S. 120 / Nr. 24 Obligationenrecht (f)

BGE 54 II 120

24. Arrêt de la I re Section civile du 22 février 1928 dans la cause D r Pozzi
contre Commune d'Orsières.

Regeste:
Critères de distinction entre fonctionnaire chargé d'un service public et
médecin lié par un contrat de droit privé.

Résumé des faits:
Au printemps de l'année 1917, les communes d'Orsières, de Liddes et de
Bourg-St-Pierre, en Valais, ont passé avec le Dr Félix Pozzi un contrat aux
termes duquel ce médecin s'engageait «à donner les soins médicaux aux
populations des trois communes contractantes» (art. 1er), à faire notamment
«une visite officielle

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hébdomadaire à Bourg-St-Pierre, Liddes Ville et dans la vallée de Ferret
jusqu'à Issert dans les locaux qui devront être mis à sa disposition à cet
effet» (art. 2). Il lui était alloué «un traitement annuel de 3000 fr...
payable à la fin de chaque trimestre par chaque commune proportionnellement au
chiffre de la population, suivant le dernier recensement fédéral» (art. 4). Et
la commune d'Orsières se chargeait de fournir gratuitement au médecin le
logement, l'éclairage, le chauffage et l'eau (art. 3). Le contrat fixe le
«prix des visites» et les honoraires de consultations dans le cabinet du
médecin ou les locaux mis à sa disposition. Pour tous les procédés spéciaux de
diagnostic, les interventions chirurgicales, les accouchements, etc., et pour
tous les traitements divers et spéciaux, le contrat (art. 7) déclare
applicable l'arrêté du 1er juin 1915 fixant le tarif médical en Valais entre
les médecins et les caisses-maladies reconnues. Le médecin avait l'obligation
de tenir les principaux médicaments pharmaceutiques et de les vendre aux prix
fixés par le tarif fédéral. Le contrat était conclu pour une durée de trois
ans (15 juillet 1917 au 15 juillet 1920).
Faute de dénonciation, le contrat continua par tacite reconduction jusqu'en
1925, époque à laquelle il fut résilié par la commune d'Orsières.
Le Dr Pozzi a assigné la commune d'Orsières en paiement de 10000 fr. de
dommages-intérêts, pour cause de renvoi abrupt.
Par jugement du 8 septembre 1927, le Tribunal cantonal valaisan a débouté le
demandeur, qui a recouru en réforme au Tribunal fédéral.
Extrait des considérants:
Le fait que le Tribunal cantonal s'est saisi de la cause n'est pas décisif
pour la recevabilité du recours en réforme (RO 46 I, p. 150; 52 II, p. 464).
La recevabilité dépend de la question de savoir si le litige relève du droit

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civil fédéral ou du droit public cantonal, et la solution de cette question
dépend elle-même du caractère de droit public ou de droit privé du rapport de
droit litigieux.
La limite entre droit public et droit privé n'est pas nette. Leur démarcation
est parfois malaisée. La jurisprudence et la doctrine sont encore hésitantes
quant aux critères de solution proposés. Un seul et même contrat peut
comprendre des éléments de droit public et des éléments de droit privé. Selon
la prédominance et l'importance relative des uns ou des autres, on rangera le
rapport juridique dans le domaine du droit privé ou dans celui du droit public
(RO 9, p. 212; 13, p. 347; 46 I, p. 149. cons. 2; 47 II, p. 503 in fine; 49
II, p. 434 et suiv.; 50 I, p. 75 et suiv., cons. 5; cf. FLEINER, Schw.
Bundesstaatsrecht, p. 237 et suiv.).
Qu'en est-il en l'espèce? Le demandeur est-il un fonctionnaire ou un employée
public des trois communes intéressées (v. art. 362
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 362 - 1 Il ne peut pas être dérogé aux dispositions ci-après par accord, contrat-type de travail ou convention collective, au détriment de la travailleuse ou du travailleur:236
1    Il ne peut pas être dérogé aux dispositions ci-après par accord, contrat-type de travail ou convention collective, au détriment de la travailleuse ou du travailleur:236
2    Les accords et les dispositions de contrats-types de travail et de conventions collectives qui dérogent aux dispositions susdites au détriment du travailleur, sont nuls.
, al. 1 CO)?
D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral (RO 40 II, p. 85, cons. 2; 47 II,
p. 469; cf. 52 II, p. 463), le critère objectif de la distinction entre droit
public et droit privé réside, sur le terrain de l'art. 56 OJF, en ce que ce
dernier droit régit les rapports juridiques entre des sujets de droit de même
nature (gleichartig), de même ordre (gleichwertig) et égaux en droits (gleich
berechtigt), tandis que le droit public règle la subordination du citoyen à
l'autorité de l'Etat. «Ce qui, d'une façon générale, caractérise le
fonctionnaire, dit l'arrêt Mayer c. Etat de Neuchâtel, du 18 mars 1921 (RO 47
II, p. 45), ce n'est pas la nature des devoirs de sa charge, ce n'est pas non
plus simplement le mode de sa nomination, c'est bien plutôt le rapport
particulier de subordination qui existe entre lui et l'Etat, c'est le fait
qu'il est au service de l'Etat. Ce rapport implique non seulement l'obligation
de remplir consciencieusement certains devoirs particuliers, mais aussi une
obligation générale

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de fidélité et d'obéissance envers l'Etat.» Celui-ci peut exiger par voie
disciplinaire que le fonctionnaire s'acquitte des devoirs de sa charge (RO 12,
p. 710).
La doctrine la plus autorisée est d'accord avec cette jurisprudence (v.
FLEINER, OP. cit., p. 237 et suiv. et 241 et suiv.). Cet auteur met aussi
l'accent sur le pouvoir de l'Etat de contraindre le fonctionnaire à accomplir
son devoir: «Nur derjenige Dienstpflichtige, den der Staat zwangsweise zur
Erfüllung seiner Amtspflichten halten kann, ist Beamter.»
Il appartient à l'Etat d'aviser aux moyens propres à assurer l'accomplissement
des tâches qui lui incombent. Il a le choix entre deux voies: il peut, comme
un particulier, conclure des contrats de droit privé (par ex. des contrats
d'entreprise ou de travail); il peut aussi créer un service public spécial et
nommer un fonctionnaire ou un employé pour remplir cet office.
La défenderesse a choisi le moyen du contrat de travail de droit privé. La
convention des parties ne repose pas sur une loi cantonale, comme c'est le
cas, par ex. au Tessin pour les medici condotti, ni même sur des règlements
communaux prévoyant la nomination de médecins chargés d'un office sanitaire
public et réglant leurs rapports de service avec l'autorité. Les trois
communes intéressées se sont bornées à favoriser l'établissement d'un médecin
privé dans la contrée en lui versant un subside annuel sans lequel,
vraisemblablement, aucun praticien n'aurait intérêt et ne se déciderait à
élire domicile dans cette région montagneuse, dont les ressources sont
assurément très limitées. Orsierès, Liddes et Bourg-St-Pierre agissent certes
dans l'intérêt public, car les habitants de ces communes ont un intérêt
évident à ce qu'il y ait un médecin dans la vallée. Mais, comme on vient de le
relever, le fait qu'une personne est chargée, par une administration publique,
d'une activité dont bénéficie la communauté ne confère pas encore le caractère
de droit public au rapport juridique ainsi crée. Le

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contrat ne revêt pas le médecin d'une parcelle du pouvoir public et ne le
place dans aucun rapport de subordination. Le demandeur n'est pas soumis a des
chefs hiérarchiques qui seraient en droit de le contraindre, par voie
disciplinaire, à s'acquitter des devoirs de se charge. Il n'a pas davantage
«une obligation générale de fidélité et d'obéissance» envers les trois
communes. Dans le cadre du contrat, il pratique l'art médical librement et
sous sa propre responsabilité, sans: obéir à des ordres de service, et ses
actes n'engagent point la responsabilité de la corporation de droit public qui
a conclu le contrat avec lui, comme ce serait le cas s'il était fonctionnaire.
Le demandeur a simplement pris l'engagement contractuel de se tenir à la
disposition de la population des trois communes, en qualité de médecin et de
pharmacien, et de respecter, dans ses rapports avec ses clients, un certain
tarif. Il ne s'est même pas obligé à visiter et à soigner gratuitement
certaines personnes, par exemple les indigents, ni a exercer un contrôle
médical, sur les écoles et les prisons, par exemple. Tout autre est la
position du médecin placé par l'Etat à la tête d'un service ou d'un
établissement médical public (un hôpital cantonal, par ex.: cf. RO 44 II, p.
54 et suiv.; 48 II, p. 418; 49 I, p. 544; cf. aussi sur les éléments
caractéristiques d'une charge de fonctionnaire RO 12, p. 709).
Il y a donc lieu d'entrer en matière sur le recours.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 54 II 120
Date : 01 janvier 1927
Publié : 22 février 1928
Source : Tribunal fédéral
Statut : 54 II 120
Domaine : ATF - Droit civil
Objet : Critères de distinction entre fonctionnaire chargé d’un service public et médecin lié par un...


Répertoire des lois
CO: 362
SR 220 Première partie: Dispositions générales Titre premier: De la formation des obligations Chapitre I: Des obligations résultant d'un contrat
CO Art. 362 - 1 Il ne peut pas être dérogé aux dispositions ci-après par accord, contrat-type de travail ou convention collective, au détriment de la travailleuse ou du travailleur:236
1    Il ne peut pas être dérogé aux dispositions ci-après par accord, contrat-type de travail ou convention collective, au détriment de la travailleuse ou du travailleur:236
2    Les accords et les dispositions de contrats-types de travail et de conventions collectives qui dérogent aux dispositions susdites au détriment du travailleur, sont nuls.
Répertoire ATF
54-II-120
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
droit public • droit privé • tribunal fédéral • acquittement • tribunal cantonal • doctrine • tennis • rapport de droit • rapport de subordination • directeur • prolongation • contrôle médical • soins médicaux • neuchâtel • intérêt public • libéralité • rapports de service • décision • salaire • dommages-intérêts
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