52. Extrait de l'arrèt de la IIe Section civile du 13 octobre 1928
dans la cause Girardin contre Rubin.

Responsabilité du chef de famille (art. 333 CCS).

Etendue de l'obligation de surveilance qui incombe au père a l'égard
d'un fils mineur, agé de plus de 19 ans et normalement constitué, tant
au point de vue physique qu'intellectuel.

A. Le 16 aoùt 1924, César Rubin, age de 19 ans et trois mois, fils de
Auguste Rubin, circulait sur une motocyclette appartenant à un ami,
procédant à un essai sur la route du Landeron à Neuchatel. Il rencontra

AS 52 Il 1926 23

826 Familienrecht. N° 52.

dame Girardin, qu'il heurta "et renversa, lui causant ainsi des lésions
assez graves. Lors de l'aceident, le permis de conduire de César Rubin
était périmé. Par jugement du 23 septembre 1924, le Tribunal de Police de
Neuchatel condamna César Rubin, pour contravention à la loi d'adhésion au
concordat sur la circulation des automobiles et pour lésions corporelles
dues à son imprudence, à une amende de 100 fr. Ce jugement expose que le
jeune Rubin marchait à une allure excessive, dépassant 18 km. a l'heure,
alors qu'il se trouvait étre en face d'un groupe d'habitations dépendant
du faubourg du Landeron. Rubin n'était d'ailleurs pas au bénéfice d'un
permis de circulation et c'est son imprudence qui a prevoqné l'accident.

B. Du fait de l'accident, dame Girardin a souffert de commotion nerveuse,
de contusions multiples aux jambes, dans la région de l'abdomen et des
lomhes. Elle évalue à 4177 fr. 85 le préjudice qui lui a été causé.

La demanderesse a ouvert action, en concluant à ce

que César Rubin soit déclaré responsable du dommage et débiteur de la
somme sus-indiquée. Sa demande mettait aussi en cause la responsabilité
d'Auguste Rubin. En effet, César Rubin était mineur à l'époque où
est survenu l'accident. La recourante estime que le pere de l'auteur
de l'accident est responsable, pour n'avoir pas surveillé son fils
avec i'attention commandée par les circonstances. Elle fait Observer
notamment que si César Rubin avait eu un permis de conduire, la police
d'assurance aurait probablement permis le règlement amiable d'une
indemnité équitable. Au surpius, le jeune Rubin avait la reputation de
circuler à motocyclette (: comme un fou . Lors de l'accident, il n'a
pas donné, à temps, le signal d'avertissement. Auguste et César Rubin
ont conclu tous deux au rejet des conclusions prises par la recourante,
contestant, le premier sa responsabilité à raison du fait de son fils,
et le second, qu'il ait commis une faute quelconque.

C. Par jugement du 6 mars 1926, le Tribunal can-

Familienrecht. N° 52. 327

tonal de Neuchatel a condamné César Rubin à payer à la demanderesse
une indemnité de 1500 fr. avec intérét à 5 % des le 16 mars 1925. Le
meme jugement libere Auguste Rubin des fins de la demande. L'instance
cantonale motive en substance comme suit sa décision :

La faute commise par César Rubin n'est pas contestable. Le jugement pénal
et les preuves rapportées au cours du procès démontrent que l'accident
est dù en particulier à l'excès de Vitesse commis par César Rubin. Cette
vitesse excessive ne lui a pas permis, dans un endroit présentant quelque
danger, de prendre les précautions voulues et de s'arrèter lorsqu'il
s'est trouvé brusquement en présence de dame Girardin. En suivant la
gauche de la route, dame Girardin ne contrevenait à aucune loi, ni à
aucun règlement, la route étant libre et suffisamment large. César Rubin
supporte donc toute la responsabilité de l' accident.

Quant à Auguste Rubin, il y a lieu de considérer que si, à teneur de
l'art. 333 du Code civil, la responsabilité du pére est présumée, il
résulte de l'ensemble des faits qu'il a surveillé son fils de la maniere
usitée, avec l'attention commandée par les circonstances. En effet,
le jeune Rubin était ägé de 19 ans et trois mois lors de l'accident.
Depuis 1922, déjà, il avait obtenu un permis de conduire pour véhicules
automobiles et il n'a jamais été condamné auparavant pour avoir cireulé
d'une maniere contraire aux lois et règlements. Au point de vue physique
et intellectuel, César Rubin est tout à fait normal et, vu l'äge de ce
jeune homme, il n'y avait aucune imprudence ou absence de précaution de
la part du pere à ne pas lui avoir interdit l'usage de l'automobile ou
de la motocyclette. Il est vrai que César Rubin avait la reputation de
circuler trop Vite et qu'avisé par la genda'rmerie, Auguste Rubin n'a
pas paru capable de réagir. Mais, lors de l'accident, César Rubin n'avait
plus de motocyclette et son permis n'était plus valable. Au surplus,

Auguste Rubin ne pouvait pas faire. daVantage que. '

l'autorité, qui délivre au détenteur d'un permis un extrait

328 _ Familienrecht. N° 52.

des prescriptions légales en vigueur. A l'äge de César Rubin, un jeune
homme échappe plus ou moins à la surveillance de ses parents et l'instance
cantonale déduit de l'ensemble des faits que la preuve libératoire prévue
par l'article 333 du Code civil est rapportée.

D. C'est contre ce jugement que la demanderesse a recouru en reforme au
Tribunal fédéral en reprenant ses conclusions originaires. Elle allègue,
notamment, qu'Auguste Rubin aurait dü donner des instructions à son fils
au moment où le permis de conduire lui a été délivré, qu'il aurait dù
vérificr si ses recommandations étaient effectivement suivies, et qu'il
devait en outre s'assurer de la validité du permis délivré.

Conside'rani en droit :

1. Aux termes de l'art. 333 du Code civil le chef de famille est
responsahle du dommage cause par les mineurs... places sous son autorité,
à moins qu'il ne justifie les avoir surveillés de la maniere usitée et
avec l'attention commandée par les circonstances .

Ainsi que la jurisprudence l'a déjà declare, le degré de la surveillance
usitée doit etre apprécié en considération des circonstances particulières
de la cause et etre examine in concreto , sans qu'une preuve libératoire
absolue puisse etre exigée du défendeur. On doit se ionder avant tout
sur les usages, sur les nécessités de la vie, de meme que sur l'àge
et sur le caractère de celui qui depend de l'autorité du chef de
famille. En l'espèce, César Rubin était ägé de 19 ans et trois mois
lors de l'accident. Il était donc tout près de la majorité; dès 1922,
il avait circulé à motocyclette avec un permis délivré par l'autorité
competente et il n'avait jamais été condamné de ce chef. Au point de vue
physique et intellectuel, il était normalement développé et, de ce còté
encore, rien ne pouvait determiner son père a lui interdire l'usage
d'une motocyclette. S'il est exact que des excès de vitesse lui ont
été reprochés et qu'Auguste Rubin se soit montré incapable de réagir,
on ne pouvaitFamilienrecht; N° 52. 329

exiger de celui ci un contròle permanent sur un jeune homme qui, par
la force des choses, échappait dans une large mesure à la surveillance
de ses parents. Il est difficile d'imaginer quelles recommandations
spéciales Auguste Rubin aurait pu faire à son fils pour l'usage des
Véhicules à moteur, alors que César Rubin avait été au bénéfice d'un
'permisss, ce qui impliquait qu'il était au com-ant des prescriptions
reglementaires à observer, tandis que son père, qui ne conduisait
ni automobile, ni motocyclette, était incapable de lui donner des
instructions plus complétes.

2. Au surplus, la question meme du permis de circulation n'est pas
déterminante en la présente espèce et il importa peu que le permis
ait été provisoire et fut périmé lors de l'accident, car il n'y a pas
de correlation entre ce fait et l'accident lui-meme. César Rubin ne
circuIait pas sur une motocyclette à lui lorsqu'il a provoqué l'accident;
il essayait la machine d'un ami et c'est la encore une circonstance que
son père ne pouvait prévoir. Cet usage de la motocyclette d'un tiers
était tout à fait indépendant de la volonté d'Auguste Rubin et rien ne
prouve que ce dernier en ait eu ou pu avoir connaissance. C'est donc à
bon droit que l'instance cantonale a reconnu que la preuve libératoire
de l'art. 333 du Code civil ressort de l'ensemble des faits du litige.

Si l'on ajoute que le fils Rubin avait atteint un age qui, dans le
milieu où il vivait, équivalait Virtuellement à l'äge de la majorité,
on ne pouvait pas attendre de son père qu'il exergàt une surveillance
telle qu'il aurait du empécher César Rubin d'essayer la motocyclette
d'un ami. Il n'est pas possible d'impOser un devoir aussi strict au
détenteur de l'autorité domestique et d'interpréter l'art. 333 du Code
civil d'une facon si rigoureuse, qui ne répondrait pas aux conditions
de la Vie réelle.

Le Tribunal fédéral pronunce : Le recours est reieté et l'arrét attaqué
confirmé.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 52 II 325
Date : 13. Oktober 1926
Publié : 31. Dezember 1926
Source : Bundesgericht
Statut : 52 II 325
Domaine : BGE - Zivilrecht
Objet : 52. Extrait de l'arrèt de la IIe Section civile du 13 octobre 1928 dans la cause Girardin contre...


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