S. 81 / Nr. 11 Gleichheit vor dem Gesetz (Rechtsverweigerung) (f)

BGE 61 I 81

11. Arrêt du 8 mars 1935 dans la cause Tremblet contre Tribunal de première
instance de Genève.


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Regeste:
Art. 4 CF: La prononciation d'un jugement ne peut être subordonnée par le juge
civil au paiement préalable de droits d'enregistrement sur les pièces
produites dans l'instance par les parties lorsque ces droits ont le caractère
d'un véritable impôt (et non de simples émoluments).

A. - Par exploit du 25 janvier 1933, Joseph Tremblet assigna Charles d'Auriol
devant le Tribunal de première instance de Genève en concluant à ce qu'il fût
condamné à lui payer la somme de 15 900 fr. avec intérêts de droit.
D'Auriol conclut au rejet de la demande.
La cause fut instruite et plaidée, mais, à l'audience du 14 avril 1934, le
Président du Tribunal avertit les parties que le jugement ne pourrait être
prononcé qu'après enregistrement des pièces produites par elles dans
l'instance.
Par lettre du 28 avril 1934, il a confirmé ce refus en invoquant l'art. 241 de
la loi genevoise sur les contributions publiques, aux termes duquel les actes
ou conventions sous seing privé ne peuvent être mentionnés dans un jugement
«sans avoir été préalablement soumis à l'enregistrement par la partie qui les
produit ou qui en fait état».
Il ajoutait:
«Vous n'ignorez pas qu'il y a quelque temps, M. le

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Président du Département de justice et police a, sur la demande du Département
des finances et contributions, attiré l'attention du Tribunal de première
instance sur cette disposition, dont il a demandé la stricte application.
» Comme on ne saurait envisager la possibilité d'écarter du débat les pièces
qui n'auraient pas été soumises à l'enregistrement et d'en faire abstraction
dans le jugement qui doit mettre fin au litige, il ne reste au juge d'autre
parti à prendre que de prévenir les parties que le jugement ne sera prononcé
qu'une fois enregistrés les actes ou conventions astreints à cette formalité
et visés dans le jugement.»
B. - J. Tremblet a interjeté un recours de droit public fondé sur les art. 4
(:'F et 2 Const. gen. Il conclut à ce que le Tribunal fédéral annule la
décision du 28 avril 1934, déclare que l'art. 241 de la loi genevoise sur les
contributions publiques viole les art. 4 Const. féd. et Const. gen. et invite
le Tribunal de première instance de Genève à prononcer son jugement dans la
cause Tremblet contre d'Auriol.
A l'appui de ces conclusions, le recourant fait valoir qu'en subordonnant la
prononciation d'un jugement au paiement préalable des droits d'enregistrement,
le juge porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et commet un
déni de justice. La disposition de l'art. 241 LC ne l'autorise pas à refuser
de rendre son jugement, mais seulement à faire abstraction des pièces non
enregistrées. Mais, s'il procédait de cette manière, il commettrait un déni de
justice encore plus flagrant. D'après la jurisprudence fédérale (RO 40 I p.472
et 48 III p. 20), le cours de la justice ne peut pas être arrêté pour des
raisons fiscales.
Le Tribunal de première instance a déclaré s'en rapporter à justice. Il fait
observer notamment que c'est à la demande du Département cantonal de justice
et police qu'il a décidé de se conformer strictement à la règle de l'art. 241
Lé qui jusqu'alors n'était appliqué que rarement. S'il est légitime que l'Etat
exerce un certain contrôle sur le paiement des droits fiscaux, il n'est
toutefois pas niable que le système prévu à l'art. 241 présente certains
inconvénients pour

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l'administration de la justice. D'après l'art. 129 de la procédure civile «les
dépens comprennent l'enregistrement. - Cependant il faut observer qu'il
n'existe aucune proportion entre les frais d'enregistrement et l'importance de
la demande; en effet, il arrive que celle-ci, bien que portant sur une faible
différence, seule sujette à contestation, sur des intérêts ou un arrérage,
nécessite l'enregistrement d'un contrat concernant des sommes très élevées. Il
pourrait se produire que les droits fiscaux dépassent le montant de la
demande.»
L'intimé d'Auriol a déclaré s'en rapporter à justice.
Dans ses observations au recours, le Conseil d'Etat de Genève a exposé
notamment que les pièces à l'enregistrement desquelles le Tribunal a
subordonné le prononciation du jugement sont les suivantes:
1. une convention du 4 juillet 1931 passée entre Grenard & Cie et Tremblet,
ayant trait à la vente, pour le prix de 50 000 fr., du fonds de commerce de la
Société Grenard à une nouvelle société,
2. quatre quittances délivrées à Tremblet et portant respectivement sur 10
000, 2500, 5900 et 1600 fr.
Les droits dus pour l'enregistrement de ces pièces étaient calculés de la
manière suivante:
«1° Convention.
» En application de l'article 135 LC, il est perçu un droit de 1% sur les
adjudications, ventes, apports et tous autres actes civils et judiciaires
translatifs à titre onéreux de la propriété au de l'usufruit de biens meubles.
» La vente du commerce de la Société Grenard & Cie à la nouvelle société étant
faite pour une somme de 50000 fr., le montant des droits est ainsi
de... fr. 500.-
»A cette somme de 500 fr. doivent être ajoutés 80 cent. additionnels prévus
par
la Loi budgétaire de l'année 1934 (du 30 décembre 1933), soit...

» 400.-
--- --------
»Les droits d'enregistrement de la Convention se montent ainsi à
fr. 900.-
--- --------

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»2° Quittances.
»L'article 172 disposant que les quittances, les remboursements et tous
autres
actes et écrits portant libération de sommes et de valeurs mobilières sont
soumis au droit de 1 0/00, les droits d'enregistrement de la quittance de
10000
fr. du 16 juillet 1931 se montent
à ... fr. 10.
»A cette somme de 10 fr. doivent s'ajouter 80 cent. additionnels par franc ou
fraction de franc prévus par la même loi budgétaire, ce qui, dans le cas
particulier, représente une
somme de ... fr. 8.
» Le total des droits dus pour l'enregistrement de la première quittance se
monte ainsi à
fr. 18.-
» Les mêmes dispositions appliquées aux trois autres quittances donnent
respectivement, pour chacune d'elles, les droits d'enregistrement de:
»Quittance de 2500 fr. ...» 4.90
»Quittance de 5900» ...» 10.70
»Quittance de 1600» ...» 3.20
»Le total des droits d'enregistrement des différentes pièces produites se
monte
ainsi à
fr. 936.80
Ces droits, dit le Conseil d'Etat, «pourraient être considérés comme des
impôts et non comme des émoluments de justice. Leur montant dépasse en effet
largement les frais d'administration du service public de l'enregistrement
qui, sur des registres appropriés, rend compte du contenu des conventions et
en certifie la date... Cependant l'enregistrement des actes sous seing privé
n'est soumis obligatoirement à cette formalité que pour autant qu'il en est
fait usage en justice... Cela étant, la perception des droits pourrait
également être qualifiée de contribution faite par les plaideurs pour la
couverture des frais d'administration de la justice.»

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Considérant en droit:
1 et 2.- ...
3.- Dans un arrêt précédent (RO 57 I p. 343) le Tribunal fédéral a reconnu
que, pour tous les citoyens, le principe constitutionnel de l'égalité devant
la loi comprend aussi le droit de faire trancher leurs contestations civiles
par le juge compétent et de jouir dans une mesure égale de la protection
juridique de l'Etat dans ces instances. Ce droit, ils doivent toutefois
l'exercer en se conformant aux règles de procédure édictées par les cantons.
Sous réserve du cas d'indigence des justiciables, pour lequel la jurisprudence
a posé des principes spéciaux, les cantons ont notamment le pouvoir de
subordonner l'activité des tribunaux dans le procès au paiement d'émoluments
imposés aux parties, c'est-à-dire de sommes qui sont l'équivalent de
l'activité déployée par le juge dans l'instance (cf., en ce qui concerne la
distinction entre l'émolument (Gebühr) et l'impôt, BLUMENSTEIN, Steuerrecht
vol. I p. 7 et sv.).
En l'espèce, les droits d'enregistrement au montant total de 936 fr. 80
réclamés au recourant n'ont toutefois pas le caractère d'émoluments. Ainsi que
le Conseil d'Etat et le Tribunal de première instance l'ont reconnu, leur
montant est fixé sans égard à l'importance de la cause et des prestations du
juge dans le litige, en tenant compte uniquement de la nature juridique des
actes à enregistrer et des sommes sur lesquelles ils portent. Le Tribunal de
première instance a fait en particulier observer que le montant des droits
peut dépasser parfois celui de la créance litigieuse. Ils ont donc le
caractère d'un véritable impôt sur les transactions et le fait que, lorsque
l'acte à enregistrer est sous seing privé, ils ne sont perçus que dans les cas
visés aux art. 240 al. 2 et 241 LCG (mention dudit acte dans un jugement, un
acte notarié, etc.) ne leur enlève pas ce caractère.
Dans ces conditions, la décision du Tribunal de première

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instance subordonnant la prononciation du jugement dans la cause civile
Tremblet contre d'Auriol et Faillite Grenard & Cie au paiement préalable des
droits d'enregistrement sur les actes visés dans ledit jugement apparaît comme
un acte de coercition exercé sur le recourant en vue de l'astreindre au
paiement d'un impôt. Aucun lien direct n'existant, en conformité de ce qui a
été dit ci-dessus, entre cet impôt et l'activité du juge dans le procès, cette
sanction, que les art. 240 et 241 de la loi genevoise sur les contributions
publiques invoqués par les autorités cantonales ne prévoient d'ailleurs même
pas, restreint, dans une mesure incompatible avec l'art. 4 Const. féd., le
droit constitutionnel du recourant d'obtenir un jugement. Dès lors, elle doit
être annulée. Ce n'est qu'en se conformant aux règles de la loi fédérale sur
la poursuite pour dettes et en particulier à l'art. 43, lequel prescrit que la
poursuite pour impôts «a toujours lieu par voie de saisie ou de réalisation de
gage», que le canton pourra poursuivre, le cas échéant, le recouvrement de sa
créance d'impôt sur le recourant.
4.- Le recourant n'ayant pas fait valoir que la décision attaquée porterait
atteinte à la force dérogatoire du droit fédéral en violant l'art. 10 Cc, le
Tribunal fédéral n'a pas à examiner cette question.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
admet le recours et invite le Tribunal de première instance de Genève à
prononcer son jugement dans la cause Tremblet contre d'Auriol.
Decision information   •   DEFRITEN
Document : 61 I 81
Date : 01. Januar 1935
Published : 08. März 1935
Source : Bundesgericht
Status : 61 I 81
Subject area : BGE - Verfassungsrecht
Subject : Art. 4 CF: La prononciation d'un jugement ne peut être subordonnée par le juge civil au paiement...


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61-I-81
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