Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_135/2010

Arrêt du 1er juin 2010
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Reeb et Raselli.
Greffier: M. Kurz.

Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Stéfanie Brun Poggi, avocate, recourant,

contre

B.________ et C.________, représentés par Me Yaël Hayat, avocate, intimés,
Juge d'instruction du canton de Genève, Palais de justice, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, 1204 Genève.

Objet
détention préventive, refus de droit de visite,

recours contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du canton de Genève du 26 mars 2010.

Faits:

A.
A.________, ressortissant français né en 1988, se trouve en détention préventive à Genève depuis le 1er janvier 2010, sous l'inculpation de brigandage, extorsion, prise d'otages et tentative de meurtre. Le matin du 1er janvier 2010, il avait pénétré avec deux comparses, armés et cagoulés, dans une villa à Bernex. Ils avaient neutralisé une femme et sa fille afin de se faire remettre de l'argent. Vers 4h 50 du matin, alors qu'il rentrait à la villa, l'époux avait également été agressé, mais avait réussi à s'échapper. Un échange de coups de feu s'en était suivi, au cours duquel A.________ avait été blessé à la jambe. Ses complices avaient pris la fuite. Interrogé le 3 janvier 2010, A.________ prétendait ne pas connaître l'identité de ses complices, qu'il aurait rencontrés la veille des faits.
Le 15 janvier puis le 12 février 2010, le Juge d'instruction a refusé une autorisation de visite aux parents du prévenu, en raison du risque de collusion. A.________ a recouru à la Chambre d'accusation genevoise.
Le 22 février 2010, le Juge d'instruction a suspendu l'instruction contradictoire et la consultation du dossier à l'égard du prévenu et de son avocat (supersuspension). Cette mesure a été reconduite le 23 mars, puis le 22 avril 2010.

B.
Par ordonnance du 26 mars 2010, la Chambre d'accusation a rejeté le recours dirigé contre le refus d'autorisation de visite. Le prévenu prétendait ne pas connaître ses complices mais ses déclarations n'étaient pas crédibles et compliquaient l'enquête. Il était à craindre que le recourant ne tente d'avertir ses comparses de l'avancement de l'enquête, par le biais de ses parents avec lesquels il était très lié. Un droit de visite surveillé n'était pas envisageable, car le gardien ne pouvait contrôler le contenu des conversations et ignorait les éléments de la procédure. Le risque de collusion devrait être réévalué prochainement afin de permettre au prévenu de pouvoir recevoir la visite de ses parents le plus rapidement possible.

C.
Par acte du 30 avril 2010, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral, avec une demande d'assistance judiciaire et de mesures provisionnelles. Il conclut à l'annulation de l'ordonnance de la Chambre d'accusation et à l'octroi de l'autorisation de visite, au besoin sous surveillance, subsidiairement au renvoi de la cause à la Chambre d'accusation pour nouvelle décision au sens des considérants.
La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Ministère public, le Juge d'instruction et les parties civiles concluent au rejet du recours.
La requête de mesures provisionnelles a été rejetée par ordonnance du 4 mai 2010.
Le recourant a répliqué et maintenu ses conclusions.

Considérant en droit:

1.
Selon l'art. 78 al. 1
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 78 Principe - 1 Le Tribunal fédéral connaît des recours contre les décisions rendues en matière pénale.
1    Le Tribunal fédéral connaît des recours contre les décisions rendues en matière pénale.
2    Sont également sujettes au recours en matière pénale:
a  les décisions sur les prétentions civiles qui doivent être jugées en même temps que la cause pénale;
b  les décisions sur l'exécution de peines et de mesures.
LTF, le recours est ouvert contre les décisions rendues en matière pénale, par quoi on entend toute décision fondée sur le droit pénal matériel ou sur le droit de procédure pénale ou, autrement dit, toute décision en relation avec la poursuite ou le jugement d'une infraction (ATF 133 IV 335 consid. 2 p. 337). Tel est le cas de la décision attaquée, relative au droit de visite du prévenu en détention. Le recourant a qualité pour agir (art. 81 al. 1
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 81 Qualité pour recourir - 1 A qualité pour former un recours en matière pénale quiconque:
1    A qualité pour former un recours en matière pénale quiconque:
a  a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire, et
b  a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, soit en particulier:
b1  l'accusé,
b2  le représentant légal de l'accusé,
b3  le ministère public, sauf pour les décisions relatives à la mise en détention provisoire ou pour des motifs de sûreté, à la prolongation de la détention ou à sa levée,
b4  ...
b5  la partie plaignante, si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles,
b6  le plaignant, pour autant que la contestation porte sur le droit de porter plainte,
b7  le Ministère public de la Confédération et les autorités administratives participant à la poursuite et au jugement des affaires pénales administratives selon la loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif56.
2    Une autorité fédérale a qualité pour recourir si le droit fédéral prévoit que la décision doit lui être communiquée.57
3    La qualité pour recourir contre les décisions visées à l'art. 78, al. 2, let. b, appartient également à la Chancellerie fédérale, aux départements fédéraux ou, pour autant que le droit fédéral le prévoie, aux unités qui leur sont subordonnées, si l'acte attaqué est susceptible de violer la législation fédérale dans leur domaine d'attributions.
LTF). Le recours est également recevable au regard des art. 90 ss
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 90 Décisions finales - Le recours est recevable contre les décisions qui mettent fin à la procédure.
LTF, que l'on considère la décision attaquée comme finale (rendue au terme d'une procédure distincte de l'instruction pénale; art. 90
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 90 Décisions finales - Le recours est recevable contre les décisions qui mettent fin à la procédure.
LTF) ou comme une décision incidente causant un dommage irréparable (art. 93 al. 1
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 93 Autres décisions préjudicielles et incidentes - 1 Les autres décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément peuvent faire l'objet d'un recours:
1    Les autres décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément peuvent faire l'objet d'un recours:
a  si elles peuvent causer un préjudice irréparable, ou
b  si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.
2    En matière d'entraide pénale internationale et en matière d'asile, les décisions préjudicielles et incidentes ne peuvent pas faire l'objet d'un recours.88 Le recours contre les décisions relatives à la détention extraditionnelle ou à la saisie d'objets et de valeurs est réservé si les conditions de l'al. 1 sont remplies.
3    Si le recours n'est pas recevable en vertu des al. 1 et 2 ou qu'il n'a pas été utilisé, les décisions préjudicielles et incidentes peuvent être attaquées par un recours contre la décision finale dans la mesure où elles influent sur le contenu de celle-ci.
LTF).

2.
Le recourant invoque les art. 8
IR 0.101 Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)
CEDH Art. 8 Droit au respect de la vie privée et familiale - 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
1    Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2    Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
CEDH, 10 al. 2 et 13 al. 1 Cst. Il estime que le refus de l'autoriser à recevoir la visite de ses parents ne serait pas fondé sur un risque de collusion concret. L'exercice du droit de se taire, constitutionnellement garanti, ne serait pas assimilable à un risque de collusion, et le recourant aurait admis la plupart des faits qui lui sont reprochés.

2.1 La garantie de la liberté personnelle (art. 10 al. 1
SR 101 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
Cst. Art. 10 Droit à la vie et liberté personnelle - 1 Tout être humain a droit à la vie. La peine de mort est interdite.
1    Tout être humain a droit à la vie. La peine de mort est interdite.
2    Tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l'intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement.
3    La torture et tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants sont interdits.
Cst.) et le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8
IR 0.101 Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)
CEDH Art. 8 Droit au respect de la vie privée et familiale - 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
1    Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2    Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
CEDH et 13 Cst.) permettent aux personnes détenues de recevoir régulièrement des visites des membres de leur famille, dans les limites découlant de la mesure de contrainte qui leur est imposée et du rapport de sujétion spécial qui les lie à l'Etat. Conformément aux exigences de l'art. 36
SR 101 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
Cst. Art. 36 Restriction des droits fondamentaux - 1 Toute restriction d'un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés.
1    Toute restriction d'un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés.
2    Toute restriction d'un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui.
3    Toute restriction d'un droit fondamental doit être proportionnée au but visé.
4    L'essence des droits fondamentaux est inviolable.
Cst., les restrictions à ce droit doivent reposer sur une base légale et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire au but de l'incarcération (ATF 119 Ia 505 consid. 3b p. 507; 118 Ia 64 consid. 2d p. 73). Les exigences inhérentes au but de la détention doivent être examinées dans chaque cas, les restrictions imposées pouvant être d'autant plus sévères que le risque, notamment de collusion, apparaît élevé (ATF 118 Ia 64 consid. 2d p. 73 et les arrêts cités). Par analogie avec la détention préventive, le risque de collusion doit, pour faire échec au droit de visite des proches, présenter une certaine vraisemblance (ATF 123 I 31 consid. 3c p. 36, 117 Ia 257 consid. 4c p. 261), et l'autorité doit indiquer, au moins dans les grandes lignes, en quoi l'exercice de ce droit pourrait compromettre les résultats de l'enquête (cf.
ATF 123 I 31 consid. 2b p. 33/34, 116 Ia 149 consid. 5 p. 152).

2.2 En l'occurrence, le recourant a prétendu, dans un premier temps, qu'il ignorait l'identité de ses deux complices. Ces affirmations, ainsi que les circonstances dans lesquelles il a prétendu les avoir rencontrés apparaissaient pour le moins invraisemblables. Entendu le 9 mars 2010 par la police (puis ultérieurement lors de la confrontation du 30 avril 2010 avec les parties civiles), il a expliqué s'être rendu, avec des comparses, de Nîmes en Haute-Savoie pour y rencontrer la personne qui avait commandité le cambriolage; il a laissé entendre qu'il serait en mesure d'indiquer qui sont ses complices, ainsi que son commanditaire. Il ressort de ces déclarations que le recourant, par crainte pour lui-même ou pour d'autres raisons, tente manifestement de protéger l'ensemble de ses complices, et qu'il pourrait profiter d'un contact avec l'extérieur pour les avertir de l'avancement de l'enquête. Le risque évoqué dans l'ordonnance attaquée, qui est également à la base de la mesure de supersuspension, apparaît ainsi suffisamment concret.

2.3 Le recourant estime que le principe de la proportionnalité serait violé: d'une part il serait possible d'autoriser une visite assortie d'une surveillance; d'autre part, la mesure serait disproportionnée de par sa durée.
La Chambre d'accusation a considéré qu'une visite surveillée par un gardien n'était pas envisageable, car celui-ci ne connaissait pas le contenu de la procédure. Contrairement à ce que prétend le recourant, cette considération n'a rien d'arbitraire dès lors qu'une personne ignorant tout du dossier - au contraire du Juge d'instruction, chargé de la censure du courrier - ne pourrait intervenir en cas d'échange d'informations susceptibles d'alerter les complices du recourant et leur commanditaire, et de leur permettre ainsi d'échapper à la justice. Quant à la durée de la mesure, la cour cantonale en a tenu compte en considérant que le risque de collusion devrait être réexaminé prochainement en fonction de l'avancement de l'enquête afin de permettre au recourant de pouvoir recevoir le plus rapidement possible la visite de ses parents. Pour l'heure, le recourant peut informer ces derniers, en tout cas par écrit, sur son état de santé.

3.
Compte tenu de ce qui précède, le recours doit être rejeté. Le recourant a demandé l'assistance judiciaire. Les conditions en paraissent réunies. Me Stéfanie Brun Poggi est désignée comme avocate d'office, rétribuée par la caisse du Tribunal fédéral. L'octroi de l'assistance judiciaire dispense le recourant du paiement des frais judiciaires (art. 64 al. 1
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 64 Assistance judiciaire - 1 Si une partie ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l'échec, le Tribunal fédéral la dispense, à sa demande, de payer les frais judiciaires et de fournir des sûretés en garantie des dépens.
1    Si une partie ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l'échec, le Tribunal fédéral la dispense, à sa demande, de payer les frais judiciaires et de fournir des sûretés en garantie des dépens.
2    Il attribue un avocat à cette partie si la sauvegarde de ses droits le requiert. L'avocat a droit à une indemnité appropriée versée par la caisse du tribunal pour autant que les dépens alloués ne couvrent pas ses honoraires.
3    La cour statue à trois juges sur la demande d'assistance judiciaire. Les cas traités selon la procédure simplifiée prévue à l'art. 108 sont réservés. Le juge instructeur peut accorder lui-même l'assistance judiciaire si les conditions en sont indubitablement remplies.
4    Si la partie peut rembourser ultérieurement la caisse, elle est tenue de le faire.
LTF), mais non de l'indemnité de dépens allouée aux intimés, parties civiles (art. 68 al. 2
SR 173.110 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) - Organisation judiciaire
LTF Art. 68 Dépens - 1 Le Tribunal fédéral décide, dans son arrêt, si et dans quelle mesure les frais de la partie qui obtient gain de cause sont supportés par celle qui succombe.
1    Le Tribunal fédéral décide, dans son arrêt, si et dans quelle mesure les frais de la partie qui obtient gain de cause sont supportés par celle qui succombe.
2    En règle générale, la partie qui succombe est tenue de rembourser à la partie qui a obtenu gain de cause, selon le tarif du Tribunal fédéral, tous les frais nécessaires causés par le litige.
3    En règle générale, aucuns dépens ne sont alloués à la Confédération, aux cantons, aux communes ou aux organisations chargées de tâches de droit public lorsqu'ils obtiennent gain de cause dans l'exercice de leurs attributions officielles.
4    L'art. 66, al. 3 et 5, est applicable par analogie.
5    Le Tribunal fédéral confirme, annule ou modifie, selon le sort de la cause, la décision de l'autorité précédente sur les dépens. Il peut fixer lui-même les dépens d'après le tarif fédéral ou cantonal applicable ou laisser à l'autorité précédente le soin de les fixer.
LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Stéfanie Brun Poggi est désignée comme avocate d'office du recourant et ses honoraires, arrêtés à 1500 fr., sont supportés par la caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

4.
Une indemnité de dépens de 1500 fr. est allouée aux intimés B.________ et C.________, à la charge du recourant.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Juge d'instruction, au Procureur général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.
Lausanne, le 1er juin 2010
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz