S. 356 / Nr. 57 Obligationenrecht (f)

BGE 58 II 356

57. Arrêt de la Ire Section civile du 28 septembre 1939 dans la cause Bignens
contre Etat de Vaud.

Regeste:
La route est un ouvrage et la corporation de droit public qui en est
propriétaire est soumise à l'art. 58
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag
OR Art. 58 - 1 Der Eigentümer eines Gebäudes oder eines andern Werkes hat den Schaden zu ersetzen, den diese infolge von fehlerhafter Anlage oder Herstellung oder von mangelhafter Unterhaltung verursachen.
1    Der Eigentümer eines Gebäudes oder eines andern Werkes hat den Schaden zu ersetzen, den diese infolge von fehlerhafter Anlage oder Herstellung oder von mangelhafter Unterhaltung verursachen.
2    Vorbehalten bleibt ihm der Rückgriff auf andere, die ihm hierfür verantwortlich sind.
CO. Un ouvrage n'est défectueux que s'il
n'offre pas une sécurité suffisante pour l'usage auquel il est destiné et non
dès qu'il ne présente pas tous les avantages de la technique la plus récente.
Toute source de danger n'est pas un vice de construction ou un défaut
d'entretien, il faut encore que, sans frais disproportionnés, on eût pu éviter
et puisse encore modifier la disposition dangereuse.
Un délai raisonnable, qui ne compromette pas ses finances, doit être laissé à
l'Etat pour adapter aux exigences de la circulation des automobiles les routes
qu'il leur permet d'utiliser.

A. - Le 21 mai 1929, le chauffeur Ciana conduisait sur la route de Genève à
Lausanne le camion de son employeur C. Bignens, négociant, à Genève. Le
véhicule pèse à vide 2500 kg.; il était chargé de 2400 kg. de café. A une
cinquantaine de mètres avant le pont d'Allaman, Ciana, qui circulait à une
vitesse de 30 à 35 km. à l'heure, appuya sur la droite de la route pour
croiser une automobile venant de Lausanne. La roue droite avant du camion
s'engagea dans un petit creux, la voiture dévia vers le

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bord de la chaussée et la roue vint s'enfoncer dans l'accotement. Ciana tenta
en vain de ramener la voiture vers le milieu; elle vint heurter le pont et
tomba dans le fossé à droite.
A l'endroit où le camion a dévié, la route était alors formée d'un lit de
pierres revêtu d'une couche de goudron; la chaussée présentait, sur ses bords,
une bande empierrée non couverte de goudron; en outre, la route était bordée,
à l'extérieur, par une banquette en terre végétale gazonnée (accotement) au
niveau de la chaussée non goudronnée; à la limite entre le goudronnage et la
bande empierrée, se trouvait un chapelet de petits creux, allant jusqu'à huit
cm. de profondeur, mesurés de la surface goudronnée. C'est dans une de ces
cuvettes que la roue du camion est entrée.
B. - Bignens a actionné l'Etat de Vaud devant la Cour civile vaudoise en
paiement de 9414 fr. 50 avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 1929, à titre
d'indemnité pour le dommage causé par l'accident que le demandeur attribue
exclusivement à un défaut d'entretien de la route.
Le défendeur a conclu à libération et la Cour civile, par jugement du 8 avril
1932, a débouté le demandeur en mettant à sa charge les frais et dépens.
Le demandeur a recouru en réforme au Tribunal fédéral, en reprenant ses
conclusions de première instance.
L'intimé a conclu au rejet du recours.
Statuant sur ces faits et considérant en droit:
Le demandeur invoque l'art. 58
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag
OR Art. 58 - 1 Der Eigentümer eines Gebäudes oder eines andern Werkes hat den Schaden zu ersetzen, den diese infolge von fehlerhafter Anlage oder Herstellung oder von mangelhafter Unterhaltung verursachen.
1    Der Eigentümer eines Gebäudes oder eines andern Werkes hat den Schaden zu ersetzen, den diese infolge von fehlerhafter Anlage oder Herstellung oder von mangelhafter Unterhaltung verursachen.
2    Vorbehalten bleibt ihm der Rückgriff auf andere, die ihm hierfür verantwortlich sind.
CO, aux termes duquel le propriétaire d'un
ouvrage répond du dommage causé par des vices de construction ou par le défaut
d'entretien.
Il est de jurisprudence constante que les routes sont des ouvrages au sens de
cette disposition et que les corporations de droit public propriétaires des
routes sont soumises, comme les particuliers, à l'art. 58 (v. RO 56 II p. 92;
49 II p. 472 et la jurisprudence citée; v. aussi Journal des Tribunaux 1928 p.
148 et 151; 1932 p. 131).

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Selon le demandeur, si, à l'endroit où l'accident s'est produit, la route
avait été bien entretenue - aucun vice de construction n'est allégué - la
cuvette où la roue du camion s'est engagée n'eût pas existé, le véhicule n'eût
pas dévié et le dommage ne serait pas survenu.
La Cour civile admet en fait que, si la cuvette n'avait pas existé, il n'y
aurait pas eu d'accident. Cette constatation est conforme aux conclusions des
experts techniques commis par le juge. Elle lie le Tribunal fédéral. De plus -
question de droit - la présence de la cuvette est en relation de causalité
adéquate avec le dommage, car elle a augmenté de façon sensible la possibilité
d'un événement dommageable tel que celui qui s'est produit.
Mais, pour que la responsabilité du défendeur soit engagée, il faut encore -
question de droit également- que le creux soit la conséquence d'un manque
d'entretien de la route, selon l'art. 58. (Il convient de remarquer que la
banquette en terre végétale gazonnée n'est aucunement destinée à la
circulation, même en cas de croisement et que l'on ne saurait dès lors voir le
résultat d'un défaut d'entretien dans le fait que cet accotement a cédé sous
le poids du camion.)
Le demandeur ne critique pas le mode de construction employé (macadam roulé
puis goudronné); il aurait d'ailleurs tort de le faire, car ce type de route
correspondait à l'époque de l'accident au système généralement adopté et
considéré comme répondant aux exigences de la circulation. Ne s'en prenant pas
au type choisi, le demandeur ne saurait se plaindre des inconvénients
inhérents à ce système et inévitables, à dire d'expert, pour les routes au
profil fortement bombé encore très fréquent aujourd'hui et qui, en 1929, était
celui de la route traversant le pont de l'Aubonne. Les coulures de goudron
sont alors inévitables, car le goudronnage doit être limité à la partie
médiane de la route; appliqué sur toute la surface, il s'écoulerait sur les
accotements, y détruirait la végétation utile à leur cohésion et tromperait
les

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conducteurs de véhicules sur la largeur de la chaussée, de sorte qu'ils
pourraient être induits à emprunter le bord non carrossable. Le procédé
employé - goudronnage d'une bande médiane - a pour conséquence nécessaire des
dénivellations entre les coulures du goudron et l'empierrement non goudronné.
Gênantes et parfois même dangereuses pour la circulation des automobiles -
l'expert Freymond l'affirme - ces dénivellations ont fait adopter pour les
constructions nouvelles ou les corrections de route un profil moins bombé.
Le demandeur prétend, à la vérité, que le bon entretien de la route eût exigé
le remplissage des creux qui existaient le 21 mai 1929 près du pont de
l'Aubonne, et il invoque le fait qu'immédiatement après l'accident on a comblé
ces cuvettes (travail de deux hommes pendant moins d'une demi-journée et
environ 30 fr. de frais).
Ce raisonnement ne résiste pas à l'examen. L'important ce n'est pas le coût
d'un garnissage occasionnel de quelques creux, à un endroit déterminé d'une
certaine route, mais le coût total du système consistant à intervenir
immédiatement, sur tout le réseau routier du canton, ou, du moins, sur les
routes de grande circulation, aussitôt qu'une cuvette se forme. Or - l'expert
Freymond le déclare - les bords du goudronnage se dégradent continuellement;
pour réparer les dégâts au fur et à mesure et même pour être simplement
renseigné sans retard sur leur apparition, l'Etat de Vaud aurait dû faire des
dépenses considérables, sans aucun rapport avec les avantages procurés aux
conducteurs de véhicules à moteur; on leur eût seulement permis de ne pas
rouler à une allure très modérée en cas d'empiétement sur la partie non
goudronnée du macadam (par exemple en vue d'un croisement). Dans la règle, les
cuvettes ne sont en effet pas dangereuses en elles-mêmes; elles ne le
deviennent que si on ne les aborde pas avec la prudence voulue. Toute source
de danger d'un ouvrage ne constitue pas un vice de construction ou un défaut
d'entretien selon l'art. 58
SR 220 Erste Abteilung: Allgemeine Bestimmungen Erster Titel: Die Entstehung der Obligationen Erster Abschnitt: Die Entstehung durch Vertrag
OR Art. 58 - 1 Der Eigentümer eines Gebäudes oder eines andern Werkes hat den Schaden zu ersetzen, den diese infolge von fehlerhafter Anlage oder Herstellung oder von mangelhafter Unterhaltung verursachen.
1    Der Eigentümer eines Gebäudes oder eines andern Werkes hat den Schaden zu ersetzen, den diese infolge von fehlerhafter Anlage oder Herstellung oder von mangelhafter Unterhaltung verursachen.
2    Vorbehalten bleibt ihm der Rückgriff auf andere, die ihm hierfür verantwortlich sind.
CO;

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et l'on ne peut, en particulier, parler d'un manque d'entretien que dans le
cas où, sans frais disproportionnés, on aurait pu éviter et pourrait encore
modifier la disposition dangereuse (RO 49 II p. 264; 56 II p. 92; l'arrêt
Millasson contre Commune de Semsales, du 22 décembre 1931, Journal des
Tribunaux 1932 p. 131, ainsi que l'arrêt non publié Häusler contre Thurgovie,
du 30 mars 1932). Un ouvrage n'est défectueux que s'il n'offre pas une
sécurité suffisante pour l'usage auquel il est destiné et non dès qu'il ne
présente pas tous les avantages de la technique la plus récente. On ne saurait
exiger que les cantons transforment d'un jour à l'autre leurs routes en
autostrades. L'arrêt non publié La Bâloise contre Etat des Grisons, du 25
novembre 1930, atténuant les considérants trop absolus de l'arrêt Moneda
contre Tessin, RO 53 II p. 313 et sv., observe que, si, pour des motifs
d'ordre public et de sécurité de trafic, l'Etat doit en vérité adapter aux
exigences de la circulation des automobiles les routes qu'il leur permet
d'utiliser, il peut seulement être tenu de le faire dans un délai raisonnable
qui ne compromette pas ses finances («il compito non potrebbe dello Stato
essere assolto in un giorno, ma richiede opera di più lustri e deve essere
ripartito su parecchi esercizi fiscali».
Or, l'Etat de Vaud dépense chaque année une somme très élevée pour ses routes
(de 1925 à 1930, 33 164 773 fr., soit une moyenne annuelle de 5 527 462 fr.).
Il ne se borne d'ailleurs pas à les entretenir en bon état; il les améliore.
C'est notamment le cas pour la route de Lausanne à Genève. Elle a été
améliorée depuis 1929, mais à cette époque déjà elle était bien entretenue, et
l'on ne saurait dire que son état exposait les camions à des dangers autres
que ceux avec lesquels tout chauffeur doit compter et qu'il peut éviter, en
faisant preuve de la prudence que le propriétaire de la route est en droit
d'exiger de la part de ceux qui l'utilisent. Selon l'expert Cuénod, le
conducteur d'automobile doit s'attendre à rencontrer des cuvettes, non
seulement sur la partie bordant le

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goudronnage, mais sur la partie goudronnée elle-même, et il doit conduire sa
machine en conséquence. L'expert Freymond partage cette manière de voir. Ce
n'est donc pas l'Etat qui n'a point entretenu la route, c'est le chauffeur du
demandeur qui n'a pas eu la prudence voulue. Son allure, d'environ 35 km. à
l'heure, était trop rapide. L'expert Cuénod est catégorique sur ce point: «la
vitesse de 35 à 40 km... admissible en d'autres lieux ou circonstances, était
excessive sur ce parcours, pour un camion pesant plus de quatre tonnes, en
tenant compte de la configuration de la route, de son état et du fait que,
pour croiser un autre véhicule, Ciana devait circuler sur le bord de la
chaussée»... «la route, fortement bombée à l'époque de l'accident, présentait
une succession de virages à gauche et à droite et un étranglement au droit du
pont; elle était connue des habitués (et Ciana en était un) comme dangereuse,
et les chauffeurs prudents la parcouraient à allure modérée».
Etant donné que, pour croiser, Ciana devait passer sur l'empierrement non
goudronné, il lui incombait de prendre garde aux dénivellations et de
ralentir. Si le camion n'avait pas roulé à une vitesse exagérée, il n'aurait
pas dévié: «c'est, dit l'expert Cuénod, au moment où ... Ciana a cherché à
reprendre le milieu de la chaussée... que la roue avant droite a dû heurter le
bord des trous longeant la partie goudronnée, ce qui, sous l'effet de la
vitesse, a produit un ressaut qui a fait dévier le camion». Comme le Tribunal
fédéral l'a déjà posé en principe (RO 57 II p. 311 et Journal des Tribunaux,
1932 p. 67), le conducteur de l'automobile doit constamment adapter sa vitesse
aux conditions de la route. Contrairement à l'opinion du demandeur, ce
principe, consacré par l'art. 25 I de la loi sur la circulation du 15 mars
1932, ne rend nullement impossibles les transports par camions. Ciana n'était
pas obligé de rouler constamment à une allure réduite; il pouvait circuler à
une vitesse normale et il lui suffisait de ralentir dans la mesure voulue
chaque fois que les circonstances l'exigeaient.

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L'excès de vitesse qui doit être mis à la charge du chauffeur différencie la
présente cause de l'affaire Tessin contre Moneda jugée le 27 septembre 1927.
Puis il ne s'agissait pas alors d'un creux au bord du goudronnage, mais de la
saillie d'un rail le long duquel il y avait des «cunette abbastanza profonde
per lo scolo dell'acqua», et des accidents assez graves avaient déjà été
provoqués par le mauvais état de la route sans qu'on y eût remédié. Rien de
pareil n'est établi en l'espèce.
Contrairement à ce que le demandeur semble supposer, la Cour cantonale ne
reproche pas au chauffeur d'avoir tenu sa droite, ni même d'être sorti de la
partie goudronnée de la route, mais bien de n'avoir pas suffisamment ralenti,
étant données les circonstances, et d'avoir causé ainsi l'accident par sa
propre faute.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral: rejette le recoure et confirme le
jugement attaqué.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 58 II 356
Date : 01. Januar 1931
Publié : 28. September 1932
Source : Bundesgericht
Statut : 58 II 356
Domaine : BGE - Zivilrecht
Objet : La route est un ouvrage et la corporation de droit public qui en est propriétaire est soumise à...


Répertoire des lois
CO: 58
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 58 - 1 Le propriétaire d'un bâtiment ou de tout autre ouvrage répond du dommage causé par des vices de construction ou par le défaut d'entretien.
1    Le propriétaire d'un bâtiment ou de tout autre ouvrage répond du dommage causé par des vices de construction ou par le défaut d'entretien.
2    Est réservé son recours contre les personnes responsables envers lui de ce chef.
Répertoire ATF
58-II-356
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
automobile • roue • défaut d'entretien • vice de construction • tribunal fédéral • vaud • lausanne • saillie • question de droit • délai raisonnable • droit public • frais • membre d'une communauté religieuse • route • travaux d'entretien • transport • circulation routière • décision • titre • mesure de protection • bénéfice • avis • incombance • première instance • correction des routes • virage • excès de vitesse • tennis • vue • tombe • véhicule à moteur • ordre public • thurgovie • type de routes • grisons • reprenant
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