Europäischer Gerichtshof für Menschenrechte
Cour européenne des droits de l'homme
Corte europea dei diritti dell'uomo
European Court of Human Rights


QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 42756/02 présentée par Katharina LUGINBÜHL contre la Suisse
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant le 17 janvier 2006 en une chambre composée de :

SirNicolas Bratza, président, MM.J. Casadevall, L. Wildhaber, R. Maruste, S. Pavlovschi, J. Borrego Borrego, J. Sikuta, juges, et de M. M. O'Boyle, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 29 novembre 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Katharina Luginbühl, est une ressortissante suisse, née en 1961 et résidant à Flawil et Hadlikon-Hinwil. Elle est représentée devant la Cour par Me E. Ackermann, avocat à Egg-Flawil.

A. Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

Les sociétés TDC Switzerland et Orange Communications SA envisagèrent d'aménager une antenne pour la téléphonie mobile située à Flawil. Le poteau existant devait être remplacé par un autre de dimension légèrement plus grande afin de permettre la fixation de six antennes supplémentaires (deux fois trois antennes de type GSM-900 et GSM-1800).

De nombreuses contestations furent déposées contre le projet, parmi lesquelles figurait aussi celle de la requérante.

L'office de planification (Planungsamt) du canton de St-Gall entérina, par une décision du 18 septembre 2001, le projet de construction prévu.
Le 15 janvier 2002, la commission de construction (Baukommission) de la commune de Flawil rejeta les contestations et octroya le permis de construire litigieux.

La requérante recourut contre l'octroi du permis de construire.
A une date non spécifiée, le département de construction (Baudepartement) du canton de St-Gall rejeta son recours.

La requérante déposa une plainte auprès du tribunal administratif du canton de St-Gall, demandant l'annulation du projet de construction. Elle demanda explicitement une audience publique devant cette instance.

Par une décision du 18 mars 2003, le tribunal administratif, sans avoir entendu la requérante, rejeta la plainte, abstraction faite de la question des frais de procédure.

La requérante saisit le Tribunal fédéral d'un recours de droit public ainsi que d'un recours de droit administratif. Invoquant les articles 1, 2, 6, 8, 13 et 14 de la Convention, elle demanda l'annulation de la décision du 18 mars 2003.

A la lumière de l'article 8 de la Convention, la requérante soutint que les émissions provoquées par la téléphonie mobile pouvaient entraîner des atteintes à sa santé, même au-dessous des valeurs limites d'émissions admises. A l'appui de sa thèse, elle invoqua un arrêt du Tribunal fédéral du 10 février 2003 la concernant, dans lequel celui-ci avait explicitement constaté les souffrances réelles (« das reale Leiden ») de la requérante, en tant que personne sensible à des émissions dues au phénomène de l'électrosmog (« elektrosensible » Person), même face à seulement un dixième des valeurs limites en vigueur. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral estima également que les souffrances des personnes concernées pourraient encore s'aggraver si celles-ci étaient confrontées à l'idée d'une construction d'une nouvelle antenne.

Ainsi, la requérante demanda au Tribunal fédéral de constater que l'ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant (Verordnung über den Schutz nicht ionisierender Strahlung) ne tient pas suffisamment compte des catégories de personnes particulièrement sensibles, comme l'exige l'article 13 § 2 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement (Umweltschutzgesetz) (voir, ci-dessous, sous la partie « Le droit interne pertinent »).

De surcroît, elle fit valoir plusieurs violations de son droit d'être entendue équitablement. Elle soutint, notamment, que les instances inférieures n'avaient pas suffisamment pris en compte ses offres de preuve. A ce sujet, elle demanda la tenue d'une audience publique en présence des témoins, des spécialistes ainsi que d'un expert autorisé à présenter sa nouvelle méthode visant à prouver les effets nocifs des émissions dues à la téléphonie mobile.

Le 21 août 2003, l'office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (Bundesamt für Umwelt, Wald und Landschaft) soumit ses observations par rapport aux recours déposés. Il prit en particulier position vis-à-vis de diverses expertises provenant de la société internationale pour la recherche de l'électrosmog (Internationale Gesellschaft für Elektrosmog-Forschung) en date des 22 juillet 2002 et 12 mars 2003, ayant souligné le danger provenant de la téléphonie mobile. D'après l'office, ces études ne satisfaisaient pas aux exigences d'une recherche scientifique au sens propre du terme. De surcroît, il estima que la nouvelle méthode présentée par l'expert proposé par la requérante, permettant soi-disant de mesurer, pour la première fois, les effets nocifs de la téléphonie mobile, était très rudimentaire. Enfin, il était difficile de déterminer ce que cet appareil mesurait effectivement.
Par un arrêt du 15 décembre 2003, le Tribunal fédéral, sur recours de droit administratif de la requérante, reconnut la qualité de victime de celle-ci, dans la mesure où elle habitait au sein du périmètre déterminant pour l'application des valeurs limites des émissions admissibles. Par contre, la haute juridiction suisse rejeta le recours sur le fond.

Le Tribunal fédéral estima qu'il incombait principalement aux autorités administratives spécialisées, notamment à l'office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage, de suivre les développements en matière de téléphonie mobile et de prendre des mesures s'il avérait que les valeurs limites ne satisfaisaient pas au principe de précaution (Vorsorgeprinzip). La justice ne pourrait intervenir que si les organes compétents violaient de manière flagrante ces obligations ou s'ils abusaient de la marge d'appréciation accordée en la matière.

Ensuite, le Tribunal fédéral considéra, d'une part, que la nouvelle méthode de mesurer les effets nocifs était loin d'être établie dans le milieu scientifique et, d'autre part, qu'il n'appartenait pas au juge qui ne possède de toute façon pas l'expertise nécessaire, d'apprécier la valeur probante de la nouvelle méthode préconisée par l'expert proposé par la requérante. Il convenait, dès lors, de rejeter la demande de prise en compte de cette nouvelle méthode visant à mesurer les effets de la téléphonie mobile sur la santé des individus.

En même temps, le Tribunal fédéral rappela que l'office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage avait publié en 2003 une étude scientifique sur le sujet des effets sur l'environnement et la santé des téléphones mobiles. D'après cette étude, il était probable que l'exposition à des téléphones mobiles provoque certains effets, notamment une modification des ondes cérébrales ainsi que des symptômes moins spécifiques, comme des maux de tête, de la fatigue, des difficultés de concentration et de sommeil ainsi que des démangeaisons. Il s'agissait néanmoins d'effets pas susceptibles de se manifester en dessous des valeurs limites prévues par la législation suisse. Selon cette étude, des effets plus graves, telles que leucémie ou tumeurs cérébrales, ne pouvaient être exclus de manière catégorique lors d'une exposition à des rayonnements en dessus des valeurs limites applicables en Suisse.

En revanche, cette étude démontra qu'il n'existait aucune recherche scientifique sur les effets provenant directement des antennes pour la téléphonie mobile sur les personnes séjournant à proximité. Ainsi, la question de la nocivité de ces antennes était toujours ouverte et jusqu'à présent, aucune conclusion ne pouvait être tirée concernant l'existence ou l'absence de risques pour la santé de l'homme, notamment provenant d'une exposition à des rayonnements se situant en dessous des valeurs limites admissibles en droit suisse. Enfin, le Tribunal fédéral rappela que l'office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage avait soumis auprès de l'office fédéral de l'éducation et de la science (Bundesamt für Bildung und Wissenschaft) un projet en vue d'un nouveau programme de recherche concernant le « rayonnement non ionisant, environnement et santé ».
Ainsi, le Tribunal fédéral conclut, vu l'état du débat scientifique actuel en la matière, qu'on ne saurait reprocher au Conseil fédéral (Bundesrat), lequel avait appliqué les valeurs limites en vigueur, un abus de son pouvoir d'appréciation. L'étude publiée par l'office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage ainsi que la recherche scientifique proposée par celui-ci témoignaient, de surcroît, des efforts entrepris par les autorités compétentes pour suivre le développement scientifique en la matière et réexaminer périodiquement les valeurs limites applicables. En conclusion, aucune violation de leurs devoirs ne devait être retenue contre lesdites autorités.

Le Tribunal fédéral estima ensuite que l'article 6 de la Convention ne s'appliquait pas au présent litige, dans la mesure où la requérante ne devait pas être considérée comme menacée d'atteintes sérieuses à son intégrité physique ou à sa santé. Dès lors, la requérante ne pouvait se prévaloir du droit à un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention. En tout état de cause, le Tribunal fédéral soutint que, compte tenu du volume considérable des documents soumis par la requérante ainsi que de la prise de position de l'office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage, il n'était pas nécessaire d'interroger d'autres témoins ou experts. Une audience publique ne s'avérait de tout façon pas opportune vu la nature hautement technique des questions qui se posaient en l'occurrence.
En même temps, le Tribunal fédéral déclara irrecevable, compte tenu du caractère subsidiaire de cette voie de droit, le recours de droit public de la requérante.

B. Le droit interne pertinent

Les articles 13 à 15 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement ont pour objet les immissions[1] admissibles en vertu de cette loi. Son article 13 est libellé ainsi :

« Article 13 : Valeurs limites d'immissions

1. Le Conseil fédéral édicte par voie d'ordonnance des valeurs limites d'immissions applicables à l'évaluation des atteintes nuisibles ou incommodantes.

2. Ce faisant, il tient compte également de l'effet des immissions sur des catégories de personnes particulièrement sensibles, telles que les enfants, les malades, les personnes âgées et les femmes enceintes ».

En ce qui concerne le droit d'être entendu publiquement, il découle de l'article 60 § 1 de la loi sur l'organisation judiciaire (Gerichtsgesetz) du canton de St-Gall qu'une audience publique devant le tribunal administratif dudit canton n'est prévue qu'exceptionnellement, à savoir si la protection des intérêts des parties l'exige ou si la tenue d'une audience publique semble opportune pour d'autres raisons.

GRIEFS

1. Invoquant l'article 6 de la Convention, la requérante se plaint de ce que sa cause n'a pas fait l'objet d'une audience publique et que les autorités internes compétentes n'ont pas suffisamment pris en compte ses offres de preuve, notamment la nouvelle méthode visant à mesurer les effets nocifs de la téléphonie mobile.

2. A la lumière des articles 2 et 8 de la Convention, la requérante prétend, en tant que personne particulièrement sensible à des émissions dues au phénomène de l'électrosmog, être victime d'une atteinte à sa santé, provenant de l'exploitation de l'antenne projetée.

3. La requérante fait enfin valoir des violations des articles 13 et 14, combinés avec l'article 8 de la Convention.

EN DROIT

A. Les griefs tirés de l'article 6 de la Convention

La requérante fait valoir que sa cause n'a pas été entendue publiquement et que ses offres de preuves n'ont pas été suffisamment prises en compte par les juridictions internes. A ce sujet, elle a en vain demandé, au niveau interne, la tenue d'une audience publique en présence de témoins, de spécialistes ainsi que d'un expert autorisé à présenter sa nouvelle méthode visant à prouver les effets nocifs des émissions dues à la téléphonie mobile. Elle invoque l'article 6 de la Convention, libellé ainsi dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
La Cour n'estime pas nécessaire de trancher la question de l'applicabilité de l'article 6 à la présente affaire, dans la mesure où en tout état de cause, les griefs de la requérante se heurtent à un autre motif d'irrecevabilité (voir, pour une affaire portant sur la prolongation du permis d'exploitation d'une centrale nucléaire dans laquelle la Cour a conclu à l'inapplicabilité de l'article 6, Balmer-Schafroth et autres c. Suisse, arrêt du 26 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1357-1359, §§ 30 - 40).
1. Grief tiré du droit à une audience publique

La Cour rappelle tout d'abord que la publicité des débats judiciaires constitue un principe fondamental consacré par l'article 6 § 1. Ni la lettre ni l'esprit de ce texte n'empêchent une personne d'y renoncer de son plein gré de manière expresse ou tacite, mais pareille renonciation doit être non équivoque et ne se heurter à aucun intérêt public important (voir, entre autres, l'arrêt Håkansson et Sturesson c. Suède du 21 février 1990, série A no 171-A, p. 20, § 66, Schuler-Zgraggen c. Suisse, arrêt du 24 juin 1993, série A no 263, pp. 19-20, § 58).

En outre, une audience publique peut ne pas être nécessaire compte tenu des circonstances exceptionnelles de l'affaire, notamment lorsque celle-ci ne soulève pas de questions de fait ou de droit qui ne peuvent être résolues sur la seule base du dossier disponible et les observations des parties (voir, Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, Lundevall c. Suède, no 38629/97, § 34, 12 novembre 2002, Salomonsson c. Suède, no 38978/97, § 34, 12 novembre 2002, voir aussi, mutatis mutandis, Fredin c. Suède (no 2), arrêt du 23 février 1994, série A no 283-A, pp. 10-11, §§ 21-22 ; Fischer c. Autriche, arrêt du 26 avril 1995, série A no 312, pp. 20-21, § 44).
La Cour réitère également le principe selon lequel l'intéressé a normalement le droit d'être entendu publiquement devant une instance « unique ». Cependant, l'absence de débats publics devant une seconde ou troisième instance peut être justifiée par la nature particulière de la procédure concernée, si l'affaire a fait l'objet d'une audience publique devant la première instance. Il s'ensuit que sauf dans des circonstances exceptionnelles susceptibles de justifier l'absence de débats publics, l'article 6 exige que l'intéressé soit entendu publiquement au moins devant une instance (Döry, précité, § 39, Lundevall, précité, 36, Salomonsson, précité, § 36, Helmers c. Suède, arrêt du 29 octobre 1991, série A no 212-A, p. 16, § 36).

En l'occurrence, la Cour constate que le litige porté devant elle n'a pas fait l'objet d'une audience publique devant le tribunal administratif du canton de St-Gall, bien que la requérante ait demandé explicitement d'être entendue devant cette instance. En effet, il ressort de la législation cantonale (voir ci-dessus sous la partie « Le droit interne pertinent »), que cette juridiction ne procède qu'exceptionnellement à une audience publique.
Le Tribunal fédéral, en deuxième et dernière instance, a rejeté la demande expresse portant sur la tenue d'une audience publique, estimant que l'article 6 ne s'appliquait pas à l'affaire dont il avait été saisi et que la nature hautement technique des questions en jeu se prêtait mal à la tenue des débats publics.

La Cour est donc amenée à examiner si l'absence complète des débats publics devant les juridictions internes était justifiée par les circonstances exceptionnelles de l'affaire.

A cet égard, la Cour estime d'abord, à l'instar du Tribunal fédéral, que la question principale soulevée par la présente affaire et pour l'appréciation de laquelle la requérante a demandé une audience publique est celle de la nocivité des antennes pour la téléphonie mobile pour la santé des personnes demeurant en leur proximité. Les juridictions suisses pouvaient s'appuyer dans l'analyse de cette question sur un volume considérable de documents concernant les impacts de la téléphonie mobile, notamment sur une étude scientifique de l'office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage, publiée en 2003, concernant les effets des téléphones mobiles sur l'environnement et la santé des individus. Confrontés à une question scientifique controversée, les juges nationaux sont a priori mieux placés qu'une juridiction internationale pour apprécier ce genre de question, étant donné qu'ils ont profondément étudié les éléments pertinents invoqués par les parties au litige.

Le présent litige avait donc principalement pour objet l'interprétation d'opinions scientifiques divergentes. La Cour est convaincue que ce type de litige, hautement technique, se prête mieux à une procédure écrite qu'à la tenue de débats publics (voir, mutatis mutandis, Schuler-Zgraggen, précité, p. 20, § 58). Il n'est pas établi qu'une audience publique, en présence des témoins et des experts, ait permis d'influencer de manière décisive l'opinion des juges nationaux.

Enfin, la Cour réitère le principe selon lequel les autorités judiciaires doivent s'orienter, dans certains domaines, aux principes de l'efficacité et l'économie de la procédure (mutatis mutandis, Schuler-Zgraggen, précité, pp. 19-20, § 58 ; Döry, précité, § 41).

Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu'on se trouvait dans des circonstances exceptionnelles justifiant l'absence de débats publics devant les instances internes.

Dès lors, la Cour conclut que le grief tiré de l'absence d'audience publique au sens de l'article 6 § 1 doit être rejetée comme étant manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Grief tiré du rejet des offres de preuve

La requérante se plaint également du fait que ses offres de preuves n'ont pas été prises en compte par les juridictions internes, dans la mesure où les juridictions internes ne lui ont pas permis, dans le cadre d'une audience publique, de présenter des témoins et des spécialistes ainsi que l'expert qui devait être autorisé à présenter sa nouvelle méthode visant à prouver les effets nocifs des émissions dues à la téléphonie mobile.
La Cour estime que ce grief est étroitement lié à celui tiré de l'absence de débats publics. Elle rappelle néanmoins que si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales. Sa tâche consiste à rechercher si la procédure examinée dans son ensemble a revêtu un caractère équitable (voir, par exemple, l'arrêt García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, p. 118, § 28, CEDH 1999-I).
En l'espèce, l'arrêt du Tribunal fédéral du 2 décembre 1997 est intervenu à l'issue d'une procédure contradictoire au cours de laquelle la requérante a pu contester les moyens développés par la partie adverse et présenter les arguments à l'appui de ses thèses qu'elle jugeait pertinentes pour la défense de sa cause. La haute juridiction suisse s'est appuyée notamment sur les expertises scientifiques provenant de différentes origines, en particulier de la société internationale pour la recherche de l'électrosmog ainsi que de l'office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage.
La Cour constate également que le Tribunal fédéral a amplement motivé, en fait et en droit, la décision portant sur le rejet des prétentions de la requérante et, plus particulièrement, qu'il ressort sans équivoque de son arrêt du 15 décembre 2003 pour quelles raisons il ne s'estima pas tenu de procéder à l'interrogatoire des témoins et spécialistes proposés par la requérante (voir, a contrario, Vidal c. Belgique, arrêt du 22 avril 1992, série A no 235-B, p. 33, § 34). Il apparaît donc que cette juridiction a apprécié la crédibilité des divers arguments présentés à la lumière des circonstances de l'affaire et a dûment motivé sa décision à cet égard. Il ne ressort pas qu'il ait tiré des conclusions arbitraires des faits qui lui étaient soumis.

Par conséquent, la Cour estime, eu égard aussi à la marge d'appréciation plus ample du juge national dans le domaine du contentieux « civil » (Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1993, série A no 274, p. 19, § 32) que la procédure devant les instances internes, considérée dans son ensemble, a revêtu un caractère équitable.

Dès lors, la Cour conclut que le grief tiré du rejet des offres de preuve doit être rejetée comme étant manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Le grief tiré de l'article 8 de la Convention

La requérante fait valoir une atteinte à sa santé causée par le projet d'antenne litigieux. Elle invoque à ce titre l'article 8 de la Convention, libellé comme il suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

1. Applicabilité de l'article 8 au cas d'espèce

L'article 8 de la Convention protège le droit de l'individu au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Le domicile est normalement le lieu, l'espace physiquement déterminé où se développe la vie privée et familiale. L'individu a droit au respect de son domicile, conçu non seulement comme le droit à un simple espace physique mais aussi comme celui à la jouissance, en toute tranquillité, dudit espace. Des atteintes du droit au respect du domicile ne visent pas seulement les atteintes matérielles ou corporelles, telles que l'entrée dans le domicile d'une personne non autorisée, mais aussi les atteintes immatérielles ou incorporelles, telles que les bruits, les émissions, les odeurs et autres ingérences. Si les atteintes sont graves, elles peuvent priver une personne de son droit au respect du domicile parce qu'elles l'empêchent de jouir de son domicile (Moreno Gómez c. Espagne, no 4143/02, § 53, CEDH 2004-X, Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 96, CEDH 2003-VIII).

En l'espèce, la requérante demeure au sein du périmètre déterminant pour la recevabilité des recours devant les autorités compétentes. En même temps, elle a été considérée, par le Tribunal fédéral, comme une personne sensible à des émissions dues au phénomène de l'électrosmog.

Dès lors, l'incidence directe provenant du projet de construction prévu et les craintes y liées portant sur l'augmentation des émissions prétendument nocives sur le droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale permettent de conclure à l'applicabilité de l'article 8 (voir, mutatis mutandis, Ruano Morcuende c. Espagne (déc.), no 75287/01, Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 57).

2. Observation de l'article 8

La Cour a déclaré à maintes reprises que, dans des affaires soulevant des questions liées à l'environnement, l'Etat devait jouir d'une marge d'appréciation étendue (Hatton et autres, précité, § 100).

En l'espèce, le projet d'aménagement de l'antenne litigieuse provient de deux entreprises privées (TDC Switzerland AG et Orange Communications SA). A ce sujet, il convient de rappeler que si l'article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il peut aussi impliquer l'adoption par ceux-ci de mesures visant au respect des droits garantis par cet article jusque dans les relations des individus entre eux (voir parmi d'autres, Stubbings et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, pp.1505, § 62 ; Surugiu c. Roumanie, no 48995/99, § 59, 20 avril 2004).
Que l'on aborde l'affaire sous l'angle d'une obligation positive, à la charge de l'Etat, d'adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits que les requérants invoquent en vertu du paragraphe 1 de l'article 8, ou sous celui d'une ingérence d'une autorité publique à justifier sous l'angle du paragraphe 2, les principes applicables sont assez voisins. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble. En d'autres termes, il suffit de rechercher si les autorités nationales ont pris les mesures nécessaires pour assurer la protection effective du droit des intéressées au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 (López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-C, § 55 ; Hatton et autres, précité, § 98).
En l'occurrence, l'office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage avait publié, en 2003, une étude scientifique sur le sujet des effets des téléphones mobiles sur l'environnement et la santé des individus. Celle-ci démontra qu'il n'existait pas de recherche scientifique sur les effets provenant directement des antennes pour la téléphonie mobile sur les personnes séjournant à proximité. Ainsi, la question de la nocivité de celles-ci était toujours ouverte et jusqu'à présent, aucune conclusion ne pouvait être tirée concernant l'existence ou l'absence des risques pour la santé.

De surcroît, le Tribunal fédéral rappela que l'office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage avait soumis à l'office de l'éducation et de la science un projet en vue d'un nouveau programme de recherche au sujet du « rayonnement non ionisant, environnement et santé ».
Ces démarches témoignaient, aux yeux de la Cour, des efforts entrepris par les autorités compétentes pour suivre le développement scientifique en la matière et pour réexaminer périodiquement les valeurs limites applicables.
Quant aux autorités compétentes, chargées de mettre en oeuvre la politique de la téléphonie mobile, elles ont dûment appliqué les dispositions pertinentes en la matière, tout en respectant les valeurs limites en vigueur. Compte tenu de l'état du débat scientifique actuel en la matière, elles n'ont pas dépassé leur marge d'appréciation conférée par la législation suisse.
Dans la mesure où la requérante se plaint du fait que les décisions des autorités suisses n'ont pas suffisamment pris en compte son statut de personne sensible à des émissions dues au phénomène de l'électrosmog, qui est susceptible de la placer dans une situation encore plus délicate que le reste de la population au cas où le projet d'antenne se réalisera, la Cour estime que cette allégation ne change rien à la conclusion selon laquelle la nocivité des antennes pour la santé de la population n'est, à l'heure actuelle, pas scientifiquement prouvée et, dès lors, qu'elle reste dans une large mesure spéculative. Il s'ensuit qu'on ne saurait, pour l'instant, imposer à la partie défenderesse l'obligation d'adopter des mesures plus amples en faveur des personnes tombant dans la catégories de personnes particulièrement vulnérables à ce sujet.

Dans ce contexte, la Cour rappelle également que la loi fédérale sur la protection de l'environnement prévoit, dans son article 13 § 2 (voir ci- dessus, sous la partie « Le droit interne pertinent »), que le Conseil fédéral, édictant par voie d'ordonnance des valeurs limites d'émissions applicables à l'évaluation des atteintes nuisibles ou incommodantes, doit tenir compte de l'effet des émissions sur des catégories de personnes particulièrement sensibles, telles que les enfants, les malades, les personnes âgées et les femmes enceintes. La Cour estime que cette base légale permettrait, si les antennes pour la téléphonie mobile s'avéraient un jour effectivement constituer un risque sérieux pour la santé de la population, de prendre les mesures adéquates afin de protéger plus spécifiquement les individus les plus vulnérables face au phénomène de l'électrosmog.
Compte tenu de ce qui précède, et eu égard en particulier à la marge d'appréciation étendue dont jouit l'Etat en la matière ainsi qu'à l'intérêt porté par la société moderne pour un réseau de téléphonie mobile intégral, on ne saurait considérer l'obligation de prendre de plus amples mesures pour protéger les droits de la requérante comme raisonnable ou adéquate au sens de la jurisprudence précitée.

Dès lors, la Cour conclut que le grief tiré de l'article 8 de la Convention doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

C. Grief tiré de l'article 2 de la Convention

Pour les mêmes raisons que celles invoquées sous l'article 8 de la Convention, la requérante se plaint d'une atteinte au droit à la vie au sens de l'article 2 de la Convention.

La Cour constate que le grief présenté par la requérante est, en substance, le même que celui soumis sous l'angle de l'article 8, examiné ci-dessus. Dès lors, elle estime qu'il ne s'impose pas de l'examiner séparément sous l'angle de la disposition invoquée.

D. Grief tiré de l'article 13 de la Convention

A supposer même que le grief tiré de l'article 13 soit suffisamment étayé devant la Cour, celle-ci rappelle que cette disposition s'applique uniquement pour les allégations que l'on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (voir Powell and Rayner c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1990, série A no172, p.14, § 31).

A la lumière des conclusions tirées sous l'examen de l'article 8 de la Convention, la Cour estime que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

E. Grief tiré de l'article 14 de la Convention

La Cour exprime des doutes concernant la question de savoir si le grief tiré de l'article 14 est étayé de manière suffisante devant la Cour.
De surcroît, il n'est pas certain que la requérante ait fait valoir ce grief, même en substance, devant les instances internes.

A supposer même que la requérante entende se plaindre du fait que les décisions des autorités suisses n'ont pas suffisamment pris en compte son statut de personne sensible à des émissions dues au phénomène de l'électrosmog, la Cour est convaincue qu'aucune question distincte de celle analysée sous l'angle de l'article 8 ne se pose dans ce contexte.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que le grief tiré de l'article 14 de la Convention doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

Michael O'BoyleNicolas Bratza GreffierPrésident
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[1]. La loi fédérale distingue entre, d'une part, les immissions, c.a.d. la teneur d'un polluant dans l'air au niveau du sol et des voies respiratoires et, d'autre part, les émissions mesurées en sortie de la source de pollution, par exemple de cheminée d'usine ou de pots d'échappement. Eu égard à la nature très technique des deux phénomènes, Il n'est pas apparu nécessaire, pour l'examen de la présente requête, de faire cette distinction et, pour des raisons de clarté, seul le terme d'émission a été employé.
Decision information   •   DEFRITEN
Document : 42756/02
Date : 17. Januar 2006
Published : 17. Januar 2006
Source : Entscheide EGMR (Schweiz)
Status : 42756/02
Subject area : (Art. 2) Right to life (Art. 6) Right to a fair trial (Art. 8) Right to respect for private and family
Subject : LUGINBUHL c. SUISSE


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