II. HANDELSUND GEWERBEFREIHEIT

LIBERTÉ DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE

3. Arrèt du 24 février 1923 dans la cause M"e :Dr Roeder contre Conseil
d'Etat du canton de Fribourg.

Avocals : Inconstitutionnalité d'une loi cantonale excluant les femmes
de l'accès à la profession (l'avocat.

Mademoiselle Dora Roeder a obtenu le doctorat en droit de l'université
de Zurich et a travaillé pendant un certain temps chez un avocat de
Zurich. Depuis septembre 1922 elle est employée chez le Dr Villars, avocat
à Fribourg. Elle a sollicité du Conseil d'Etat du canton de Fribourg
l'octroi d'une patente de licenciée lui permettant de pratiquer devant
les tribunaux de l'e instance sous la direction et la responsabilité de

Handelsund Gewerbetreiheit. N° 3. 15

l'avocat Villars. Par al're'té du 24 novembre 1922 le Conseil d'Etat
du canton de Fribourg a écarté lademande de Mlle Roeder par les motifs
suivants :

La requérante ne peut invoquer l'art. 5 Disp. transit. Const. féd., car la
patente de licencié donne au candidat l'autorisation de faire son stage,
or le stage n'est pas une profession, c'est un premier stade vers la
profession d'avocat et dans le canton de Fribourg les femmes ne sont pas
admises à l'exercice du barreau : les avocats sont des officiers civils
(art. 1 de la loi du 22 novembre 1851) et ils doivent justifier de leur
qualité de citoyens actifs (art. 36 du Reglement du 2 janvier 1886).

Mademoiselle Roeder a forme un recours de droit public au Tribunal fédéral
contre cet arrété, en invoquant les art. 4, 31, 33 Const. féd. et l'art. 5
Disp. transit. et en exposant ce qui suit :

La profession d'avocat est une profession liberale qui, d'après l'art. 5
Disp. transit. Const. féd., doit étre ouverte aux res'sortissants
des autres cantons et dont l'exercice ne peut étre subordonné qu'à
des conditions égales pour tous; en réservant aux hommes le droit de
pratiques le barreau, la loi fribourgeoise viole le principe de l'égalité
de traitement.

Agissant au nom du Conseil d'Etat, le Ministère public du canton de
Fribourg a conclu au rejet du recours pour les motifs suivants :

Le stage est une anticipation dans l'exercice du barreau. Ne peuvent etre
donc admis au stage que ceux qui sont dans les conditions requises pour
pouvoir aspirer à la profession d'avocat. Toute la question se ramène
à savoir si la recourante' peut se présenter à l'examen d'avocat dans
le canton de Fribourg. Les avocats sont, d'après l'art. 1 de la loi de
1851, des officiers civils ; la loi veut dire par la qu'ils remplissent
une fonction quasi-publique, honorée de l'Etat et entourée de différents
privilèges. L'art. 5 Disp. transit. n'est pas applicable, la recourante
n'étant pas porteur

lu Staatsrecht.

d'un certificat de capacité délivré dans un autre canton. D'aut're part,
pour devenir avocat fribourgeois elle devrait etre en possession de
ses droits politiques. Cette exigence n'est pas contraire à l'art. 4
Const. féd., puisque l'exclusion qui en résulte s'applique non seulement
aux femmes, mais aussi aux citoyens qui par leur conduite ont perdu
l'exercice des droits politiques. Quant à l'art. 31 Const. led., il suffit
de rappeler que, si l'avocatie est librement accessible à tous sous les
conditions légales, cette fonction est cependant entourée de droits
et de charges qui la différencient d'une simple industrie : examen,
serment, chambre de discipline, obligation de défendre gratuitement
les pauvres, inviolabilité du cabinet et du secret professionnel,
droit de présenter des moyens sans procuration, droit au respect, etc.
Aussi bien l'art. 33 Const. féd. permet aux cantons de réglementer les
professions libérales. Le canton de Fribourg où le féminisme n'a pas
encore triomphé a fait usage de cette faculté en exigeant la possession
des droits politiques et en excluant par conséquent les femmes; cette
réglementation n'est pas anticonstitutionnelle.

Conside'rant en droit :

Le brevet de licencié sollicité par la recourante lui a été refusé par
l'unique motif que, d'après l'art. 36 du Règlement fribourgeois sur les
examens des aspirants à l'exercice du barreau et du notariat, seuls les
citoyens actifs peuvent obtenir la patente d'avoeat et par conséquent
aussi celle de stagiaire-licencié. Il y a ben de rechercher si cette
exigence du droit fribourgeors, qui a pour effet d'exclure les femmes
de l'accès au barreau, est contraire à la constitution. A cet égard,
la recourante ne saurait invoquer l'art. 5 Disp. transit. Const. féd.,
car elle n'est pas avocate zurichoise et il ne s'agit donc pas de la
reconnaissance, par le canton de Fribourg, d'un certificat de capacité
délivré par unHandelsund Gewerbefreiheit. N° 3. 17

autre canton. L'art. 33 Const. féd. n'est pas davantage applicable ;
il ne vise en effet que les preuves de capacite' que les cantons peuvent
exiger de ceux qui veulent exercer des professions libérales; lorsque,
comme en l'espèce, l'exercice d'une profession libérale est subordonné
à d'autres conditions qu'à celles de capacité, c'est à la lumière de
l'art. 31 litt. e) combiné avec l'art. 4 Const. féd. qu'on doit décider
si les restrictions ainsi apportées au principe général de la liberté
du commerce et de l'industrie se justifient (SALIS II N°3 831 et suiv. ;
R0 32 I p. 638 et sv.; 40 I p. 54 et sv.).

Le Conseil d'Etat soutient, il est vrai, que l'art. 31 Const. féd. est
sans application possible, parce que, dans le canton de Fribourg,
l'avocat n'exerce pas, à proprement parler, une profession, il remplit
un office public . Cette argumentation ne saurait toutefois etre
admise. Il est exact que, lorsqu'une législation cantonale donne
à une profession comme elle peut le faire (cf. BURCKHARDT, p. 297)
le caractère de charge publique, de ce fait celle-ci sort du cadre
de l'art. 31 Const. féd. (v. en ce qui concerne les notaires, R0 23 I
p. 481 et sv.) ; mais, pour le méme motif, elle sortirait aussi du cadre
des art. 33 et 5 Disp. transit.; or le Tribunal fédéral a jugé que ces
dispositions sont applicables à la profession d'avocat telle qu'elle est
organisée dans la plupart des cantons "(v. par ex. BO 30 I p. 28 et sv.;
32 I p. 267 et sv. et p. 638 et sv.; 39 I p. 48 et sv.; 40 I p. 54 et sv.;
42 I p. 277 et sv.; 45 I p. 362 et sv.) et notamment dans le canton de
Fribourg (BO 30 II p.18 et sv.); c'est donc qu'il a estimé que,. dans
ces cantons, les avocats n'ont pas la qualité de fonctionnaires publics
(cf. en ce qui concerne les avocats vaudois RO 43 I p. 36-37). Et en
effet les avocats frihourgeois n'ont pas cette qualité. Sans doute, ils
collaborent comme organes auxiliaires à l'administration de la justice ;
à ce titre, ils sont tenus de présenter certaines garanties au point de
vue des connaissances et de l'honorabilité

A8 1.9 1 1923 2

18 Staatsreclit.

personnellc et ils ont, de par la loi, des devoirs spéciaux ce qui
expliquc que, pour pouvoir pratiquer, ils doivent obtenir un brevet et
étre assermentés et qu'ils soient soumis' à la surveillance de l'autorité
judiciaire supérieure. Mais cela ne modifie pas la nature fondamentale
de leur activité qui est celle de professionnels indépendants et non
de fonctionnaires. Leur nombre est illimité, ils ne sont ni nommés,
ni rétribués par l'Etat et, en assistant et représentant les parties
devant les tribunaux, ils ne s'acquittent pas d'une charge publique,
ils exécutent le mandat de droit civil qu'ils ont recu de leur client
(cf. ZÜRCHER, Schweizerisches Anwaltsrecht, p. 200 et sv.). Peu importe
dès lors que la loi de 1851 les appelle des officiers civils , c'est là
une simple désignation qui ne correspond plus à la réalité des choses,
soit au fait que les avocats ne détiennent aucune parcelle de la puissance
publique et qu'ils pratiquent pour leur propre compte et à leur profit
personnel ce qui est la marque distinctive de l'activité professionnelle
à laquelle s'applique la garantie inscrite à l'art. 31 Const. féd. '

Du moment donc que la recourante peut se mettre au bénéfice de cette
garantie, la seule question qui se pose est celle de savoir s'il
existe des motifs suffisants pour justifier la restriction au libre
exercice de la profession et l'inégalité de traitement que consacre le
droit fribourgeois en réservant aux hommes la faculté de pratiquer le
barreau. Cette question a été résolue affirmativement par le Tribunal
federal dans l'affaire Kempin (arrét du 29 janvier 1887: R0 13'p. 16 sv.)
où il a été juge que, d'après les conceptions dominantes à l'époque,
le traitement inégal des deux sexes, notamment en ce qui concerne
la participation à la vie publique, n'est pas dépourvu de fondement
intrinséque (loc. cit. p. 5). Dans une affaire plus recente (RO 40 I p. l
et sv.), le Tribunal federal a laisse la question ouverte, mais en faisant
observer que, s'agissant de l'exclusionHandelsund Gewerbefreiheit. N°
3. 19

des femmes de la profession d'agent d'affaires, le canton de Saint-Gall
ne peut pas invoquer les conceptions traditionnelles auxquelles se réfère
l'arrèt Kempin, puisqu'il les a abandonpées en permettant aux femmes
de pratiquer le barreau. Aussi bien, l'idée dont s'inspire cet arrét
Kempin n'est plus en harmonie avec les conditions actuelles. Par suite
des transformations d'ordre économique et social qui se sont produites au
cours des dernières decades, les femmes ont été obligées d'étendre leur
activite à des domaines qui autrefois paraissaient réservés aux hommes
et elles y sont mieux que par le passe préparées par leur education et
leur instruction qui tendent à se rapprocher de celles que recoivent les
hommes. Enregistrant cette evolution, le droit federal leur reconnait une
pleine capacité civile, meme à la femme mariée il facilite l'exercice
d'une professiou indépendante en lui permettant de recourir au juge si
le mari refuse sen autorisation, il ne fait plus de distinction entre
les sexes quant à la faculté de remplir les fonctions de tuteur. Si les
droits politiques continuent très généralement en Suisse à étre refusés
aux femmes, par contre dans la vie économique les moeurs et les lois
qui en sont le reflet ont consacré l'égalité des sexes. La difference
de sexe n'est donc plus en elle-meme une raison suffisante pour refuser
aux femmes l'accès à telle profession déterminée; 011 doit encore

rechercher si les conditions particulières de cette profession rendent
les femmes inaptes à l'exercer. Or tel n'est certainer'nent pas le cas
de la profession d'avocat.

Dans de nombreux cantons, les femmes sont autorisées

expressément (Zurich, Loi du 3 juillet, 1898 § 5 ; Saint-

Gall, Règlement du 21 mai 1901, art. 1; Bale-Ville,

Loi du 29 septembre 1910 § 3 et go; Genève, Loi du

18 novembre 1911, art. 126; Neuchatel, Loi du 20 mai

1914, art. 14) ou tacitement (Berne, Zoug, etc. cf. Zün-

CHER, op. cit. p. 73 et sv.) à pratiquer le harreau et en

effet l'aptitude à la profession d'avocat dépend beaucoup

20 Staatsrecht.

plus de la personnalité que du sexe et l'on ne saurait raisonnablement
prétendre et le Conseil d'Etat fribourgeois ne prétend pas que d'une faqon
générale la femme ne posséde pas les qualités intellectuelles et morales
qui sont indispensables pour l'exercer correctement. Seuls des préjugés
et des conceptions surannées motivant ainsi l'exclusion des femmes qui
résulte de la loi fribourgeoise, elle apparait comme une restriction
inadmissible de la liberté garantie par l'art. 31 Const. féd. et par
conséquent la patente qui pour cette unique raison a été refusée à la
recourante doit lui ètre accordée.

Le Tribunal fédéral pronunce :

Le recours est admis et le Conseil d'Etat est invité à délivrer à la
recourante la patente sollicitée.
Decision information   •   DEFRITEN
Document : 49 I 14
Date : 24. Februar 1923
Published : 31. Dezember 1924
Source : Bundesgericht
Status : 49 I 14
Subject area : BGE - Verfassungsrecht
Subject : II. HANDELSUND GEWERBEFREIHEIT LIBERTÉ DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE 3. Arrèt du


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