S. 342 / Nr. 83 Obligationenrecht (f)

BGE 62 II 342

83. Extrait de l'arrêt de la Ire Section civile du 20 mai 1936 dans la cause
Adout-Balizer et consorts contre Bloch et Wyser.

Regeste:
Contrat de courtage.
Le courtier peut réclamer sa rémunération même s'il n'a pas participé jusqu'au
bout aux tractations ou si un autre courtier a été mis en oeuvre, pourvu que
les pourparlers engagés par lui n'aient pas été définitivement rompus et qu'il
existe un rapport psychologique entre son activité et la décision du tiers.
Lorsqu'un second courtier a été commis parce que les efforts du premier n'ont
pas abouti et que la conclusion du contrat est le résultat de leurs activités
concurrentes et indépendantes, chacun d'eux a droit non au salaire entier,
mais à une rémunération correspondante à la part qui lui revient dans
l'aboutissement de l'affaire.
Les salaires de deux courtiers étant dus en vertu de deux contrats
indépendants, le commettant ne peut se libérer en consignant la somme, sous
prétexte qu'il y a incertitude sur la personne du créancier.

Résumé des faits:
A fin 1928, Balizer chargea Bloch de lui indiquer un acquéreur pour son
immeuble sis à Bâle. Il exigeait tout d'abord un prix de 900000 fr., mais dans
la suite, il éleva ce chiffre à plusieurs reprises jusqu'à 1500000 fr. Il
était convenu que le salaire du courtier serait fixé à 25000 fr., plus 2% du
montant du prix de vente dépassant 1 million de francs. Bloch trouva deux
amateurs, la Société

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générale de consommation des deux Bâle et l'Union suisse de sociétés de
consommation. Il sut amener ces deux sociétés à se concurrencer l'une l'autre
et à formuler des offres de plus en plus élevées. Finalement, en décembre 1929
- janvier 1930, ces deux sociétés offrirent respectivement un million et
1075000 fr. Balizer refusa cependant ces propositions, les estimant
insuffisantes.
En décembre 1930, Balizer était entré en relations avec Wyser et s'était
engagé a lui accorder une commission en cas de vente au comptant de l'immeuble
pour un prix minimum de 1500000 fr. Cette commission était exigible lors du
paiement du prix de vente. Wyser, dont les efforts furent grandement facilités
par l'activité que Bloch avait déployée, put traiter avec la Société générale
de consommation des deux Bâle pour le prix de 1100000 fr.
Wyser et Bloch réclamèrent le salaire convenu, Wyser par 16500 fr., Bloch par
27000 fr. Balizer consigna la somme de 16500 fr. Balizer étant décédé sur ces
entrefaites, Bloch et Wyser actionnèrent ses héritiers, les défendeurs au
présent procès, qui ont conclu au rejet de la demande de Bloch et se
déclarèrent d'accord de verser à Wyser les 16500 fr. consignés. Le Tribunal de
première instance de Genève a rejeté la demande de Bloch et admis celle de
Wyser, les défendeurs étant condamnés à lui verser 16500 fr. plus intérêts à
5% dès le 15 novembre 1931. Statuant sur appel de Bloch et des défendeurs, la
Cour de justice civile a admis la demande de Bloch à concurrence de 5000 fr.
plus intérêts à 5% dès le 28 janvier 1932 et confirmé pour le reste le
jugement de première instance. C'est contre cet arrêt que Bloch et les
défendeurs ont recouru au Tribunal fédéral.
Motifs:
2. ­ Les actions des demandeurs sont toutes deux fondées sur un contrat de
courtage. Selon l'art. 413 al. 1
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 413 - 1 Le courtier a droit à son salaire dès que l'indication qu'il a donnée ou la négociation qu'il a conduite aboutit à la conclusion du contrat.
1    Le courtier a droit à son salaire dès que l'indication qu'il a donnée ou la négociation qu'il a conduite aboutit à la conclusion du contrat.
2    Lorsque le contrat a été conclu sous condition suspensive, le salaire n'est dû qu'après l'accomplissement de la condition.
3    S'il a été convenu que les dépenses du courtier lui seraient remboursées, elles lui sont dues lors même que l'affaire n'a pas abouti.
CO, le courtier a droit à son salaire dès que
l'indication qu'il a donnée ou la négociation qu'il a conduite aboutit à la

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conclusion du contrat. Il faut donc, pour que le courtier puisse prétendre à
un salaire, que son activité soit dans une relation de cause à effet avec la
conclusion du marché. Il n'est pas nécessaire que la décision du tiers de
conclure le contrat soit exclusivement due à l'activité du courtier; mais il
suffit que ce dernier ait contribué à faire naître chez le tiers une des
raisons qui l'ont amené à contracter (cf. REICHEL, die Mäklerprovision, pp.
160 et sv.; RO 57 II p. 194; 61 II p. 80). Par conséquent il n'est pas non
plus nécessaire que le rapport de causalité soit immédiat; il peut au
contraire être interrompu pourvu que demeure le rapport psychologique entre
l'activité déployée par le courtier et la détermination du tiers à traiter
l'affaire (RO 36 II p. 10; 57 II p. 194; arrêt non publié Eigenmann c. Lang,
du 8 octobre 1929). Peu importe donc que le courtier n'ait pas participé
jusqu'au bout aux tractations du vendeur et de l'acheteur et même qu'un autre
courtier ait été mis en oeuvre. Il n'en serait autrement que si l'activité du
premier courtier n'avait abouti à aucun résultat, que les pourparlers aient
été définitivement rompus et que l'affaire ait été finalement conclue sur des
bases toutes nouvelles.
Le fait que deux courtiers ont été successivement mis en oeuvre n'exclut donc
pas que, selon les circonstances, chacun d'eux puisse prétendre à un salaire
si, réalisant les conditions énoncées ci-dessus, il a concouru à
l'aboutissement de l'affaire. Cependant, ainsi que le Tribunal fédéral l'a
récemment jugé (RO 61 II p. 80), lorsqu'un second courtier a été mis en oeuvre
parce que les efforts du premier n'ont pas abouti et que le mérite d'avoir
mené l'affaire à chef ne revient pas exclusivement à ce second courtier ­ la
conclusion du marché ayant été le résultat de leurs activités concurrentes et
indépendantes l'une de l'autre ­ on ne peut, comme le voudrait REICHEL (op.
cit. p. 175), accorder à chacun d'eux l'intégralité du salaire promis pour la
raison que son activité a contribué à amener la conclusion du contrat. Il y a
lieu au contraire de mesurer

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leur activité respective et de déterminer proportionnellement la commission à
leur allouer selon la part qu'ils ont prise à l'aboutissement de l'affaire. Le
juge peut également faire usage, dans de tels cas, de la faculté que lui
accorde l'art. 417
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 417 - Lorsqu'un salaire excessif a été stipulé soit pour avoir indiqué une occasion de conclure un contrat individuel de travail ou une vente d'immeuble, soit pour avoir négocié l'un de ces contrats, il peut être, à la requête du débiteur, équitablement réduit par le juge.
CO, pour réduire le salaire du courtier lorsque la
rémunération promise paraît excessive eu égard à la part de mérite qui lui
revient dans la conclusion du contrat. Ce sera principalement le cas lorsque
le second courtier n'aurait fait que profiter du travail du premier et
prétendrait à la totalité du salaire promis (cf. GUHL, Obligationenrecht, p.
214; OSER, 2e éd. notes 29 à 31 ad art. 413; BEKKER, notes 7 et sv. ad art.
413).
3. ­ C'est en partant de ces prémisses qu'il y a lieu d'examiner les
prétentions des demandeurs.
a) En ce que concerne la demande de Bloch: Bloch, qui a concouru au succès de
l'affaire, a droit à une commission selon les principes énoncés ci-dessus.
Quant au montant de cette commission, il serait inéquitable de lui allouer la
somme de 27 000 fr. qu'il réclame en se fondant sur la promesse de
Flegenheimer des 2 et 9 mai 1929. Il faut tenir compte du fait que Bloch n'a
pas amené à lui seul la conclusion du contrat. D'autre part, la somme de 5000
fr. allouée par la Cour de Justice civile est trop faible en considération de
l'activité déployée par Bloch et du résultat qu'il a atteint en indiquant
l'amateur qui a fini par traiter et qui, par son intermédiaire, avait déjà
offert un prix de 1075000 fr. Il paraît dès lors équitable, en tenant compte
de ces diverses circonstances, d'arrêter à 10000 fr. le salaire auquel Bloch
peut prétendre. Les intérêts moratoires ne sont dus que dès le jour de
l'ouverture d'action, car il n'est pas établi que les détendeurs aient été mis
en demeure avant cette date.
b) En ce qui concerne la demande de Wyser: La somme de 16500 fr., montant du
salaire réclamé par Wyser, n'a jamais été contestée par les défendeurs. Seule
est en litige la question de savoir si les défendeurs doivent des intérêts
moratoires. Ils se prétendent libérés par le

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fait qu'ils ont consigné, le 21 octobre 1931, au Tribunal de Bâle la somme de
16500 fr. représentant ce salaire. C'est avec raison que les premiers juges
n'ont pas admis ce point de vue. En effet, il ne peut en premier lieu être
question d'une demeure de la part de Wyser au sens des art. 91
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 91 - Le créancier est en demeure lorsqu'il refuse sans motif légitime d'accepter la prestation qui lui est régulièrement offerte, ou d'accomplir les actes préparatoires qui lui incombent et sans lesquels le débiteur ne peut exécuter son obligation.
et 92
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 92 - 1 Lorsque le créancier est en demeure, le débiteur a le droit de consigner la chose aux frais et risques du créancier et de se libérer ainsi de son obligation.
1    Lorsque le créancier est en demeure, le débiteur a le droit de consigner la chose aux frais et risques du créancier et de se libérer ainsi de son obligation.
2    Le juge décide du lieu de la consignation; toutefois les marchandises peuvent, même sans décision du juge, être consignées dans un entrepôt.43
CO. Ce
dernier n'a pas refusé la prestation à laquelle il avait droit, qui ne lui a
d'ailleurs pas été offerte. D'autre part il ne pouvait y avoir aucune
incertitude sur la personne du créancier au sens de l'art. 96
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 96 - Le débiteur est autorisé à consigner ou à se départir du contrat, comme dans le cas de la demeure du créancier, si la prestation due ne peut être offerte ni à ce dernier, ni à son représentant, pour une autre cause personnelle au créancier, ou s'il y a incertitude sur la personne de celui-ci sans la faute du débiteur.
CO, car en
examinant soigneusement la situation de fait et de droit, les défendeurs ne
pouvaient raisonnablement avoir de doute à ce sujet (cf. RO 59 II p. 232). En
effet, la prétention de Wyser était fondée sur un contrat indépendant des
engagements liant les défendeurs à Bloch. Cette dernière ne pouvait avoir
aucune répercussion sur les relations de droit existant entre les défendeurs
et Wyser. Ceux-là ont d'ailleurs expressément reconnu la créance de Wyser et
n'ont jamais contesté que celle de Bloch. On doit dès lors admettre que les
défendeurs avaient l'obligation de payer à Wyser sa commission, qui était
échue lors du paiement du prix de vente, intervenu le 15 novembre 1931. Ils
doivent donc des intérêts moratoires dès cette date.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
I. ­ Le recours interjeté par J. Bloch-Lebrecht est admis partiellement en ce
sens que 1) Dame Frieda Adout-Balizer, 2) Dame Hélène Daniel-Balizer, 3)
Raymond Balizer, en leur qualité d'héritiers de feu Josué Balizer, sont
condamnés à payer solidairement à Bloch la somme de 10000 fr. avec intérêts à
5% dès le 28 janvier 1932.
II.­L'arrêt cantonal est confirmé pour le reste.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 62 II 342
Date : 01 janvier 1936
Publié : 20 mai 1936
Source : Tribunal fédéral
Statut : 62 II 342
Domaine : ATF - Droit civil
Objet : Contrat de courtage.Le courtier peut réclamer sa rémunération même s'il n'a pas participé jusqu'au...


Répertoire des lois
CO: 91 
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 91 - Le créancier est en demeure lorsqu'il refuse sans motif légitime d'accepter la prestation qui lui est régulièrement offerte, ou d'accomplir les actes préparatoires qui lui incombent et sans lesquels le débiteur ne peut exécuter son obligation.
92 
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 92 - 1 Lorsque le créancier est en demeure, le débiteur a le droit de consigner la chose aux frais et risques du créancier et de se libérer ainsi de son obligation.
1    Lorsque le créancier est en demeure, le débiteur a le droit de consigner la chose aux frais et risques du créancier et de se libérer ainsi de son obligation.
2    Le juge décide du lieu de la consignation; toutefois les marchandises peuvent, même sans décision du juge, être consignées dans un entrepôt.43
96 
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 96 - Le débiteur est autorisé à consigner ou à se départir du contrat, comme dans le cas de la demeure du créancier, si la prestation due ne peut être offerte ni à ce dernier, ni à son représentant, pour une autre cause personnelle au créancier, ou s'il y a incertitude sur la personne de celui-ci sans la faute du débiteur.
413 
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 413 - 1 Le courtier a droit à son salaire dès que l'indication qu'il a donnée ou la négociation qu'il a conduite aboutit à la conclusion du contrat.
1    Le courtier a droit à son salaire dès que l'indication qu'il a donnée ou la négociation qu'il a conduite aboutit à la conclusion du contrat.
2    Lorsque le contrat a été conclu sous condition suspensive, le salaire n'est dû qu'après l'accomplissement de la condition.
3    S'il a été convenu que les dépenses du courtier lui seraient remboursées, elles lui sont dues lors même que l'affaire n'a pas abouti.
417
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 417 - Lorsqu'un salaire excessif a été stipulé soit pour avoir indiqué une occasion de conclure un contrat individuel de travail ou une vente d'immeuble, soit pour avoir négocié l'un de ces contrats, il peut être, à la requête du débiteur, équitablement réduit par le juge.
Répertoire ATF
62-II-342
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
conclusion du contrat • intérêt moratoire • effort • tribunal fédéral • première instance • examinateur • tennis • calcul • décision • acheteur • action en justice • salaire • rejet de la demande • offre de contracter • bâle-ville • tribunal • doute • quant • vente au comptant • vue
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