Europäischer Gerichtshof für Menschenrechte
Cour européenne des droits de l'homme
Corte europea dei diritti dell'uomo
European Court of Human Rights


QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 33275/96 présentée par José LAMBELET contre la Suisse
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant le 7 septembre 2000 en une chambre composée de

M.G. Ress, président, M.L. Wildhaber, M.I. Cabral Barreto, M.V. Butkevych, MmeN. Vajic, M.J. Hedigan, M.M. Pellonpää, juges,

et deM.V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l'Homme le 29 juillet 1996 et enregistrée le 1er octobre 1996,
Vu l'article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant suisse, né en 1925 et résidant à Austin, aux Etats-Unis.

A.Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant travailla au Congo belge (ex-Zaïre) de 1957 à 1960 et cotisa alors au régime colonial de sécurité sociale du Congo belge.
Les ressortissants suisses qui ont versé des cotisations au régime colonial de sécurité sociale du Congo belge reçoivent de la Belgique des rentes au niveau du 30 juin 1960, alors que les ressortissants belges notamment ont vu leurs rentes adaptées en fonction du coût de la vie. Cette différence de traitement repose sur la loi belge dite de garantie du 16 juin 1960, que le gouvernement belge a promulguée lors de l'accession du Congo belge à l'indépendance. Destinée à assurer la continuité du régime colonial de sécurité sociale, cette loi ne prévoit l'indexation des rentes au coût de la vie qu'en faveur des ressortissants belges et de ceux des pays ayant conclu un accord de réciprocité.

N'ayant pu conclure un tel accord, la Suisse a finalement décidé de remédier elle-même à cette situation en allouant une aide aux ressortissants suisses concernés. Ainsi, le 14 décembre 1990 a été adopté un « arrêté fédéral relatif aux revendications des Suisses du Congo belge et du Ruanda-Urundi en matière de sécurité sociale » (ci-après : arrêté fédéral).
L'article 1, alinéa 2, lettre a, de l'arrêté fédéral est ainsi libellé :
« Ont droit à cette aide les ressortissants suisses qui :

a. ont cotisé au moins trois ans aux régimes coloniaux de sécurité sociale du Congo belge et du Ruanda-Urundi ; »

Les 8 mars et 15 avril 1991, le requérant demanda à bénéficier de cette aide.
Constatant que cette condition n'était pas remplie par le requérant le Département fédéral des affaires étrangères (ci-après : Département fédéral), autorité d'exécution de l'arrêté fédéral, décida le 14 juin 1991 que le requérant n'avait pas droit à l'aide financière.

Par un courrier du 14 juillet 1991, le requérant demanda au Département fédéral de réviser sa décision qui, selon lui, se fondait sur des données erronées. Il présenta des éléments tendant à établir qu'il remplissait la condition posée par l'arrêté fédéral, et réclama que sa demande fût soumise à la Commission de recours en matière d'indemnités étrangères (ci-après : Commission de recours) prévue par l'article 6 de l'arrêté fédéral si le Département fédéral ne revenait pas sur sa décision négative.
Par une lettre du 30 juillet 1991, le Département fédéral précisa que sa lettre négative du 14 juin 1991 ne constituait pas une décision formelle. Il indiqua que même si le requérant ne satisfaisait pas la condition des trois ans de cotisation minimale, il serait décidé après liquidation des cas remplissant clairement les conditions, du sort des cas particuliers tel celui du requérant. Il invitait le requérant à la patience tout en lui précisant que s'il voulait à ce stade déjà une décision de la Commission de recours, il lui appartenait de le faire savoir au Département fédéral qui émettrait alors une décision négative formelle à déférer à ladite commission.
Le 14 août 1991, le requérant informa le Département qu'il renonçait à soumettre dans l'immédiat son cas à la Commission des recours et précisa des éléments factuels relatifs à son cas. Les 29 février et 8 avril 1992 il adressa au Département fédéral deux autres courriers de la même nature.
Le 10 avril 1994, il adressa un courrier au chef du Département fédéral des affaires étrangères où il exposait sa demande et concluait que s'il ne devait pas être tranché en sa faveur, il souhaitait utiliser la possibilité de recours.

Le 20 juillet 1994 il forma un recours auprès de Commission de recours tendant à l'annulation de la décision formelle de rejet du Département fédéral datée du 20 juin 1994. Il compléta ce recours par l'envoi de documents le 2 août 1994. Le 5 septembre 1994, le Département fédéral déposa ses écritures en réponse.

Par un courrier du 22 septembre 1994 la Commission de recours informa le requérant de la composition de ladite commission, (à savoir les juges au tribunal cantonal vaudois, F., avocate et notaire à Zurich, L., avocate à Fribourg, S., avocate à Berne, et C., avocat et notaire à Lugano) et de sa faculté de demander la récusation d'un juge. Elle lui communiqua la réponse du Département fédéral à son recours et l'avertit que l'échange d'écriture était clos.

Le 1er octobre 1994, le requérant demanda la récusation du président de la Commission de recours au motif que celui-ci avait « évité dans le passé de tenir les réunions de la Commission de recours en public » et demanda que, conformément à l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, « la session soit publique et qu' [il] puisse y être équitablement entendu ou légalement représenté ». Il demanda également que les écritures en réponse du Département fédéral lui soient soumises en français, ce qui fut fait le 18 novembre 1994.

Le 23 juin 1995, par une lettre recommandée avec accusé de réception, le requérant se plaignit du temps que nécessitait le traitement de sa requête, informant la Commission de recours que la lettre constituait « une plainte contre [son] inaction ».

Par une décision du 3 juillet 1995, la Commission de recours rejeta, dans une composition de trois juges, la demande de récusation au motif que « rien qui puisse motiver une partialité ou un défaut d'indépendance du juge récusé dans cette affaire n'a été invoqué » et que le requérant n'était pas fondé à invoquer le fait que des débats publics n'auraient pas eu lieu dans d'autres affaires que la sienne.

La Commission de recours informa le requérant le 6 juillet 1995 qu'elle rendrait sa décision publiquement à moins que les parties ne renoncent à de tels débats. Un délai au 28 juillet 1995 lui fut imparti pour faire savoir s'il renonçait à des débats publics.

Par une décision motivée adoptée le 2 décembre 1995, la Commission rejeta le recours, après avoir tenu une audience où le requérant déposa diverses pièces et fit entendre un témoin. Cette décision fut notifiée au domicile du requérant à Austin par le consul général de Suisse à Houston (Etats-Unis) le 2 février 1996.

B.Le droit interne pertinent

La Commission de recours a été instituée par l'ordonnance sur les demandes d'indemnisation envers l'étranger du 1er décembre 1980 (RS 981.1), dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

Article 13 al.1 et 2

« 1. Le Conseil fédéral institue la commission de recours pour une durée de quatre ans et en désigne le président. La commission de recours élit un vice- président.

2. La commission de recours se compose de quatre membres au minimum et de neuf au maximum. Le Conseil fédéral en fixe le nombre pour chaque période administrative en fonction de l'importance des accords à exécuter. (...) »
Article 15

« La commission de recours dispose d'un secrétariat indépendant de l'administration. Le président demande au département d'engager ou de rétribuer le personnel. »

GRIEFS

Invoquant l'article 6 de la Convention, le requérant se plaint de ce que sa cause n'a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial au motif que la Commission de recours se contentait d'entériner les décisions du Département fédéral et dépendait de ce Département pour sa logistique, plus particulièrement pour la correspondance et l'archivage de ses dossiers après décision.

Il se plaint également d'un manque d'équité de la procédure car il y aurait inégalité des armes dans la mesure où le Département fédéral aurait en mains les dossiers complets de recours alors qu'il est lui-même partie à la procédure et que ces documents devraient être accessibles aux deux parties.
Le requérant se plaint enfin, sans autre précisions, de la durée de la procédure d'examen de sa requête initiale, de 1991 à 1994 et de la procédure de recours.

EN DROIT

1.Le requérant estime que sa cause n'a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial, expliquant que la Commission de recours se contentait d'entériner les décisions du Département fédéral et dépendait du Département fédéral pour sa logistique. Le requérant dénonce diverses violations de l'article 6 de la Convention, qui dispose en ses passages pertinents :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ;

(...) »

La Cour rappelle que selon les principes dégagés par sa jurisprudence elle doit rechercher en premier lieu s'il y avait une « contestation » sur un « droit » que l'on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. Il doit s'agir d'une contestation réelle et sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l'existence même d'un droit que son étendue ou ses modalités d'exercice ; enfin, l'issue de la procédure doit être directement déterminante pour un tel droit (Cour européenne D.H., arrêt Acquaviva c. France du 21 novembre 1995, série A no 333, p. 14, § 46).
La Cour note à cet égard que l'article 6 de la Convention ne vise pas à créer de nouveaux droits substantiels dépourvus de fondement légal dans l'Etat considéré mais à fournir une protection procédurale aux droits reconnus en droit interne (Commission eur. D.H., décision no 20907/92 du 2 mars 1994, D.R. 76, p. 113). L'article 6 § 1 régit uniquement les « contestations » relatives à des « droits et obligations » - de caractère civil - que l'on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne ; il n'assure par lui- même aux « droits et obligations » (de caractère civil) aucun contenu matériel déterminé dans l'ordre juridique des Etats contractants (Cour eur. D.H., arrêt W. c Royaume Uni du 8 juillet 1987, série A no121, pp. 32-33, § 73). Il importe peu, toutefois, qu'une espérance ou un avantage déterminé soit considéré par le système juridique interne comme un « droit », vu que le terme « droit » doit recevoir une interprétation autonome conformément à l'article 6 de la Convention (Cour eur. D.H., arrêt König c. Allemagne du 28 juin 1986, série A no 27, p. 29, § 87).

La Cour n'estime pas nécessaire de se prononcer sur le point de savoir si en l'espèce il y a bien une contestation sur un « droit » de caractère civil au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. En effet, à supposer même que le requérant puisse prétendre, de manière défendable, avoir droit à une aide financière selon le droit suisse, la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement selon l'article 35 § 3 de la Convention pour les motifs exposés ci-dessous.

S'agissant de l'indépendance de la Commission de recours en matière d'indemnités étrangères, la Cour rappelle que « pour établir si un organe peut passer pour 'indépendant', il échet de prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l'existence d'une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s'il y a ou non apparence d'indépendance » (voir par ex. Cour eur. D.H., arrêts Langborger c. Suède du 22 juin 1989, série A no 155, p. 16, § 32, et Sramek c. Suisse du 22 octobre 1984, série A no 84, pp. 18 20, § 38-42).
A cet égard, la Cour relève que la Commission européenne des Droits de l'Homme a déjà constaté à l'occasion de l'examen de la requête no 16744/90, Max Studer et autres c. Suisse, que la Commission de recours pouvait être tenue pour un tribunal indépendant du fait de la durée du mandat de ses membres (quatre ans), de son indépendance par rapport à l'administration fédérale et de l'indépendance de son secrétariat (Commission eur. D.H., rapport no 16744/90 du 24 février 1995, §§ 48-53).

La Cour n'aperçoit pas, à la lumière des explications du requérant, de raison de s'écarter de cette conclusion.

S'agissant par ailleurs de l'impartialité de la Commission de recours, la Cour rappelle que l'impartialité doit s'apprécier à la fois selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion, et selon une démarche objective tendant à s'assurer qu'il y avait en l'espèce des garanties suffisantes pour que soit exclu à cet égard tout doute légitime (Cour eur. D.H. arrêt Thomann c. Suisse du 10 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, no11, p. 815, § 30).
En l'espèce, la Cour estime que le requérant n'apporte aucun élément sérieux qui pourrait faire douter de l'impartialité de la Commission de recours ou de l'un de ses membres en particulier, qui a connu de son affaire, selon les critères susmentionnés.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.Le requérant se plaint également d'un manque d'équité de la procédure. Il y aurait inégalité des armes dans la mesure où le Département fédéral aurait en mains les dossiers complets de recours alors qu'il est lui-même partie à la procédure et que ces documents devraient être accessibles aux deux parties.
La Cour rappelle qu'elle a pour tâche de rechercher si la procédure envisagée dans son ensemble a revêtu un caractère « équitable » au sens de l'article 6 § 1. Elle rappelle à ce titre que l'exigence de « l'égalité des armes », c'est- à-dire d'un « juste équilibre » entre les parties, vaut aussi dans les litiges opposant des intérêts privés : « l'égalité des armes » implique alors l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause - y compris ses preuves - dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (Cour eur. D.H., arrêt Ankerl c. Suisse du 23 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, no19, p.1565, § 38).
En l'espèce la Cour ne relève aucun élément permettant de conclure que la procédure n'aurait pas revêtu un caractère équitable. Elle note au contraire que le requérant a pu faire valoir ses arguments à de nombreuses reprises, qu'il a eu connaissance de la réponse qui lui a été donnée par le Département fédéral avant que la Commission de recours ne statue, et qu'il a pu consulter tous les documents disponibles et demandés.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3.Enfin le requérant se plaint de la durée de la procédure d'examen de sa demande à bénéficier de l'aide prévue par l'arrêté fédéral du 14 décembre 1990.

Se pose la question de savoir si l'article 6 de la Convention trouve à s'appliquer à la procédure d'examen par le Département fédéral de la demande de révision du 14 juillet 1991. La Cour n'estime cependant pas nécessaire de répondre à cette question, le grief de longueur excessive de la procédure dirigée contre cette procédure étant manifestement mal fondé. Dès le 30 juillet 1991, le Département fédéral a en effet signalé au requérant que s'il voulait saisir la Commission de recours, il lui appartenait de le lui faire savoir. Dans pareille hypothèse, il émettrait alors une décision négative formelle à déférer à la Commission de recours. Le requérant a renoncé à faire usage de cette faculté et en a informé le Département fédéral par des lettres des 14 août 1991, 28 février 1992 et 8 avril 1992. Ce n'est qu'en date du 10 avril 1994 qu'il demanda qu'une décision formelle soit prise, ce qui fut fait le 20 juin 1994.
La Cour constate par ailleurs que la Commission de recours, saisie le 20 juillet 1994 par le requérant, a rejeté le recours par une décision adoptée le 2 décembre 1995. Pareil laps de temps ne saurait être qualifié d'excessif, dans la mesure où la commission avait également été saisie, le 1er octobre 1994, d'une demande de récusation dirigée contre son président et où le requérant n'a pas fait état de périodes d'inertie de la Commission de recours.

Il s'ensuit que cette partie de la requête doit aussi être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

Vincent BergerGeorg Ress GreffierPrésident
Informazioni decisione   •   DEFRITEN
Documento : 33275/96
Data : 07. settembre 2000
Pubblicato : 07. settembre 2000
Sorgente : Decisioni CorteEDU (Svizzera)
Stato : 33275/96
Ramo giuridico : (Art. 6) Droit à un procès équitable (Art. 6-1) Droits et obligations de caractère civil (Art. 6-1) Tribunal
Oggetto : LAMBELET contre la SUISSE


Registro di legislazione
D: 6
Parole chiave
Elenca secondo la frequenza o in ordine alfabetico
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