vont suivre, cette question pourra rester indécise car, quelle que soit la solution retenue, la plainte est de toute manière irrecevable.

2.1 Dans la mesure où ses révélations sont à l'origine de l'enquête ordonnée par le MPC, A.______ peut prétendre au statut de dénonciateur au sens de l'art. 100 al. 4 PPF. Ce statut ne suffit toutefois pas à lui ouvrir la voie de la plainte contre une décision mettant un terme aux recherches, s'il ne peut revendiquer de surcroît la qualité de lésé (ATF 128 IV 223; BÄNZIGER/LEIMGRUBER, Le nouvel engagement de la Confédération dans la poursuite pénale, Berne 2001, n. 236 et 237 ad art. 100 PPF et n. 259 ad art. 105bis PPF).

2.2 Jurisprudence et doctrine unanime considèrent qu'en procédure pénale, la qualité de lésé est réservée à celui qui subit un préjudice direct, personnel et immédiat dans ses biens protégés par la norme dont la violation fait l'objet de la poursuite (ATF 117 Ia 135 consid. 2a p. 137 et références; PIQUEREZ, Procédure pénale suisse, Zurich 2000, p. 292 ss; SCHMID, Strafprozessrecht, 4è éd., Zurich/Bâle/Genève 2004, p. 165 ss; voir aussi arrêt du Tribunal fédéral du 21 décembre 2001 [1P.620/2001], consid. 2.1). Or en l'espèce, le plaignant n'allègue aucun fait d'où il pourrait résulter qu'il remplirait les conditions ainsi posées. Il ne saurait d'ailleurs, à l'évidence, prétendre avoir été directement lésé par les infractions de blanchiment ou de corruption, ni encore moins par les violations de la LStup qui ont fait l'objet de l'enquête dirigée contre B.______.

2.3 Faute d'être directement lésé par les comportements imputés à B.______ et qui ont fait l'objet de l'enquête suspendue, A.______ n'a donc pas qualité pour exiger que la décision de suspension lui soit notifiée ni, par conséquent, pour se plaindre de cette décision.

3. La plainte doit ainsi être déclarée irrecevable. En application des art. 156 OJ (applicable par renvoi de l'art. 245 PPF) et de l'art. 3 du règlement du 11 février 2004 fixant les émoluments judiciaires perçus par le Tribunal pénal fédéral (RS 173.711.32) un émolument de fr. 500.-- sera mis à la charge du plaignant.

Par ces motifs, la Cour des plaintes prononce :

1. La plainte est irrecevable.

2. Un émolument de fr. 500.-- est mis à la charge du plaignant.

Bellinzone, le 3 novembre 2004

Au nom de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral

Le président: Le greffier:

Distribution

- Me Niccolò Salvioni

- Ministère public de la Confédération

Indication des voies de recours

Cet arrêt n'est pas sujet à recours.