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III. OBLIGATIONENRECI-i'sDROlT DES OBLIGATIONS

43. Arrét de 1a lN section civile du 21 mai 1915 dans la cause D' Koller,
défendeur, contre Demoiselle Reuters}, demanderesse,

Responsabilité d'un médecin à raison du dommage cause à une sage-femme par
une dénonciation faite par lui à l'autorité de surveillance. Exaetitude
des iaits allégués par lui, mais appreciation erronee de la prélendue
faute qu'ils impliquent à la charge de la sage-femme. Bonne foi du
médecin. Demande de ia sage-femme écartée.

A. Le 16 juillet 1911 demoisclle Eugénie Sauterel, sage-femme à Rue,
fut appelée vers 4 heures du matin chez Anna Butty, à Ursy, qui était
sur le point d'accoucher. A 9 heures du matin elle constata que l'enfant
était dans une position transverse et conseilla d'eppeler un médecin ;
dame Betty s'y opposa. Après 11 heures, la poche des eaux s'étant rompue,
Eugénie Sauterel insista pour qu'on appelàt un médecin ; on téléphona
alors au Dr Keller à Romont. Vers 13.4 h. arriva le Dr Blanc assistant du
Dr Keller qu'il disait absent. Il reprocha à la sage-femme de ne l'avoir
pas fait venir plus tot et estimant qu'il n'y avait d'autre meyen de
délivrer la malade qu'en decapitant l'enfant, il se mit en devoir de
procéder a cette opération au moyen du crochet Braun. Après des essais
infmctueux il y renonca et fit appel-er téléphoniquement le D' Keller.
celui-ci n'ayant pas été atteint, le Dr Blanc partit luiméme pour aller
chercher des anesthésiques nécessaires pour continuer l'opération ; il
laissa le crochet dans le sein de la mère. Il prit le train pour Romont
et en revint en voiture vers 5 heures. Le Dr Keller arriva peu après, et

Obllgationenrecht. N° 43. 349

acheva la décapitation et i'accouchement. Il constata une déchirure de la
matrice et jugea la cas désespèré. Il revint le lendemain et preserivit
quelques toniques.-Dame Butty décéda le jour suivant.

Le 21 juillet 1911 les D" Keller et Blanc adressèrent au Département
cantonal de la police la lettre suivante :

Vu le nombre toujours plus considerable de sagessi femmes qui pratiquent
sans avoir fait leurs études ré glementaires, je considère de mon devoir
de commencer à vous faire connaître tous les accidents graves auxquels
leur ignorance ou leur nègligence donnent lieu.

Le 16 courant, la cage-femme de Rue, Mademoiselle Sauterel, mèconnaissant
une position transverse (cas de Madame Butty aux Egraz sur Ursy), a
appelé le médecin tellement tard que, lorsque celui oi est arrive avec
toute la diligence possible, le bras de l'enfant, complètement cyanosé,
était déjà hors de la vulve jusqu'au coude et le vagin contenait des
anses de cordon qui ne pulsajent plus. La femme présentait tous les
symptömes d'une grave hémorragie interne et la tete de l'enfant était
nettement palpable dans la kosse iliaque gauche, comme si elle eüt
été directement sous la peau, ce qui d'emblée fit diagnostiquer une
rupture de la matrice. Inutile de dire que, dans ces conditions, il
était impossible de sau ver ni la mère ni l'enfant.

Je tiens à vous Signaler la chose, car je serais fort heu reux de voir
diminuer la mortalité effrayante dont sont atteintes les femmes en
couches par ia négligence ou l'incapacità de certaines sages-femmes.

Le Département fit procéder à une enquète parle Préfet de la Glàne et
nantit la commission de santé. Celle-ei constata que demoiselle Sauterel
avait insisté assez tòt pour qu'on appelàt un médecin, que le Dr Blanc
était arrive sans ehloroforme ce qui n'avait pas permis de tenter la
version en narcose qu'il avait abandonné la patiente pendant 3 heures
laissant le crochet Braun dans les parties génitales, qu'ayant c_onstaté
une ruptnre de

350 ' si ss Obligationenrecht. N° 43.

matrice les médecins n'étaien't revenus voir la malade que 24 heures
après, sans rien tenter pour la tirer d'affaire, qu'ainsi si négligence
il y a eu, ce n'est pas dela part de la sage-femme . lls ont donc
déclarési la plainte injustifiée, ce dont les médecins et la sage-femme
ont été avisés le 26 décembre.

B. A la suite de ces faits, demoiselle Sauterel a ouvert action le 25
juillet 1912 au Dr Koller en lui réclamant une indemnité de 6000 fr. à
raison du dommage qu'il lui a causé par sa plainte ahusive et par les
propos difiamatoires qu'il a tenus sur son compte dans les établissements
publics de Roment.

Le I)r Keller a soulevé une exception de prescription et, au fond, a
conclu à liberation. Une expertise a été ordennée par le tribunal. Tout
en relevant de multiples fautes à la charge de Dr Blanc, les experts ont
estimé que la sagefemme aurait pu diagnostiquer la position transverse
avant la rupture de la poche des eaux, qu'elle aurait dù appeler le
médecin dès après le premier examen et que d'ailleurs ses connaissances
sont insuffisantes ; ils ont jugé de plus que les médecins avaient
le droit d'avertir l'autorità et de demander une enquète, mais qu'ils
auraient dù s'abstenir de porter un jugement prématuré.

Sur la base de cette expertisess, le Tribunal de la Glàne a débouté
demoiselle Sauterel de ses conclusions par le motif que le Dr Koller
avail. le droit et le deveir de signaler le cas Butty à l'autorité,
qu'il l'a fait sans intention dolosive à l'égard de la demanderesse
et que d'ailleurs celle-ci n'a subi aucun préjudice. Le tribuna} a mis
les frais pari-3 [5 à la charge du D Keller et par 2 /5 à la charge de
demeiselle Sauterel.

sur appel de la demanderesse, la Cour d'appel a réformé ce jugement et
condamné le Dr Keller à 300 fr. d'indemnite et aux fl ais. Ce jugement
est motivé en résumé comme suit :

L'exception de prescription n'est pas fondée : demol-Obligationenrecht. N°
43. 351

selle Sauterel n'a eu connaissance de la plainte que le 26 juillet 1911
et elle a ouvert action le 25 juillet 1912.

S'agissant de savoir si la demanderesse & commis une faute en n'appelant
pas le docteur plus tòt, on ne saurait adopter l'avis des experts et
l'on doit s'en tenir aux prescriptions précises de la l'égislation
fribourgeoise ; or demoiselle Sauterel s'y est conformée. Le Dr Keller
devait le savoir, il devait donc se rendre compte que sa plainte était
mal fondée et qu'elle peuvait avoir pour la sagefemme des conséquences
graves. Sa responsabilité est done engagée ; il n'est pas exact qu'il
fùt obligé de porter plainte ; seul le médecin d'arrondissement a cette
obligation. D'autre part il n'est pas prouvé qu'il ait répandu dans le
public des bruits fächeux sur le compte de la demanderesse. Celle-ci n'a
pas non plus établi l'existence d'un dommage materie], mais à titre de
satisfaction morale il paraît équitable de lui allouer une indemnité de
300 fr.

C. Le D' Keller a recouru eu reforme contre cet arrét en concluant à
liberation de la demande de demolselle Sauterel.

La demanderesse s'est jointe au reeours, en concluant à l'augmentation
de l'indemnité allouée. Elle soutient que le recours du défendeur est
tardif, parce que, mis à la poste le dernier jour du délai, il n'est
parvenu que le lendemain à l'instance cantonale.

Statuant sur ces faits et eonsidérant e n d r e i t : · 1. L'intimée
soutient que le recours est tardif parce que parvenu au Greffe cantonal le
lendemain du jour où le délai expirait, alors que, d'après la législation
fribourgeoise, le recours aurait dù non seulement etre mis à la poste,
mais aussi arriver à destination avant l'expiration du délai. Mais les
dispositions de la proeedure cantonale sont sans application possible,
les conditions du recours

352 Obiigationenrecht. N ° 43.

an Tribunal fédéral étant réglèes exclusivement par le droit federal :
or, d'après l'art. 41 al. 3 CUP, il suffit que le recours alt été remis
à la poste le dernier jour du délai ce qui a eu lieu en l'espèce.

Le recourant n'a pas repris devant le Tribunal federal le meyen tire de
la preseription ; ce moyen est d'ailleurs depeurvu de fendement ainsi
que cela résulte des considérants de l'arrét cantonal resume ci-dessus
et auxquels on peut se referer.

D'autre part, a l'audience de ce jour, le représentant de la demanderesse
n'a plus prétendu que le défendeur eùt tenu en public des propos
fåeheux sm le compte de demoiselle Sauterel; du reste, sur la base
des constatations de fait de l'instance cantonale, le Tribunal fédéral
n'aurait pu admettre l'exactitude de ce grief. L'action tend dès lors
uniquenient à la réparation du prétendu demmage cause a la demanderesse
par la dénonciation du 21 juillet 1911 et la question à résoudre est
celle de savoiis si la responsabilité du défendeur est engagée de ce chei.

2. Tout d'abord on ne saurait von un acte illieite dans le fait meme de
la denenciation indépendamment du contenu de celle-ci. Sans doute la Cour
d'appel a juge que c'est au médecin d'arrondissement seul qu'il incombe
de porter plainte et cette decision qui repose sur l'interprétation de
normes de droit iribourgeois lie le Tribunal fédéral. Mais de ce que, par
ses functions, le Dr Koller n'avait pas l 'O DI i g a ti o n de porter
plainte en n'est evidemment pas fonde à conclure qu'il n'en avait pas
le d r o i t; le droit de Signaler à l'autorité de sunseillanee des
faits interessant la santé publique doit au eontraire etre reeennu à
tout médecin. Aussi bien ce que la demanderesse reproche au défendeur
ce n'est pas la denunciation en elle-meme, mais uniquemcnt son caractère
injustifié et abusif.

A ce point de vue il y a lieu de rappeler que, d'après la jurisprudence
constante du Tribunal Federal (v. BO 11 p. 646 et su, H p. iii? et p. 676
et sv., W p. issiîi et sv., 22 p.Obîigationenrecht. N° 43. 353

80 et sv., 33 il p. 617), une dénonciation qui dans la suite se révele
mal fondée n'engage la responsabiiité de l'auteur que s'il a agi
dolosivement on a la légère. il n'est pas nécessaire de prendre parti
dans la controverse, toute théorique, qui s'est élevée entre ceux qui
soutiennent qu'une plainte injustiiiée, mais portée de benne foi, ne
constitue pas un aete illicite et ceux qui lui attribuent ce caractère
et n'excluent la responsabilité de l'auteur qu'à reisen de l'absence de
laute ; pratiquement les deux eoneeptjens aboutissent au méme résultat,
c'est-à-dire a faire supporter à l'auteur les conséquences dommageables
de la dénonciation dans le cas seulement où il & su ou dù savoir qu'elle
était ma] l'ondée.

En l'espe'ce, la denoneiation émanant des Dm Keller et Blaue
contient d'une part (2e alinea), un exposé des faits qui se sont
passés lors (le l'accouchement de dame Butty, d'autre part (lr et 3°
alineas),une appreciation du ròle jene à cette occasion par demoiselle
Sauterei. L'instance cantonale ne clit pas que les faits soient
inexaeteme'nt relatésis, mais elle a juge que, contrairement à ce
qu'affirme ou du meins a ce que laisse entendre la dénonciation dans son
préamhule et dans sa conclusion, en ne peut reproeher il la sage-femme
aucune violation de ses devoirs professionnels. Sur ce dernier point la
décision cantonale ecliappe au pouvoir du contròle du Tribunal fédéral,
car il s'agit d'une question de droit fribourgeois, seit de la question
de savoir quel est, d'après les règlements en viguenr, le devoir de
la sage-femme en cas d'accouchement difficile. notamment si et à quel
moment elle doit faire appeler le médecin. On deit donc tenir pour
constant que la demandei'esse s'est conformée aux obligations que lui
imposait la législation Îribourgeoise et que par conséquent c'est à
tort que le défendeur a prétendu qu'elle y avait failli. Par contre il
reste à recherches et c'est là une question de droit fédéral si cette
aecusatien injustifiée engage la respensabilite du D" Koller. Or cette
question doit rece-voir une solution negative.

354 Obligationenrecht. N° 43.

Tout d'ahorsscssi il.,convient de relever la difference qui

existe entre l'allégation de faits inexacts et l'appréciation erronee
de faits d'ailleurs reels. Dans le premier cas le dénonciateur
risque d'induire en erreur l'autorité en faussant la base meme de ses
investigations ; dans le deuxième cas ce risque n'existe pas, puisque
l'autorité saisie de l'affaire est mise en possession des éléments
nécessaires pour se former sa convietion et que sa liberté d'appréeiation
ne subit aucune atteinle du fait de l'appréciation, peut-etre erronee,
qui lui est soumise par le plaignant, mais qui ne saurait la lier ni
meme l'influencer. Si meme on ne veut

pas exclure absolument la responsabilité du dénonciateur '

qui se berne à accompagner d'appréeiations inexactes un expose de faits
conforme à la vérité, à tout le moins faudrait il que l'inexactituside
de ces appréciations eùt été ou volontaire ou inexeusable. En l'espèce,
la demanderesse prétend que c'est pousse par un mobile interesse,
c'est-ädire afin d'échapper à l'action en responsabilité que le mari
Butty menacait de lui intenter, que le D' Keller a pris les devants et
a charge la sage-femme. Mais cette allégation n'est ni prouvée, ni méme
vraisemblable : bien loin de servir à couvrir les lautes des médecins, la
denenciation devait nécessairement les mettre en pleine lumière et il est
à présumer que le D'Koller s'en serait abstenu s'il avait eu conscience
qu'elle était dèpourvue de fondement. Tout porte à croire que, s'il a jugé
à propos de signaler le cas Butty à l'autorité c'est, comme il le disait
dans sa plainte, afin de prévenir d'autres accidents de ce genre qu'il
estimait de bonne foi imputables à l'habitude de certaines sages-Îemmes
d'appeler trop tard le médecin. L'instance cantonale elle-meme reeonnaît
que telle était sincèrement l'opinion du défendeur et la faute qu'elle lui
reproche c'est de n'avoir pas ohservé que cette opinion n'avait pas force
de Ioi dans le canton de Fribourg et que les règlements sur la matière
n'imposaient pas à la demanderesse i'obligation d'appeler le médecin
plus tòt qu'elle ne l'a fait. Mais on ne peut faire au défendeur un

Obligationenrecht. N° 43. 355

grief sérieux de cette méconnaissance du sens qu'attribue la Cour d'appel
aux règlements fribourgeois; car les textes appplicables ne sont pas
d'une clarté telle qu'une erreur d'interprétation constitue une faute,
alors surtout qu'on constate que l'avis du défendeur a été partagé
par les trois experts désignés par le tribuna]. Dans ces conditions le
recourant ne peut étre rendu responsable des conséquences dommageables
d'une dénonciation qu'il croyait et pouvait croire justifiée. On doit
d'ailleurs observer qu'en fait la demanderesse n'a pas soufiîert de
préjudice materie] et que le dommage moral qu'elle a pu subir se trouve,
sinon réparé, du moins très fortement atténué par la satisfaction que
lui a accordée la Commission de sauté en reconnaissant que sa conduite
lors de l'accouchement Butty a été irréprochable.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: Le recours principal est
admis et l'arrét attaqué est réformé en ce sens que la demanderesse est
déhoutée en

entier de ses conclusions. Le recours par voie de jonction est écarté.

AS M [[ 1915 24-
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : 41 II 348
Date : 21. Mai 1915
Publié : 31. Dezember 1915
Source : Bundesgericht
Statut : 41 II 348
Domaine : BGE - Zivilrecht
Objet : 348 Obligationenrei ht ...a III. OBLIGATIONENRECI-i'sDROlT DES OBLIGATIONS 43.


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