S. 8 / Nr. 3 Familienrecht (f)
BGE 58 II 8
3. Arrêt de la IIe Section civile du 11 février 1932 dans la cause Demaurex
contre dame Crausaz.
Regeste:
Art. 177 al. 3 Cc. Obligation assumée par la femme envers un tiers dans
l'intérêt du mari.
A. - Firmin Crausaz était inscrit au registre du commerce du district de la
Glâne depuis le 18 janvier 1916 en qualité de chef d'un commerce d'épicerie,
mercerie et vins à Auboranges. Le 14 septembre 1926, la maison Demaurex frères
à Morges, auprès de laquelle Crausaz se fournissait, a fait signer par les
époux Crausaz la déclaration suivante, intitulée «Nantissement»:
«Monsieur et Madame Crausaz-Perroud, négociants à Auboranges, remettent en
nantissement à MM. Demaurex frères, Denrées coloniales à Morges, une police
d'assurance sur la vie, contractée le 12 mars 1919 auprès de la Paternelle-Vie
à Paris, reprise par la Vita à Zurich, par M. Crausez personnellement au
profit de son épouse, d'un capital de 10000 fr., payable au décès de l'assuré.
Cette police d'assurance est remise en garantie du paiement de marchandises
fournies antérieurement à ce jour, ou qui pourraient l'être postérieurement
par MM. Demaurex frères.
A ce jour il est dû au créancier des marchandises pour environ 15000 fr.
Le nantissement ne suffisant pas à couvrir ce compte de crédit en
marchandises, M. et Mme Crausaz-Perroud
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engagent la généralité de leurs biens, solidairement, les marchandises étant
fournies à eux deux exploitant actuellement le commerce de mi-gros et détail à
Auboranges.»
Le mot «actuellement» a été rayé après coup d'un léger trait de crayon à
encre.
A partir de la signature de cet acte, les fournitures de la maison Demaurex
ont été facturées à «M. et Mme Crausaz».
Le 11 novembre 1929, Firmin Crausaz a été déclaré en faillite. Demaurex frères
sont intervenus dans la faillite pour une somme de 7841 fr. 35. Ils ont refusé
de souscrire à un projet de concordat. L'encaissement de la police d'assurance
et du dividende a réduit le montant de leur créance à 5474 fr. 72.
Par demande du 4 novembre 1930, invoquant l'engagement souscrit par Dame
Crausaz le 14 septembre 1926, ils l'ont assignée en payement de la somme de
5474 fr. 72 avec intérêts à 5% du 13 décembre 1929.
Dame Crausaz a conclu au rejet de la demande en faisant valoir que le commerce
n'avait jamais appartenu qu'à son mari, auquel seul les fournitures avaient
été faites, et que dans ces conditions l'engagement pris aux termes de l'acte
du 14 septembre 1926 constituait en réalité une obligation assumée dans
l'intérêt de son mari et qui, pour être valable, aurait nécessité
l'approbation de l'autorité tutélaire. Cette approbation n'ayant jamais été
donnée, l'acte ne lui était pas opposable.
B. - Par arrêt du 6 octobre 1931, confirmant le jugement rendu par le Tribunal
de première instance, la Cour d'appel du Tribunal cantonal de Fribourg a
débouté les demandeurs de leurs conclusions et les a condamnés aux frais et
dépens.
C. - Les demandeurs ont recouru en réforme en temps utile en reprenant leurs
conclusions.
La défenderesse a conclu au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt.
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Considérant en droit:
Sous réserve de la partie qui a trait à la police d'assurance, il est clair
que l'acte du 14 septembre 1926 ne saurait être envisagé comme un contrat de
constitution de gage, en dépit de son titre et nonobstant la déclaration des
époux Crausaz affirmant «engager la totalité de leurs biens». En tant qu'il
s'agissait de meubles, un engagement, au sens propre du mot, aurait nécessité
une dépossession au profit des créanciers, et telle n'était certainement pas
l'intention des parties. Aussi bien celles-ci n'ont-elles jamais attribué à la
déclaration en question que la valeur d'une simple obligation personnelle.
C'est à bon droit que la Cour d'appel a admis - ce que les recourants ne
contestent d'ailleurs plus actuellement - que la déclaration faite par les
époux Crausaz et selon laquelle les marchandises leur étaient fournies «à eux
deux exploitant actuellement le commerce de mi-gros et détail» ne pouvait tout
au plus se rapporter qu'à l'avenir. Il n'est donc plus contesté que
jusqu'alors les marchandises avaient été livrées à Crausaz, en sa qualité de
chef du commerce, et par conséquent qu'il en était seul débiteur. Il s'ensuit
qu'en ce qui concerne les dettes antérieures au 14 septembre 1926,
l'engagement pris par la défenderesse constituait bien, au sens de l'art. 177
al. Cc «une obligation assumée dans l'intérêt de son mari», autrement dit une
obligation dont la validité était subordonnée à l'approbation de l'autorité
tutélaire.
Que la défenderesse ait pu avoir intérêt à dissuader les demandeurs de
poursuivre son mari et à faciliter, au contraire, la continuation des
fournitures, cela est possible, mais, comme le Tribunal fédéral l'a déjà jugé
(cf. RO 54 II p. 413), il ne suffit pas que la femme retire un avantage
quelconque de l'opération pour ne pouvoir plus invoquer la protection de
l'art. 177 al. 3 Cc: Seul entre en ligne de compte un intérêt juridique. Or il
est constant que, juridiquement parlant, la défenderesse n'a pas été plus
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intéressée dans le commerce de son mari après le 14 septembre 1926 qu'avant.
Ce dernier n'en a pas moins continué, après comme avant, à être inscrit au
registre du commerce comme seul chef de l'entreprise, et il est établi que la
défenderesse n'a fait dans cette entreprise aucune mise quelconque, ni en
espèces, ni sous forme d'apport de son activité. Si tant est qu'elle ait
travaillé au magasin aux côtés de son mari ou en son absence, il résulte des
constatations de l'arrêt qu'il ne s'est jamais agi que d'une aide bénévole, de
la nature de celle à laquelle tout petit commerçant est en droit de s'attendre
de la part de sa femme, et une telle activité ne saurait modifier la situation
juridique de l'épouse relativement aux dettes provenant du commerce.
Il n'est pas nécessaire, d'autre part, de rechercher si la défenderesse, sans
être co-titulaire du commerce, ne pourrait pas être envisagée comme
responsable du payement des marchandises livrées à partir du 14 septembre
1926, par le motif que les opérations auxquelles ces marchandises devaient
donner lieu s'effectueraient pour le compte des deux époux. En effet, ce
serait fausser le sens de l'acte du 14 septembre que de lui faire dire que les
époux devaient, en commun, tirer parti des livraisons effectuées après cette
date. Il se borne à parler d'une exploitation commune d~ commerce et à
considérer la livraison aux deux époux comme la conséquence de ce fait. Du
reste les demandeurs n'ont pas soutenu que la défenderesse serait leur
débitrice, même si elle n'avait jamais été intéressée dans le commerce, et
simplement pour cette raison que les marchandises avaient été achetées par les
deux époux conjointement. Tout au contraire, ils n'ont jamais cessé d'affirmer
qu'ils avaient livré directement à la maison de commerce et pour elle. Mais, à
leur avis, la défenderesse ne serait pas fondée à leur opposer qu'elle n'était
pas intéressée dans le commerce, après avoir déclaré le contraire dans l'acte
du 14 septembre 1926, et alors qu'elle n'a jamais protesté contre le fait
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que les factures étaient libellées au nom des deux époux. Ils ajoutent que
dans tous les cas, c'était à elle à prouver qu'elle n'avait pas d'intérêt dans
le commerce et que cette preuve n'a pas été rapportée. Cela revient à invoquer
l'exception de dol. Or cette exception n'est pas fondée; rien n'autorise à
suspecter la bonne foi de la défenderesse. A la vérité, on ne saurait en dire
autant des demandeurs. Si l'on tient compte que l'acte du 14 septembre 1926 a
été présenté à la signature des époux déjà tout rédigé; qu'en réalité rien ne
permettait alors de dire ni même de supposer qu'il y aurait quoi que ce soit
de changé dans les conditions de l'exploitation du commerce; qu'enfin la
rature du mot «actuellement», sur l'original de la pièce, n'a été l'oeuvre ni
de la défenderesse, ni de son mari et ne pouvait avoir d'autre but que de
faire croire que les époux avaient reconnu avoir exploité le commerce en
commun dès avant le 14 septembre 1926, on ne peut; en effet, s'empêcher de
penser avec le Tribunal de première instance que la combinaison imaginée par
les demandeurs n'était qu'un artifice destiné à éluder la loi.
Il reste donc que, même pour les fournitures effectuées après le 14 septembre
1926, l'engagement pris par la défenderesse n'était ni plus ni moins qu'une
obligation assumée dans l'intérêt du mari et tombait ainsi sous le coup de
l'art. 177 al. 3 Cc.
Le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est rejeté et l'arrêt attaqué est confirmé.