1998 / 16- 133

16. Extraits de la décision de la CRA du 23 mars 1998,
F. M., Rwanda

Art. 3 LAsi : persécution collective dans un contexte de génocide et de guerre civile (cas du Rwanda) ; art. 1 C, ch. 5, al. 2. Conv. : "raisons impérieuses" invocables par les rescapés du génocide tutsi.

1. Les personnes appartenant à l'ethnie tutsi ont été victimes au Rwanda, d'avril à juillet 1994, d'un génocide systématique et organisé, qui doit dès lors être qualifié de persécution collective au sens de la jurisprudence de la Commission (consid. 3).

2. Il est à présumer, de façon générale, que les rescapés de ce génocide, dans la mesure où ils ont traversé des épreuves particulièrement traumatisantes, peuvent se prévaloir de "raisons impérieuses" au sens de l'article 1 C, chiffre 5, 2e alinéa Conv. rendant inexigible un retour dans leur pays d'origine pour des raisons psychologiques et permettant dès lors l'octroi de l'asile ; la situation troublée qui persiste au Rwanda et le risque d'une nouvelle flambée génocidaire renforcent cet obstacle psychologique (consid. 4-5).

Art. 3 AsylG: Kollektivverfolgung im Zusammenhang mit Völkermord und Bürgerkrieg (Ruanda); Art. 1 C, Ziff. 5 Abs. 2. FK: Berufung auf "zwingende Gründe" durch Ueberlebende des Völkermordes an Tutsis.

1. Angehörige der Ethnie der Tutsis waren in Ruanda von April bis Juli 1994 einem systematischen und organisierten Völkermord ausgesetzt, was somit eine Gruppenverfolgung im Sinne der Rechtsprechung der ARK darstellt (Erw. 3).

2. Bei Ueberlebenden dieses Völkermordes, welche besonders traumatisierende Erlebnisse erlitten haben, ist generell das Vorhandensein "zwingender Gründe" im Sinne von Art. 1 C Ziff. 2, Abs. 2 FK zu vermuten, welche eine Rückkehr in das Herkunftsland aus psychischen Gründen unzumutbar erscheinen lassen und deshalb zur Asylgewährung führen; die weiterhin unsichere Lage in Ruanda und die Gefahr eines Wiederaufflammens des Genozids verstärken dieses psychische Hindernis (Erw. 4-5).


1998 / 16- 134

Art. 3
SR 142.31 Asylgesetz vom 26. Juni 1998 (AsylG)
AsylG Art. 3 Flüchtlingsbegriff - 1 Flüchtlinge sind Personen, die in ihrem Heimatstaat oder im Land, in dem sie zuletzt wohnten, wegen ihrer Rasse, Religion, Nationalität, Zugehörigkeit zu einer bestimmten sozialen Gruppe oder wegen ihrer politischen Anschauungen ernsthaften Nachteilen ausgesetzt sind oder begründete Furcht haben, solchen Nachteilen ausgesetzt zu werden.
1    Flüchtlinge sind Personen, die in ihrem Heimatstaat oder im Land, in dem sie zuletzt wohnten, wegen ihrer Rasse, Religion, Nationalität, Zugehörigkeit zu einer bestimmten sozialen Gruppe oder wegen ihrer politischen Anschauungen ernsthaften Nachteilen ausgesetzt sind oder begründete Furcht haben, solchen Nachteilen ausgesetzt zu werden.
2    Als ernsthafte Nachteile gelten namentlich die Gefährdung des Leibes, des Lebens oder der Freiheit sowie Massnahmen, die einen unerträglichen psychischen Druck bewirken. Den frauenspezifischen Fluchtgründen ist Rechnung zu tragen.
3    Keine Flüchtlinge sind Personen, die wegen Wehrdienstverweigerung oder Desertion ernsthaften Nachteilen ausgesetzt sind oder begründete Furcht haben, solchen Nachteilen ausgesetzt zu werden. Vorbehalten bleibt die Einhaltung des Abkommens vom 28. Juli 19514 über die Rechtsstellung der Flüchtlinge (Flüchtlingskonvention).5
4    Keine Flüchtlinge sind Personen, die Gründe geltend machen, die wegen ihres Verhaltens nach der Ausreise entstanden sind und die weder Ausdruck noch Fortsetzung einer bereits im Heimat- oder Herkunftsstaat bestehenden Überzeugung oder Ausrichtung sind. Vorbehalten bleibt die Flüchtlingskonvention vom 28. Juli 1951.6
LAsi: persecuzione collettiva in un contesto di genocidio e di guerra civile (caso del Ruanda); art. 1 C n. 5 cpv. 2 Conv.: motivi gravi cui possono appellarsi i superstiti del genocidio dei tutsi.

1. Le persone appartenenti all'etnia tutsi sono state vittime in Ruanda, tra i mesi di aprile e luglio del 1994, di un genocidio sistematico e organizzato, che dev'essere qualificato di persecuzione collettiva ai sensi della giurisprudenza della CRA (consid. 3).

2. Occorre generalmente presumere che i superstiti di siffatto genocidio, nella misura in cui abbiano vissuto eventi particolarmente traumatizzanti, possano prevalersi di motivi gravi ai sensi dell'art. 1 C n. 5 cpv. 2 Conv., i quali rendono psicologicamente inesigibile un loro ritorno nel Paese d'origine e consentono d'accordare l'asilo; la situazione confusa che perdura in Ruanda ed il rischio che divampi nuovamente il genocidio accentuano l'impedimento psicologico (consid. 4-5).

Résumé des faits :

La requérante a affirmé appartenir à la communauté tutsi et être originaire de Kigoma (préfecture de Gitarama) ; elle aurait vécu à Kigali de 1987 à 1994, pendant la plus grande partie de sa scolarité. En 1993, elle se serait inscrite à l'université ; elle y aurait adhéré à un mouvement de défense des droits de l'homme, dénommé "kanyarwanda", selon elle mal considéré par le régime en place à l'époque. Dans le contexte de troubles ethniques qui existait déjà en 1993-1994, l'intéressée, exposée par ses activités, aurait été contrainte de quitter quelques jours l'université pour se mettre à l'abri.

Dès le 7 avril 1994, au lendemain du début des massacres, elle se serait réfugiée dans la maison d'un coopérant suisse, avec l'aide réticente de soldats de la Mission des Nations Unies (MINUAR). Se retrouvant finalement à plus de dix personnes cachées au même endroit, le groupe de Tutsis dont faisait partie la requérante aurait pu, durant quelques temps, échapper aux militaires des Forces armées rwandaises (FAR) et aux miliciens hutus. Elle aurait entendu, à la radio, son nom cité dans une liste d'étudiants à éliminer ; selon elle, son activité antérieure à l'université l'avait signalée à l'attention des planificateurs des tueries.


1998 / 16- 135

Vers le 15 avril, le groupe aurait été découvert par les miliciens "interhamwe"; ils auraient tué plusieurs des hommes qui se trouvaient là, et auraient menacé de revenir. L'intéressée a expliqué qu'un des miliciens avait intercédé auprès de ses camarades, contre de l'argent, pour que les femmes soient épargnées, et qu'il les avait dissimulées chez lui durant les semaines suivantes, les violant à plusieurs reprises ; l'intéressée a fait valoir qu'elle ne s'était tout d'abord pas sentie à même de relater cet épisode.

Le 4 juillet 1994, immédiatement après la prise de Kigali par le Front patriotique rwandais (FPR), la requérante aurait quitté la ville, puis aurait passé clandestinement la frontière du Burundi, arrivant à Bujumbura le 6 juillet. C'est avec l'aide d'un intermédiaire qu'elle aurait obtenu la délivrance d'un passeport par l'ambassade du Rwanda, le 13 juillet 1994. A la même date, l'intéressée s'est également adressée à la délégation du HCR à Bujumbura, se voyant délivrer une attestation ; munie de ce document et de son passeport, elle serait retournée vers le début août au Rwanda, dans la région de Butare, y restant quatre jours. Par des connaissances rencontrées sur place, elle aurait alors appris la disparition de toute sa famille dans les massacres, dont ses parents et ses six frères et soeurs.

Revenue au Burundi le 8 août 1994, F. M. s'est vu délivrer un visa par l'Ambassade de Suisse, le 25 août suivant. Elle aurait gagné Genève par avion, le 28 août suivant.

Par décision du 21 décembre 1994, l'ODR a rejeté la demande d'asile déposée par l'intéressée, en raison de son manque de pertinence. L'autorité de première instance relève en effet que si la situation vécue par les Tutsis lors du génocide pouvait alors leur valoir l'octroi de l'asile, tel n'est plus le cas, un nouveau gouvernement à dominante tutsi, et auquel participent un certain nombre de Hutus, s'étant installé au pouvoir ; un membre de la communauté tutsi ne peut donc plus nourrir une crainte fondée de persécution. L'ODR a cependant prononcé l'admission provisoire de la requérante, l'exécution du renvoi vers le Rwanda n'apparaissant pas raisonnablement exigible en raison des troubles et désordres qui agitent toujours ce pays.

Dans le recours qu'elle a interjeté contre cette décision, le 31 janvier 1995, F. M. fait valoir que son ancienne appartenance à l'association "kanyarwanda" l'exposait à la persécution tant de l'ancien pouvoir hutu, qui connaissait ses activités, qu'à celle du FPR, que l'association a critiqué. Elle conclut à l'octroi de l'asile. Le 15 septembre 1995, la recourante a complété ses motifs, faisant


1998 / 16- 136

valoir que des raisons impérieuses, dues aux persécutions antérieurement subies, devaient lui valoir l'octroi de l'asile, malgré le changement de circonstances intervenu au Rwanda, dont elle ne voulait dès lors pas se réclamer de la protection (art. 1 C, ch. 5, 2e al. Conv.).

Dans un mémoire complémentaire, F. M. a fait enfin valoir que le gouvernement en place au moment de la décision de l'ODR n'est plus en fonction, ses membres hutus (dont le Premier ministre Twagiramungu) s'étant pour la plupart retirés, et que les troubles s'étaient aggravés ; par ailleurs, les anciens miliciens hutus continueraient à se livrer à des assassinats et à des représailles contre les témoins connus du génocide susceptibles de les incriminer (dont la recourante fait partie), d'où des risques que les autorités rwandaises actuelles ne peuvent écarter. L'intéressée a joint un certificat médical d'où il ressort qu'elle souffre d'un grave état de stress post-traumatique à la suite des événements vécus au Rwanda, plus particulièrement de la perte de toute sa famille.

Dans son préavis, l'ODR a préconisé le rejet du recours ; selon lui, le fait que le gouvernement en place soit composé essentiellement de Tutsis et que les autorités à l'échelon local aient été renouvelées depuis le génocide (contrairement aux dires de l'intéressée) écarte tout risque de persécution.

Le 23 mai 1997, elle a fait valoir que tant ses parents qu'elle-même avaient enduré de longue date, avant 1994, d'incessantes vexations et tracasseries de toute nature en raison de leur origine ethnique ; elle dit craindre des représailles de la part des responsables du génocide, qui connaissent certainement son identité. Elle a adressé à la Commission un certificat médical émanant d'un psychiatre, qui atteste que l'état de stress post-traumatique subsiste.

La CRA a admis le recours.

Extraits des considérants :

3. a) En l'occurrence, la présente demande d'asile doit s'apprécier dans le contexte des événements s'étant déroulés au Rwanda en 1994, et du sort qu'a alors connu la communauté tutsi.



1998 /
16-
137

b) Le 6 avril 1994, en effet, l'avion dans lequel se trouvait le président rwandais, Juvénal Habyarimana, avec son collègue burundais, a été abattu. Cet attentat, dont les responsables n'ont jamais été identifiés avec certitude, a été imputé par les courants les plus radicaux de la communauté hutu et du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), l'ancien parti unique, au Mouvement patriotique rwandais (MPR), l'opposition armée dominée par les Tutsis, et généralement à toute la communauté tutsi. Il y a, en fait, de bonnes raisons de penser que la mort du président Habyarimana devait être imputée à ces éléments radicaux, qui se refusaient à admettre, comme le prévoyaient les accords signés à Arusha (4 août 1993), un partage du pouvoir avec l'opposition. Quoi qu'il en soit, l'attentat a servi de prétexte au déclenchement d'une vague de massacres sans précédent, d'évidence soigneusement préparée, contre toute la communauté tutsi. Menés pour l'essentiel par les milices du MRND (les "interhamwe") et la Garde présidentielle, et avec le concours spontané d'un grand nombre de Hutus et la pleine approbation du nouveau gouvernement, ces massacres ont eu lieu dans des conditions de barbarie sans exemple. Commencés dès le 6 avril, ils
se sont poursuivis pendant environ trois mois, et ont fait, selon les estimations les plus généralement admises, de cinq cent mille à un million de morts (cf. B. Lugan, Histoire du Rwanda de la Préhistoire à nos jours, Lyon 1997, p. 516ss). Des centaines de milliers de Tutsis se sont alors réfugiés dans les pays voisins, principalement la Tanzanie. Dès le début de cette vague de tueries, le FPR a entrepris, à partir de la frontière ougandaise, la conquête militaire du Rwanda, s'emparant de la capitale, Kigali, au début de juillet 1994 ; le mois suivant, il avait le contrôle de tout le pays.

Comme le reconnaît implicitement l'ODR dans la décision attaquée, il est donc clair que les Tutsis, durant cette période [avril-juillet 1994] ont fait l'objet d'une persécution collective, dans le sens où leur seule appartenance ethnique suffisait à mettre en danger, de manière concrète et probable, leur vie ou leur intégrité corporelle (cf. JICRA 1997 no 14, consid. 4d ee, p. 115-116 ; 1996 no 21, p. 208 ss). Cette persécution était d'origine étatique, soit que les autorités aient exécuté elles-mêmes les massacres, soit qu'elles aient favorisé l'action ou laissé sciemment toute latitude dans ce sens à des milices ou à d'autres groupements plus ou moins privés, alors qu'elles auraient eu les moyens de les prévenir, dans une certaine mesure tout au moins. Elle ne laissait de plus aucune possibilité de refuge interne aux personnes visées, tout le territoire rwandais ayant été touché par les tueries. Il s'agissait donc bien, en l'espèce, d'une tentative de génocide, au sens déterminé par la Convention


1998 / 16- 138

des Nations unies du 9 décembre 1948 portant sur cet objet (cf. JICRA 1997 no 14, consid. 4d ee déjà cité).

c) Il doit donc être admis que F. M. a, elle aussi, été victime d'une telle persécution. En effet, pas plus que l'ODR, la Commission ne voit de raisons de mettre en cause la vraisemblance de son récit. L'intéressée a été contrainte de se mettre à l'abri pour sauver sa vie, menacée de manière immédiate ; cette menace pressante s'est prolongée durant trois mois (7 avril - 4 juillet 1994). Une fois découverte par les tueurs, ce n'est qu'en raison de circonstances inattendues qu'elle a pu échapper à la mort, et a ensuite subi d'autres sévices. Le fait qu'elle n'ait relaté que tardivement certains des épisodes qui ont suivi, au stade de la réplique, ne peut en l'espèce entacher leur crédibilité ; en effet, la nature des atteintes alors endurées peut expliquer son silence, et les faits décrits correspondent tout à fait à ce qu'a été, dans les faits, le comportement des milices hutus au printemps 1994 (cf. JICRA 1996 no 17, consid. 5b, p. 155).

4. a) A la date de la présente décision, il est pourtant clair que le récit de la recourante a perdu de sa pertinence, les autorités responsables du génocide n'étant plus en fonction depuis trois ans et demi ; dès juillet 1994, en effet, s'est installé à Kigali un gouvernement dominé par le FPR, comportant une majorité de Tutsis, mais dont plusieurs Hutus modérés faisaient partie. Les changements qui se sont ensuite produit au sein de ce gouvernement et les modifications de l'équilibre du pouvoir (cf. consid. 5 ci-après) ne sont pas de nature à modifier ce constat, ces changements ayant en effet renforcé le pouvoir du FPR.

Se pose dès lors la question de savoir dans quelle mesure la qualité de réfugiée peut être déniée à F. M., au motif qu'elle aurait la possibilité de retourner au Rwanda dans des conditions de sécurité suffisantes, en raison de ce changement fondamental de circonstances.

b) La recourante invoque cependant la disposition de l'article 1 C, chiffre 5, 2e alinéa de la Convention sur les réfugiés du 28 juillet 1951, dite "clause d'exception". Selon cette disposition, si les circonstances à la suite desquelles une personne a été reconnue comme réfugiée ont cessé d'exister, et qu'elle n'a plus de raison de continuer à se refuser de se réclamer de la protection de son pays d'origine, la convention continuera néanmoins de lui être applicable, si elle peut invoquer, pour refuser de se réclamer de cette protection, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures.


1998 / 16- 139

La jurisprudence de la Commission a eu plusieurs fois l'occasion de préciser la portée de cette disposition. Par "raisons impérieuses", il faut entendre que les persécutions constituaient pour les réfugiés des événements traumatisants à long terme (cf. JICRA 1995 no 16, consid. 6d, p. 166), qu'ils aient été soumis à la torture ou à d'autres traitements inhumains ou dégradants, ou, dans les cas graves, qu'ils n'aient pas subi de tels sévices mais éprouvent une difficulté sérieuse à se reconditionner psychologiquement en raison de la gravité des traumatismes subis par leurs proches et des effets à long terme de ces derniers (cf. JICRA 1996 no 10, p. 74 ss). De telles atteintes se traduisent en général par ce que la science médicale appelle un "état de stress post-traumatique", désordre psychologique marquant profondément la personnalité et susceptible de s'étendre sur plusieurs années (cf. pour une définition plus complète JICRA 1997 no 14, consid. 6c ee, p. 121-123).

La jurisprudence a également précisé que l'article 1 C, chiffre 5, 2e alinéa de la Convention est applicable à tous les réfugiés au sens matériel, même avant que leur qualité ait été officiellement reconnue, et pas seulement aux réfugiés statutaires ; en conséquence, cette disposition ne fait pas seulement obstacle à la révocation de l'asile (par le renvoi de l'art. 41
SR 142.31 Asylgesetz vom 26. Juni 1998 (AsylG)
AsylG Art. 41
, 1er
SR 142.31 Asylgesetz vom 26. Juni 1998 (AsylG)
AsylG Art. 1 Gegenstand - Dieses Gesetz regelt:
a  die Asylgewährung und die Rechtsstellung der Flüchtlinge in der Schweiz;
b  den vorübergehenden Schutz von Schutzbedürftigen in der Schweiz und deren Rückkehr.
al., let. b LAsi), mais permet de l'accorder par une décision positive (cf. JICRA 1995 no 16, consid. 6b, p. 161-163 ; 1996 no 42, consid. 7e-7g, p. 371-373).

c) Or, il est en l'espèce manifeste que F. M. a subi un traumatisme de la nature décrite plus haut. Les deux certificats médicaux produits, élaborés à huit mois d'intervalle et émanant de deux thérapeutes différents, posent en effet un diagnostic identique : le premier fait état d'un "stress post-traumatique grave", dont la recourante présente les symptômes caractéristiques (réminiscences et cauchemars, état dépressif, somatisations anxieuses), au point de mettre en danger sa santé mentale ; le second confirme la persistance de cette affection, dont il décrit d'autres effets (émoussement émotionnel, hyperactivité neurovégétative, troubles de la mémoire). La disparition, apparemment complète, de sa famille dans les massacres du printemps 1994 (dont ses parents, cinq soeurs et un frère) n'a pu qu'aggraver et prolonger l'état de stress dont souffre l'intéressée. Il doit donc être considéré comme établi qu'elle remplit les conditions posées par la jurisprudence rappelée ci-dessus et revêt la qualité de réfugiée, bien que les circonstances à la suite desquelles elle a quitté son pays aient en principe disparu.



1998 /
16-
140

5. a) A cela s'ajoute que la situation qui règne aujourd'hui au Rwanda ne fait pas apparaître une stabilisation suffisante de la situation pour qu'un retour dans des conditions de sécurité acceptables soit envisageable.

En effet, les troubles causés par les responsables du génocide (anciens militaires des FAR et miliciens "interhamwe") n'ont jamais réellement cessé depuis 1994. Réfugiés dans un premier temps sur le territoire de l'ex-Zaïre, ils ont entretenu l'insécurité dans l'ouest du Rwanda, procédant à plusieurs incursions meurtrières. Parallèlement, des Tutsis rescapés du génocide, susceptibles d'identifier certains de ses responsables, ont été assassinés en assez grand nombre.

Contrairement aux espérances du gouvernement de Kigali, la chute du président Mobutu et la victoire de l'Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) au Congo (à laquelle le FPR avait apporté son aide) n'a pas mis fin à cette guérilla endémique. Bien plutôt, le niveau d'insécurité s'est sensiblement accru sur le territoire rwandais depuis l'été 1997. Les troubles qui ont alors commencé dans les provinces congolaises du Nord- et du Sud-Kivu, causés par les populations autochtones de ces régions, opposées à ce qu'elles ressentaient comme une suprématie tutsi au sein du gouvernement de l'AFDL, ont favorisé la réorganisation et la nouvelle montée en puissance des groupements hutus venus du Rwanda. Bénéficiant de l'appui des débris des anciennes Forces armées zaïroises (FAZ), et peut-être de mouvements de guérilla analogues originaires du Burundi, ils ont mené depuis quelques mois de véritables attaques en règle contre des camps de réfugiés tutsis sur le sol rwandais et certaines localités (dont Cyangugu, le 11 décembre 1997) ; le 18 novembre 1997, une attaque contre la prison de Giciye, puis en décembre contre une prison de Kigali, ont permis de libérer plusieurs centaines de détenus soupçonnés de participation au
génocide. Depuis l'été 1997, ces incursions auraient fait plus de cinq mille morts. La situation est en voie d'aggravation, les extrémistes hutus paraissant en mesure de créer de véritables "sanctuaires" dans le nord-ouest du pays, avec la complicité de la population locale ; une nouvelle poussée génocidaire n'est pas impossible (cf. Neue Zürcher Zeitung, 14 décembre 1997 ; International Herald Tribune, 29 janvier 1998 ; Nouvel Observateur, 19 février 1998).

Cette persistance du harcèlement mené par les anciens membres des FAR et des "interhamwe" a empêché la vie politique intérieure du Rwanda de se normaliser et a favorisé, parallèlement, une progressive radicalisation du nouveau pouvoir. En août 1995, le Premier ministre Twagiramungu et d'autres


1998 / 16- 141

ministres ont été évincés, et remplacés par des responsables plus proches du FPR, ce qui a renforcé l'emprise de ce dernier sur les rouages de l'Etat. Dès ce moment, et dans la période qui a suivi, Paul Kagame, chef de l'Armée patriotique rwandaise (APR), le bras armé du FPR, a pris de plus en plus d'importance ; à sa fonction de ministre de la Défense, il a joint celle de vice-président. C'est aussi à partir de cette époque que des accusations faisant état de massacres massifs ont commencé à s'élever contre les troupes de l'APR.

b) Les menaces qui pourraient ainsi peser sur la recourante, du fait d'anciens miliciens hutus, ne seraient certes pas de nature à permettre l'octroi de l'asile, car elles n'émaneraient pas de groupes disposant d'une autorité étatique ou quasi-étatique au sens dégagé par la jurisprudence (cf. JICRA 1995 no 2, p. 14 ; no 25 p. 234) et ne seraient ni tolérées ni encouragées par l'Etat. Toutefois, des précédents ont montré que son rôle antérieur au sein d'une association opposée au gouvernement Habyarimana pourrait effectivement lui valoir des représailles, en raison de la notoriété, aussi faible soit-elle, qu'elle aurait ainsi acquise. En outre, vu les traumatismes dont l'intéressée souffre de manière durable, il est clair que ces menaces, revêtant un certain sérieux, ne peuvent que renforcer les obstacles psychologiques à un éventuel retour.

c) En conclusion, il apparaît donc que F. M. réunit en sa personne toutes les exigences mises par la loi à la reconnaissance de la qualité de réfugié; en l'absence de toute cause d'exclusion (art. 6, 8 et 8a LAsi), l'asile doit dès lors lui être accordé.


Entscheidinformationen   •   DEFRITEN
Dokument : 1998-16-133-141
Datum : 23. März 1998
Publiziert : 23. März 1998
Quelle : Vorgängerbehörden des BVGer bis 2006
Status : Publiziert als 1998-16-133-141
Sachgebiet : Ruanda
Gegenstand : Art. 3 LAsi : persécution collective dans un contexte de génocide et de guerre civile (cas du Rwanda) ; art. 1 C, ch. 5,...


Gesetzesregister
AsylG: 1 
SR 142.31 Asylgesetz vom 26. Juni 1998 (AsylG)
AsylG Art. 1 Gegenstand - Dieses Gesetz regelt:
a  die Asylgewährung und die Rechtsstellung der Flüchtlinge in der Schweiz;
b  den vorübergehenden Schutz von Schutzbedürftigen in der Schweiz und deren Rückkehr.
3 
SR 142.31 Asylgesetz vom 26. Juni 1998 (AsylG)
AsylG Art. 3 Flüchtlingsbegriff - 1 Flüchtlinge sind Personen, die in ihrem Heimatstaat oder im Land, in dem sie zuletzt wohnten, wegen ihrer Rasse, Religion, Nationalität, Zugehörigkeit zu einer bestimmten sozialen Gruppe oder wegen ihrer politischen Anschauungen ernsthaften Nachteilen ausgesetzt sind oder begründete Furcht haben, solchen Nachteilen ausgesetzt zu werden.
1    Flüchtlinge sind Personen, die in ihrem Heimatstaat oder im Land, in dem sie zuletzt wohnten, wegen ihrer Rasse, Religion, Nationalität, Zugehörigkeit zu einer bestimmten sozialen Gruppe oder wegen ihrer politischen Anschauungen ernsthaften Nachteilen ausgesetzt sind oder begründete Furcht haben, solchen Nachteilen ausgesetzt zu werden.
2    Als ernsthafte Nachteile gelten namentlich die Gefährdung des Leibes, des Lebens oder der Freiheit sowie Massnahmen, die einen unerträglichen psychischen Druck bewirken. Den frauenspezifischen Fluchtgründen ist Rechnung zu tragen.
3    Keine Flüchtlinge sind Personen, die wegen Wehrdienstverweigerung oder Desertion ernsthaften Nachteilen ausgesetzt sind oder begründete Furcht haben, solchen Nachteilen ausgesetzt zu werden. Vorbehalten bleibt die Einhaltung des Abkommens vom 28. Juli 19514 über die Rechtsstellung der Flüchtlinge (Flüchtlingskonvention).5
4    Keine Flüchtlinge sind Personen, die Gründe geltend machen, die wegen ihres Verhaltens nach der Ausreise entstanden sind und die weder Ausdruck noch Fortsetzung einer bereits im Heimat- oder Herkunftsstaat bestehenden Überzeugung oder Ausrichtung sind. Vorbehalten bleibt die Flüchtlingskonvention vom 28. Juli 1951.6
41
SR 142.31 Asylgesetz vom 26. Juni 1998 (AsylG)
AsylG Art. 41
Stichwortregister
Sortiert nach Häufigkeit oder Alphabet
rwanda • 1995 • monat • burundi • arztzeugnis • heimatstaat • geschwister • bewilligung oder genehmigung • bürgerkrieg • ethnie • ministerpräsident • ort • militärische verteidigung • erhöhung • berechnung • schwerer fall • erste instanz • verlängerung • beschuldigter • stichtag
... Alle anzeigen