S. 262 / Nr. 44 Registersachen (f)

BGE 55 I 262

44. Arrêt de la I re Section civile du 5 novembre 1929 dans la cause A. Romary
& Co Ltd. contre Bureau fédéral de la propriété intellectuelle.

Regeste:
Marque de fabrique ou de commerce constituée par le nom d'une ville. L'art. 6
al. 2 ch. 2, convention internationale pour la protection de la propriété
industrielle limite le principe de l'admission de la marque telle quelle par
une réserve en faveur de la législation des pays dans lesquels le dépôt ou la
protection sont demandés (consid. 2).
La loi du 21 décembre 1928 n'apporte aucune modification de fond à l'art. 14
al. 1 ch. 2 de la loi féd. du 26 sept. 1890 sur les marques, en remplaçant les
mots «toute autre figure devant

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être considérée comme propriété publique» par ceux de «un signe devant être
considéré comme étant du domaine public» (consid. 3).
Le nom d'une localité ne peut en principe constituer, à lui seul, une marque.
Ce principe comporte entre autres exceptions celle en faveur des marques qui
sont au bénéfice d'un usage de longue durée dans leur pays d'origine, cela du
moins pour les rapports entre les pays de l'Union. La disposition de l'art. 6
al. 2 ch. 2 in fine de la convention internationale lie le juge (consid. 4).

A. - Le 25 avril 1929, la société A. Romary & Co Ltd, dont le siège est à
Church Road, Tunbridge Wells, Kent, Grande-Bretagne, représentée par le bureau
de brevets d'invention Imer et Wurstemberger, à Genève, a transmis au Bureau
fédéral de la propriété intellectuelle une demande d'enregistrement de la
marque «Tunbridge Wells», destinée à être appliquée sur les biscuits de sa
fabrication ou sur leur emballage: l'indication, objet de la demande, était
écrite en caractères ordinaires d'imprimerie, sans aucun élément figuratif.
Cette demande d'enregistrement était accompagnée d'une attestation en date du
17 avril 1927 de l'Office des brevets d'invention, département des marques de
commerce, à Londres, d'où il résultait qu'en date du 25 octobre 1926 la
société requérante avait été enregistrée en Angleterre comme propriétaire de
la marque «Tunbridge Wells» pour biscuits.
Le 16 mai 1929, le Bureau fédéral de la propriété intellectuelle rendait
attentifs Imer et Wurstemberger au fait que la marque en question était
constituée par le nom d'une ville anglaise, écrit en caractères ordinaires,
sans accessoire quelconque, et que par conséquent elle n'était pas
protégeable; il les invitait donc à retirer la demande d'enregistrement, sinon
il se verrait dans l'obligation de la rejeter.
Imer et Wurstemberger répondirent le 28 mai 1929: «... Nous sommes d'accord
que les demandeurs ne pourront jouir que d'une protection limitée pour
l'emploi de leur marque, car ils ne pourront empêcher une autre

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personne domiciliée à Tunbridge Wells d'en faire usage ou de la faire
enregistrer, mais nous ne voyons aucune disposition dans la loi sur les
marques de fabrique stipulant que le nom d'une ville, même écrit en caractères
ordinaires et sans accessoire quelconque, ne peut être enregistré comme marque
de fabrique.» Imer et Wurstemberger priaient le bureau fédéral d'examiner à
nouveau la demande et de l'accueillir.
Le bureau maintint le 6 juin 1929 son point de vue, conforme d'ailleurs à sa
pratique constante: «Tunbridge Wells étant le nom d'une ville est une
indication dépourvue de tout caractère distinctif et qui, pour ce motif, ne
peut pas être acceptée à l'enregistrement comme marque (voir l'art. 14 chiffre
2 de la loi fédérale du 26 septembre 1890 sur les marques, modifiée par la loi
fédérale du 21 décembre 1928, ainsi que l'art. 6 ch. 2 de la Convention
d'Union de Paris de 1883/1900/1911)... Nous vous engageons donc à retirer
cette demande d'ici au 16 courant, à défaut de quoi elle sera rejetée.»
La demande n'ayant pas été retirée dans ce délai, le bureau fédéral de la
propriété intellectuelle l'a rejetée, le 27 juin 1929, par les motifs indiqués
dans sa lettre du 6 juin 1929, tout en avertissant Imer et Wurstemberger
qu'ils pouvaient recourir au Tribunal fédéral.
B. - Le 3 juillet 1929 Imer et Wurstemberger, au nom de A. Romary et Co Ltd,
ont recouru au Tribunal fédéral, en concluant à ce que «la décision du bureau
fédéral de la propriété intellectuelle de refuser la demande d'enregistrement»
soit «rapportée».
Les recourants soutiennent que l'art. 14 ch. 2 de la loi fédérale sur les
marques du 26 septembre 1890, modifiée le 21 décembre 1928, ne s'oppose pas à
l'admission de leur demande: «... le nom de la ville anglaise Tunbridge Wells
ne constitue pas une marque devant être considérée comme étant du domaine
public, car seuls les fabricants et commerçants ayant leur établissement dans
cette ville sont en droit d'utiliser ce nom comme marque pour leurs produits.»

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Quant à l'art. 6 de la Convention d'Union de Paris de 1883/1900/1911, il ne
dit pas que les marques tombant sous le coup de son chiffre 2 devront être
refusées, mais seulement qu'elles pourront être refusées: «il ne s'agit donc
pas d'une obligation pour les administrations nationales, mais d'une
possibilité régie par les lois nationales;» de plus, le 2me alinéa de ce
chiffre 2 dit que «dans l'appréciation du caractère distinctif d'une marque,
on devra tenir compte de toutes les circonstances de fait, notamment de la
durée de l'usage de la marque»: «Or en Angleterre les noms géographiques ne
sont acceptés à l'enregistrement que si le demandeur peut prouver que par un
usage intensif et de longue durée ce nom a pour ainsi dire acquis une seconde
signification. Tel est le cas de la marque en litige, pour laquelle, cette
preuve ayant été faite, l'office anglais en a accepté l'enregistrement.»
C. - Le 10 août 1929, le bureau fédéral de la propriété intellectuelle a
présenté ses observations. Il estime que le recours doit être rejeté, parce
que l'indication «Tunbridge Wells» est dépourvue de tout caractère distinctif,
étant composée exclusivement de la désignation du lieu de provenance du
produit et appartenant au domaine public (art. 6 de la convention
internationale et art. 14 et 18 de la loi fédérale sur les marques). Peu
importe que la marque soit enregistrée en Angleterre, car le pays requis
d'opérer l'enregistrement résout librement la question de fond de savoir si la
marque est admissible au point de vue de l'art. 6 al. 2 de la convention. Peu
importe aussi que la recourante invoque un long usage, car l'art. 6 ch. 2 al.
2 de la convention a en vue non pas des marques constituées par des
indications de provenance, mais des marques de forme très simple.
D. - Le 26 septembre 1929, un délai d'un mois a été imparti à la recourante
pour fournir la preuve de son allégation consistant à dire que, «par un usage
intensif et de longue durée de sa part, le nom de «Tunbridge

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Wells» a pour ainsi dire acquis une seconde signification» à côté de sa
signification géographique et que c'est pour ce motif qu'il a été accepté à
l'enregistrement en Angleterre.
E. - Cette ordonnance a été communiquée au bureau fédéral de la propriété
intellectuelle. Dans un mémoire du 2 octobre 1929, ledit bureau soutient que
la preuve demandée à la recourante n'est pas pertinente.
F. - Le 24 octobre 1929, les représentants de la recourante ont répondu aux
nouveaux arguments du bureau fédéral de la propriété intellectuelle et produit
une déclaration datée du 15 octobre de l'office des brevets d'invention,
département des marques de commerce, à Londres, de laquelle il résulte que
c'est le 25 octobre 1926 que la maison A. Romary & Company, Limited, a demandé
audit office l'enregistrement de la marque «Tunbridge Wells» pour biscuits et
que «la demande a été critiquée à l'origine comme n'étant pas distinctive pour
la raison que c'est un nom géographique mais elle a été finalement acceptée et
enregistrée une fois qu'il a été prouvé, à la satisfaction du Registrateur,
que la marque était devenue distinctive par suite d'un long usage».
Considérant en droit:
1.- Le Tribunal fédéral est compétent pour statuer sur le recours: art. 4
lettre c de la loi fédérale sur la juridiction administrative et disciplinaire
(du 11 juin 1929) et chiffre I, 1 de l'annexe de ladite loi.
Le recours a été adressé au Tribunal fédéral dans le délai de 30 jours prévu
par l'art. 13 de la loi fédérale sur la juridiction administrative et
disciplinaire (du 11 juin 1928), soit en temps utile.
2.- La société recourante a son établissement en Angleterre, Etat qui fait
partie, ainsi que la Suisse, de l'Union internationale pour la protection de
la propriété industrielle; la marque dont elle demande l'admission au dépôt en
Suisse a été régulièrement enregistrée en Angleterre; l'enregistrement en
Suisse ne saurait donc lui

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être refusé que dans l'un des cas prévus par l'art. 6 al. 2 de la convention
de l'Union de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété
industrielle, revisée à Bruxelles le 14 décembre 1900, à Washington le 2 juin
1911 et à La Haye le 6 novembre 1925 (art. 3 et 6 al. 1 et 3 de ladite
convention (OSTERRIETH, Die Washingtoner Konferenz p. 62; SELIGSOHN, 3me édit.
p. 342).
D'après l'art. 6 al. 2 ch. 2 de la convention «... pourront être refusées ou
invalidées: 2 o les marques dépourvues de tout caractère distinctif, ou bien
composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le
commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la
valeur, le lieu d'origine des produits ou l'époque de production, ou devenus
usuels dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du
commerce du pays où la protection est réclamée; dans l'appréciation du
caractère distinctif d'une marque, on devra tenir compte de toutes les
circonstances de fait, notamment de la durée de l'usage de la marque ...»
L'expression «pourront être refusées» veut simplement dire qu'il est loisible
aux législations nationales de prévoir le refus des marques semblables à
celles que la convention énumère; si la législation nationale ordonne le
refus, l'autorité n'a pas le choix de refuser ou non la marque et doit
prononcer le refus. En d'autres termes, l'art. 6 al. 2 de la convention limite
le principe de l'admission au dépôt et de la protection telle quelle dans tous
les pays de l'Union de la marque régulièrement enregistrée dans le pays
d'origine, par une réserve en faveur des législations des pays dans lesquels
le dépôt ou la protection sont demandés et non par une réserve en faveur des
autorités des pays dans lesquels le dépôt ou la protection sont demandés. La
recourante n'est pas d'une autre opinion, quoi qu'en pense le bureau fédéral
de la propriété intellectuelle; à page 3 de son pourvoi on lit: «Il ressort de
cet article que les marques tombant sous le coup du chiffre 2 pourront être
refusées; il ne s'agit donc pas d'une obligation pour

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les Administrations nationales, mais d'une possibilité régie par les lois
nationales.»
Le litige soulève donc les deux questions suivantes:
a) La marque dont la recourante demande l'enregistrement en Suisse est-elle
composée exclusivement d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour
désigner le lieu d'origine des produits, au sens de l'art. 6 al. 2 de la
convention?
b) En cas de réponse affirmative à cette première question, la législation
suisse, en faisant usage de la faculté à elle accordée par l'art. G al. 2 de
la convention, prévoit-elle le refus de l'enregistrement d'une marque composée
exclusivement d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner le
lieu d'origine des produits?
3.- Au sujet de cette dernière question, il y a lieu de noter,
préliminairement, qu'au moment où la demande de dépôt est arrivée au Bureau
fédéral de la propriété intellectuelle, soit le 27 avril 1928, la loi fédérale
du 21 décembre 1928 modifiant, entre autres, celle du 26 septembre 1890 sur la
protection des marques de fabrique et de commerce, des indications de
provenance et des mentions de récompenses industrielles, n'était pas encore
entrée en vigueur: cette loi est entrée en vigueur seulement le 15 mai 1929,
aux termes d'un arrêté du 24 avril 1929 du Conseil fédéral.
Le 27 avril 1929 l'art. 14 al. 1 ch. 2 de la loi fédérale du 26 septembre 1890
sur la protection des marques de fabrique et de commerce avait donc encore la
teneur suivante:
«Sous réserve de recours à l'autorité administrative supérieure, l'Office doit
refuser l'enregistrement: ...
«2 o lorsque la marque comprend, comme élément essentiel, une armoirie
publique ou toute autre figure devant être considérée comme propriété
publique, ou lorsqu'elle contient des indications de nature à porter atteinte
aux bonnes moeurs; le département fédéral compétent pourra ordonner d'office
la radiation d'une pareille marque enregistrée par erreur ...»

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Par la loi fédérale du 21 décembre 1928, entrée en vigueur le 15 mai 1929, la
disposition a été modifiée comme il suit:
«L'office doit refuser l'enregistrement d'une marque: ...
»2. Lorsque la marque comprend comme élément essentiel, un signe devant être
considéré comme étant du domaine public ou lorsqu'elle est contraire à des
prescriptions de la législation fédérale ou aux bonnes moeurs ...»
D'après le Bureau fédéral de la propriété intellectuelle, l'art. 14 al. 1 ch.
2 modifié renfermerait une prescription intéressant l'ordre public: il serait
dès lors applicable rétroactivement à la demande de la recourante, quoique
celle-ci ait été présentée avant le 15 mai 1929.
La question peut être laissée ouverte. Le législateur, en remplaçant les mots
«tout autre figure devant être considérée comme propriété publique» par
l'expression «un signe devant être considéré comme étant du domaine public»
dans le texte de l'art. 14 al. 1 ch. 2 de la loi fédérale du 26 septembre
1890, n'a en réalité apporté aucun changement au fond du droit: il s'est borné
à améliorer une rédaction. L'art. 14 al. 1 ch. 2, ancien, excluait de
l'enregistrement les marques renfermant une armoirie publique, dans le cas
seulement où celle-ci constituait un élément essentiel de la marque; on a
voulu supprimer cette restriction lors de la révision du 21 décembre 1928: on
a consacré aux armoiries un article 13 bis nouveau; cet article nouveau
«traitant à part les armoiries publiques et autres signes publics, le chiffre
2 (de l'art. 14 al. 1) ne mentionne plus que les signes devant être considérés
comme étant du domaine public ou contraires aux bonnes moeurs. Il mentionne,
en outre, comme autre motif de refuser l'enregistrement, le fait pour la
marque d'être contraire à des prescriptions légales fédérales. On veut ainsi,
par précaution, conformer la procédure d'enregistrement des marques à toutes
les interdictions de la future loi sur la protection des armoiries, même si
celles-ci, quant à leur contenu, devaient aller au delà de l'art. 14 nouveau
(qui

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est devenu l'art. 13 bis nouveau) de la loi sur les marques.» C'est le Conseil
fédéral qui s'exprime ainsi dans son message du 16 février 1928 (Feuille féd.
1928 vol. 1 p. 203). L'art. 14 al. 1 ch. 2 a donc été modifié: a) pour
soumettre à une réglementation spéciale différente les armoiries publiques et
autres signes publics; b) pour prévoir comme autre motif de refuser
l'enregistrement, à côté du fait pour la marque d'être contraire aux bonnes
moeurs, le fait d'être contraire à des prescriptions de la législation
fédérale. Mais en parlant de signe du domaine public et non de figure devant
être considérée comme propriété publique, le législateur n'a pas voulu
modifier le fond du droit. Pour se convaincre d'ailleurs que, dans son
ancienne rédaction, la loi employait indifféremment les termes de «signe» et
de «figure», il suffit de rapprocher de son art. 14 al. 1 ch. 2 l'art. 3 al.
2: «Les armoiries publiques et tous autres signes devant être considérés comme
propriété d'un Etat ou propriété publique, qui figurent sur les marques des
particuliers, ne peuvent être l'objet de la protection légale.»
4.- Les deux questions énoncées dans le considérant 2 ci-dessus se ramènent en
réalité à une seule. D'une part, en effet, d'après la jurisprudence constante
du Tribunal fédéral les motifs qui, aux termes de la loi fédérale sur les
marques (du 26 septembre 1890), justifient le refus de la protection légale
sont matériellement identiques aux motifs prévus par l'art. 6 al. 2 ch. 2 de
la convention internationale (arrêt du 16 janvier 1929 Georges La Monte & Son
c. Artist. Institut Orell-Füssli A.-G., RO 55 II p. 59 et sv., et arrêt du 30
avril 1929 Valvoline Oil Comp. c. Indian Refining Comp., RO 55 II p. 151 et
sv.; voir en outre les précédents rappelés dans ces deux arrêts). La loi du 26
septembre 1890, d'autre part, comme on vient de l'exposer, n'a pas été
touchée, quant au motif de refus invoqué en l'espèce, par la revision du 21
décembre 1928.
La question litigieuse est donc, en définitive, de savoir si Tunbridge Wells,
nom de la localité où la recourante a

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son établissement, doit être considéré, en tant qu'indication «pouvant servir,
dans le commerce, pour désigner ... le lieu d'origine des produits», comme «un
signe ... du domaine public», non susceptible dès lors de servir de marque, du
moins lorsqu'il est écrit, comme c'est le cas en l'espèce, en caractères
ordinaires d'imprimerie, sans aucun élément figuratif.
D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral (RO 43 II p. 93 et sv.),
l'indication de provenance est la propriété commune de tous les producteurs de
la même localité.
Un nom de localité (supposé que celle-ci ne soit pas la propriété privée
exclusive du titulaire de la marque) ne peut, dès lors, être employé, à lui
seul, comme marque pour désigner un produit, à moins, toutefois, qu'il n'ait
aucun rapport avec le produit, ce qui est le cas lorsqu'il indique, sans
fraude d'ailleurs, une provenance purement imaginaire, reconnaissable d'emblée
comme telle par le public (cirage à souliers Congo, bitter des Diablerets,
ice-cream Pôle-Nord, cigarettes Cavour). Il s'agit alors de dénominations de
fantaisie appartenant exclusivement à ceux qui en font usage les premiers, en
dehors de tout signe spécial, de toute forme distinctive.
Cependant, hormis le cas où la marque indique une provenance purement
imaginaire, la règle suivant laquelle le nom du lieu de production ne saurait
constituer une marque valable comporte une exception en faveur des marques qui
sont au bénéfice d'un usage de longue durée dans leur pays d'origine. Cette
exception vaut tout au moins pour les rapports entre pays de l'Union -
hypothèse réalisée en l'espèce.
Aux termes de l'art. 6 al. 2 ch. 2 in fine, de la convention internationale,
«dans l'appréciation du caractère distinctif d'une marque, on devra tenir
compte de toutes les circonstances de fait, notamment de la durée de l'usage
de la marque». D'après le Bureau fédéral de la propriété intellectuelle, ]a
genèse de cette disposition montrerait «que le législateur avait en vue, lors
de son introduction,

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non pas des marques constituées par des indications de provenance ... mais des
marques d'une forme très simple, constituées par exemple par des lettres ou
des chiffres».
Il est vrai que la prescription ne figurait pas dans le programme soumis par
le bureau international à la conférence de Washington et qu'elle fut
introduite par celle-ci dans la convention pour tenir compte des desiderata de
la Suède, pays où il «a été déposé un certain nombre de marques fort
importantes et d'une grande valeur pour les industries du fer et du bois,
marques qui sont composées exclusivement de simples lettres» (actes de la
conférence de Washington, p. 195, 197, 299, 300 et 308).
Il est vrai, aussi, que l'art. 6 al. 2 ch. 2 de la convention a en vue trois
sortes de marques:
a) les marques dépourvues de tout caractère distinctif;
b) les marques composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant
servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la
destination, la valeur, le lieu d'origine des produits ou de lieu de
production;
c) les marques composées exclusivement de signes ou d'indications devenus
usuels dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du
commerce du pays où la protection est réclamée.
Il est vrai, enfin, qu'à un point de vue purement littéral, la phrase finale
de l'art. 6 al. 2 ch. 2 semble se rapporter uniquement aux marques (litt. a)
dépourvues de tout caractére distinctif («dans l'appréciation du caractére
distinctif d'une marque ...»). Mais la ratio legis exige qu'on étende
l'application de l'art. 6 al. 2 ch. 2 de la convention aussi aux marques
groupées sous lettre b (sic FINGER, Warenzeichengesetz p. 590; SELIGSOHN,
Warenzeichenrecht 3me éd. p. 343 et une décision du 21 juin 1913 du Patentamt
allemand publiée dans le Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht vol.
XVIII, année 1913 p. 181 et sv.; sic encore OSTERRIETH, Die Washingtoner
Konferenz p. 66, et LABORDE, Marques de fabriques p. 267; contra, HAGENS,

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Warenzeichenrecht, p. 344 et deux décisions autrichiennes, la première du
Ministerium für öffentliche Arbeiten, du 7 août 1916, la seconde du
Verwaltungsgerichtshof, publiées dans le Blatt für Patent-, Muster- und
Zeichenwesen, vol. XXIV année 1918, p. 61 et sv. et vol. XVIII année 1922, p.
167 et sv.). Certaines marques qui, au premier examen, auraient dû être
considérées comme non susceptibles de remplir leur rôle, consistant à garantir
pour le tiers acheteur l'origine ou simplement la provenance de la
marchandise, en quelque lieu et en quelques mains qu'elle se trouve, ont en
réalité très bien rempli ce rôle. Dans ce cas, le législateur veut que les
faits priment le raisonnement théorique. Il arrive parfois, dans la pratique,
que le long usage neutralise les conséquences d'un défaut qui peut aussi bien
consister dans la forme très simple d'une marque constituée par des lettres et
des chiffres que dans le fait qu'une marque est constituée par une indication
de provenance. On ne voit pas pourquoi l'usage devrait couvrir légalement le
vice dans le premier cas mais non dans le second.
Le Bureau fédéral de la propriété intellectuelle objecte encore que «d'après
Osterrieth ..., il faudrait un usage trés prolongé, même de plusieurs
siècles». Mais Osterrieth (Die Washingtoner Konferenz, p. 65) n'énonce pas un
semblable principe; il se borne à rappeler que, à la conférence de Washington,
la délégation suédoise a cité le cas de marques suédoises de fer, dépourvues
théoriquement dé caractère distinctif suffisant, et pourtant employées «seit
Jahrhunderten». Il est évident que la durée de l'usage de la marque, dont
parle l'art, 6 de la convention revisée, varie selon les circonstances: tout
ce qu'on peut dire, c'est que la durée doit avoir été suffisante pour faire
acquérir à là marque un caractère distinctif dans le monde économique. Or, le
Patent Office anglais, Trade Marks Branch, affirme précisément que la marque
Tunbridge Wells de la recourante est «devenue distinctive par suite d'un long
usage»; par suite de ce long usage, Tunbridge

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Wells signifie, pour le public anglais, non pas des biscuits d'un certain
genre qui seraient fabriqués ou mis dans le commerce à Tunbridge Wells par
plusieurs maisons, mais les biscuits fabriqués et mis dans le commerce par la
recourante.
L'art. 6 al. 2 ch. 2 in fine de la convention n'est pas, enfin, un simple
conseil donné aux juges et que ceux-ci sont libres de suivre ou de ne pas
suivre, c'est une prescription qui les lie (v. OSTERRIETH, Die Washingtoner
Konferenz, p. 66).
Il y a donc lieu d'admettre l'enregistrement en Suisse de la marque «Tunbridge
Wells» de la recourante, pour biscuits.
Quant à la déclaration des représentants de la recourante, dans leur lettre du
28 mai 1929 au Bureau fédéral de la propriété intellectuelle: «Nous sommes
d'accord que les demandeurs ne pourront jouir que d'une protection limitée
pour l'emploi de leur marque, car ils ne pourront empêcher une autre personne
domiciliée à Tunbridge Wells d'en faire usage ou de la faire enregistrer»
(déclaration répétée en termes quelque peu différents à p. 2 et sv. du
recours), elle ne doit pas être prise à la lettre. La marque est le signe
servant à distinguer une marchandise (art. 1er loi féd. du 26 septembre 1890),
et elle n'a plus ce pouvoir si elle peut être employée par tous les fabricants
et commerçants d'une même ville. Si tout fabricant et commerçant établi à
Tunbridge Wells a le droit de se servir de la marque en litige, c'est que
celle-ci n'en est plus une. Mais une telle interprétation serait en
contradiction avec le but même du recours, qui est d'obtenir en Suisse la
protection de la marque Tunbridge Wells à l'égard de qui que ce soit, fût-il
un commerçant ou un fabricant établi à Tunbridge Wells. Sainement interprétée,
ladite déclaration signifie sans doute que tout fabricant ou négociant de
biscuits établi à Tunbridge Wells pourra introduire le nom de cette localité
dans sa marque, pourvu que celle-ci, dans son ensemble, se distingue
suffisamment de la marque de A. Romary & Co Ltd.

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Il convient de relever que le présent arrêt se place exclusivement sur le
terrain de la convention internationale et des rapports entre pays de l'Union,
il ne résout donc pas la question de savoir si le principe énoncé à l'art. 6
al. 2 ch. 2 de la convention doit aussi être appliqué dans les rapports
internes, comme c'est le cas en Allemagne (décision du 7 mai 1903 du
Patentamt, dans Bl. für Patent-, Muster- und Zeichenwesen, XIX p. 195, autres
décisions dans le même sens, XXVI p. 26, XXVIII p. 29).
Le présent arrêt, rendu en matière administrative, ne préjuge pas l'issue d'un
procès éventuel en radiation de la marque, qui serait porté devant le juge
après l'enregistrement.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
admet le recours et invite le Bureau fédéral de la propriété intellectuelle à
enregistrer la marque «Tunbridge Wells» de la recourante, pour biscuits.
Decision information   •   DEFRITEN
Document : 55 I 262
Date : 01. Januar 1929
Published : 05. November 1929
Source : Bundesgericht
Status : 55 I 262
Subject area : BGE - Verwaltungsrecht und internationales öffentliches Recht
Subject : Marque de fabrique ou de commerce constituée par le nom d'une ville. L'art. 6 al. 2 ch. 2...


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SR 414.110.12: 14
BGE-register
55-I-262
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