S. 230 / Nr. 41 Doppelbesteuerung (f)
BGE 56 I 230
41. Arrêt du 20 juin 1930 dans la cause Société de Banque suisse contre
Département des finances du canton de Genève.
Regeste:
Double imposition.
- S'agissant d'une banque dont l'exploitation s'étend sur le territoire de
plusieurs cantons, la méthode directe admise par la jurisprudence pour la
détermination des quotes-parts imposables dans ces différents cantons ne doit
être appliquée qu'autant qu'elle permet de répartir équitablement l'impôt et
d'empêcher la double imposition. C'est le car, pour la répartition du bénéfice
net total d'après les données des comptes de profits et pertes. (Consid. 2.)
Tel n'est point le cas, en revanche, pour la prime (agio) sur l'émission de
nouvelles actions par une société anonyme; elle n'est pas, au point de vue
économique, un bénéfice d'exploitation, mais un accroissement de la fortune
sociale, et sa répartition en quotes- parts cantonales doit s'opérer d'après
la méthode indirecte (proportion entre les actifs d'une succursale et
l'ensemble des actifs de la société). (Consid. 3.)
Une fois les quotes-parts fixées d'après une méthode uniforme, les lois
cantonales sont applicables pour le calcul et l'imposition des montants
correspondants aux quotes-parts. L'agio peut alors être traité par le fisc
comme un bénéfice net, si la loi le statue. (Consid. 2 et 3.)
En 1927, la Société de Banque Suisse a augmenté son capital- actions de 20
millions par l'émission de 40'000 actions de 500 francs chacune (valeur
nominale). Le cours d'émission était de 625 francs. D'où un agio total de cinq
millions qui fut versé dans les fonds de réserve.
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A l'occasion de la taxation pour 1928, le fisc du canton de Genève ajouta
l'agio de cinq millions au bénéfice net imposable de la recourante et le
soumit à l'impôt suivant la proportion des actifs, soit pour 9,0499% = 452 495
francs.
Le fisc se fondait sur l'article 66 de la loi genevoise sur les contributions
publiques, du 24 mars 1923, qui est ainsi conçu:
«Est considéré comme bénéfice net imposable... 2. Les sommes affectées à des
fonds de réserve ou à des fonds spéciaux, y compris les sommes portées aux
réserves provenant de la prime (agio) sur l'émission de nouvelles actions, en
cas d'augmentation de capital.»
Malgré les réclamations de la recourante, le fisc maintint sa manière à voir.
La Société recourut contre cette taxation au Département des Finances du
canton de Genève. Celui-ci rejeta le recours par décision du 30 novembre 1929.
Cette décision a fait l'objet d'un recours de droit public au Tribunal
fédéral.
Extrait des motifs:
2.- L'arrêt Banque fédérale c. Conseil d'Etat neuchâtelois, du 25 janvier 1923
(RO 49 I p. 33), déclare qu'en ce qui concerne les banques dont l'exploitation
s'étend sur le territoire de plusieurs cantons, les comptes de profits et
pertes qui sont dressés séparément pour chacun des établissements de la même
entreprise, fournissent le moyen direct et sûr de calculer la mesure en
laquelle chacun a contribué au bénéfice net total, et que c'est sur ces
comptes de profits et pertes qu'il convient de tabler pour la détermination
des quote-parts imposables dans les différents cantons.
La recourante estime qu'une fois les quotes-parts cantonales ainsi fixées, les
cantons ne sont pas autorisés à calculer d'après leur propre législation le
montant du bénéfice total sur lequel ils percevront l'impôt correspondant à
leur quote-part. D'aprés la recourante, le bénéfice
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net imposable doit être établi suivant les mêmes règles uniformes que celles
qui valent pour la détermination des quotes-parts. Dès lors, comme pour cette
détermination l'agio d'émission n'est pas ajouté au bénéfice, la thèse de la
recourante a pour conséquence que, dans tous les cas où, pour une entreprise
intercantonale, les quotes-parts des différents cantons se calculent d'après
la méthode directe, l'imposition de l'agio d'émission comme bénéfice net ne
peut avoir lieu ni au siège principal, ni aux autres sièges, alors même que
cette imposition serait prévue par les législations cantonales.
On ne peut se rallier à cette solution trop absolue. Le Tribunal fédéral a
déclaré, en jurisprudence constante, que, pour la taxation d'une entreprise
empruntant le territoire de plusieurs cantons, chacun des différents fiscs
cantonaux doit partir de la fiction que l'entreprise est soumise dans son
ensemble à la souveraineté fiscale du canton. Aprés avoir calculé le bénéfice
imposable dans cette hypothèse-bénéfice qui variera suivant les différentes
lois cantonales d'impôts - le canton déterminera le montant effectivement
imposable, à raison de la quote-part cantonale établie d'après les règles
consacrées par la jurisprudence. Ce principe vaut aussi bien pour le calcul du
bénéfice imposable que pour celui de la fortune imposable. Les cantons
intéressés adoptent les quotes-parts fixées par le Tribunal fédéral et pour le
surplus appliquent les dispositions de leur propre droit fiscal. L'article 46,
alinéa 2, Const. féd., qui interdit la double imposition, est respecté
lorsqu'aucun canton ne prétend imposer une fraction de capital ou de bénéfice
supérieure à la quote-part qui lui revient suivant les règles de répartition
fédérales (RO 40 I p. 197; 41 I p. 437; 42 I p. 130; 46 I p. 428, etc.). Le
Tribunal fédéral n'a, il est vrai, consacré ce principe jusqu'ici que dans des
cas où les quotes-parts étaient établies d'après la méthode indirecte (sur la
base des chiffres d'affaires ou des facteurs de production), mais on ne voit
pas pour quel motif on s'écarterait de cette jurisprudence
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lorsque la méthode directe trouve application (c'est-à-dire le calcul basé sur
les comptes de profits et pertes, RO 49 I p. 33). Il faut distinguer entre,
d'une part, l'établissement des comptes de profits et pertes en vue de la
fixation des quotes-parts cantonales et, d'autre part, la détermination du
bénéfice global en vue de son imposition sur la base de la quote-part fixée.
Lorsque, dans le calcul des quotes-parts, des contestations s'élèvent au sujet
des éléments entrant dans lés comptes de profits et pertes, il est nécessaire
de les aplanir d'après des règles uniformes, qui ne peuvent par conséquent
être les règles fiscales des différents cantons, mais doivent être des
principes généraux posés par le Tribunal fédéral. La situation n'est plus la
même une fois les quotes-parts fixées. Les lois cantonales deviennent alors
applicables, et il peut arriver que le montant sur lequel se calculent les
quotes-parts ne soit pas le même que celui sur lequel est perçu l'impôt à
raison de la quote-part. Le Tribunal fédéral n'a aucun motif d'intervenir en
pareil cas, tant que le contribuable n'est pas imposé pour plus de 100% de sa
fortune ou de son revenu. Le système proposé par la recourante aurait cette
conséquence inadmissible que, s'agissant d'entreprises intercantonales, un
canton devrait, en ce qui concerne l'admission de certains amortissements, de
la déduction des impôts, etc., traiter différemment les entreprises pour
lesquelles la répartition a lieu selon la méthode directe que celles pour
lesquelles elle s'opère selon la méthode indirecte.
3.- Le Canton de Genève est par conséquent en droit de taxer d'après la loi
fiscale cantonale le bénéfice imposable de la recourante. Il est donc aussi en
principe autorisé à appliquer l'art. 66 al. 2 de la loi sur les contributions
qui range parmi les bénéfices nets imposables a la prime (agio) sur l'émission
de nouvelles actions, en cas d'augmentation du capital '.
L'arrêt Spar- und Leihkasse Burgdorf c. Bern, du 29 mai 1901, considère, à la
vérité, comme arbitraire l'assimilation
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de l'agio à un bénéfice net, mais il s'agissait alors d'une législation
cantonale qui ne réglait pas expressément le cas. Lorsque, comme dans le
canton de Genève, la loi soumet la prime à l'impôt sur le revenu, la question
d'une imposition arbitraire ne saurait se poser. Le fisc de Genève est tenu
d'appliquer la loi, dont la constitutionnalité n'est d'ailleurs pas contestée.
Au reste, le canton de Genève n'est pas le seul qui impose l'agio à titre de
bénéfice (v. BLUMENSTEIN, Steuerrecht I 255).
Cependant, il convient de prendre en considération les objections faites par
la recourante, en ce sens que le critère de répartition basé sur les comptes
de profits et pertes ne pourra s'appliquer qu'aux bénéfices qui sont
comptabilisés dans ces comptes, mais non point aux montants qui,
économiquement, apparaissent non comme des bénéfices d'exploitation, mais
comme des accroissements de fortune ou, en tout cas, comme quelque chose de
spécial qui ne doit point figurer dans les comptes de profits et pertes. C'est
le cas pour l'agio (cf. FUISTING, Die direkten Steuern I p.108; WILMOWSKI,
Preuss. Einkommensteuergesetz p. 153 et 154; LION, Das Bilanzsteuerrecht, p.
88 et 89; STAUB, Deutsche Jur.- Zeitg., 32 P.244 et sv. 46 P.262 et sv.).
Cette distinction entre l'agio et ce qui constitue le véritable bénéfice
d'exploitation peut du reste se faire aussi bien dans le cas où le critère de
répartition de ce bénéfice est déterminé d'après la méthode directe que
lorsqu'on recourt à la méthode indirecte. Du moment qu'il y a lieu de mettre à
part l'agio, on appliquera à sa répartition un critère uniforme adapté à sa
nature spéciale, sans s'occuper du critère employé pour la répartition du
bénéfice d'exploitation proprement dit. Il ne saurait évidemment être question
de refuser aux cantons le droit d'imposer la prime sous le prétexte que la
méthode directe adoptée pour certaines entreprises ne lui est pas applicable.
La méthode directe et la méthode indirecte ne sont que des moyens techniques
d'aboutir à une répartition équitable de l'impôt et d'empêcher la double
imposition interdite par l'art. 46
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Const. féd. Chacune d'elle ne doit être employée que dans la mesure où elle
permet d'atteindre ce résultat. Il n'y a aucun motif de fond d'utiliser pour
les banques exclusivement la méthode directe, et celle-ci doit être abandonnée
lorsque son application aurait pour conséquence de soumettre les banques à un
traitement essentiellement différent des autres entreprises pour lesquelles on
recourt à la méthode indirecte. L'arrêt Banque fédérale c. Neuchâtel (RO 49 I
p. 37) réserve cette voie «en l'absence d'une méthode directe sûre».
Si l'émission des nouvelles actions relevait uniquement de l'activité du siège
central, comme la recourante le prétend, le canton de Bâle aurait seul en
principe le droit d'imposer l'agio et le bénéfice d'exploitation devrait seul
se répartir entre les différents cantons d'après les données des comptes de
profits et pertes. Mais, en réalité, il n'en est pas ainsi. Ce n'est pas
seulement le siège central qui a déployé une activité dans l'émission; les
autres établissements y ont collaboré. Il ressort du prospectus du 17 octobre
1927 qu'ils ont accepté des souscriptions et des versements. Si donc
l'activité des différents organes devait être décisive pour la répartition de
l'agio, on ne pourrait - pour ce motif déjà - refuser une part au canton de
Genève. Mais, il y a des raisons plus déterminantes pour attribuer une
quote-part de l'agio à la succursale de Genève. La prime sur l'émission n'est
pas le produit direct de l'exploitation de l'entreprise, c'est un
accroissement de la fortune sociale, provenant des mises de fonds des
souscripteurs. Economiquement, il ne s'agit donc pas d'un bénéfice
d'exploitation, et pour la répartition de cette augmentation du capital
social, il y a lieu de tenir compte non pas de la conception fiscale des
divers cantons, mais de la nature propre de cet élément. Il se révèle dès lors
juste de ne pas opérer la répartition d'après l'activité des organes du siège
central et des différents établissements cantonaux, mais d'après la proportion
existant entre les actifs d'une succursale et l'ensemble des actifs de la
société. Une répartition
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d'après les comptes de profits et pertes n'est pas possible puisque l'agio n'a
pas à figurer dans ces comptes. Il s'agit, comme on l'a déjà relevé, de
quelque chose de spécial et d'extraordinaire qu'il convient de soumettre à un
traitement particulier en employant le critère qui apparaît comme le plus
opportun et le plus adéquat. L'agio intéresse la Société dans son ensemble, il
est dû à la situation et à la bonne marche de toute l'entreprise et,
indirectement tout au moins, tous les établissements en bénéficient. Les
actifs des différentes succursales sont un élément plus stable que les
bénéfices d'exploitation, ils donnent une image plus exacte de l'importance de
chaque établissement. Il ne serait pas juste d'attribuer à un canton où, dans
l'année de l'émission des actions, le résultat d'une succursale est
défavorable, une quote-part moins grande de l'agio que celle qui correspond à
l'importance réelle dudit établissement. Le critère adopté se justifie donc.
Quant à la proportion de 9,0499% admise par le canton de Genève, elle n'est
pas critiquée en soi.
Le canton de Genève ayant opéré un prélèvement de 10 % en faveur du siège
central, il n'y a pas lieu d'examiner si ce préciput se justifie quoique, en
tant qu'il s'agit de la fixation des quotes-parts, et non de l'imposition
d'après la loi cantonale, l'agio ne doit pas être traité comme un bénéfice
d'exploitation, mais comme un accroissement de capital, une mise de fonds.
La taxation opérée par le fisc genevois n'est donc pas contraire aux principes
établis par le Tribunal fédéral en matière de double imposition, sauf que
l'agio ne devrait pas être pris en considération pour la détermination des
quotes-parts de répartition des bénéfices d'exploitation proprement dits.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
En tant que le recours est recevable, il est rejeté dans le sens des motifs.