Bundesstrafgericht Tribunal pénal fédéral Tribunale penale federale Tribunal penal federal

Numéros de dossiers: BB.2018.126-127

Décision du 2 juillet 2018 Cour des plaintes

Composition

Les juges pénaux fédéraux Giorgio Bomio-Giovanascini, président, Roy Garré et Patrick Robert-Nicoud, la greffière Claude-Fabienne Husson Albertoni

Parties

1. A., 2. B. SA, représentés tous deux par Me Jean-Marc Carnicé et Matthias Bourqui, avocats, recourants

contre

1. Ministère public de la Confédération, 2. République de Tunisie, intimés

Objet

Consultation des dossiers (art. 101 s . en lien avec l'art. 107 al. 1 let. a CPP); méthodes d'administration des preuves interdites (art. 140 ss . CPP)

Faits:

A. Le Ministère public de la Confédération (ci-après: MPC) diligente une enquête depuis le 24 février 2011 contre A. pour blanchiment d’argent, participation à une organisation criminelle et corruption d’agents publics étrangers. Dans ce contexte, plusieurs compte de A. sont séquestrés.

Dans le cadre de son instruction, le MPC a adressé plusieurs commissions rogatoires aux autorités tunisiennes visant notamment à accéder aux procédures menées en Tunisie. Le 24 juin 2013, le MPC a ainsi sollicité entre autres « les éventuels procès-verbaux des auditions effectuées en Tunisie ayant trait à A. […] et toute autre personne prévenue dans le cadre de la procédure pénale suisse » (act. 1.5). Ce sont ainsi 127 pièces qui lui ont été remises le 27 février 2014 et versées le même jour à la procédure suisse (act. 1.7). Le MPC les a fait traduire petit à petit.

En mai 2018, le MPC s’est rendu compte que certains procès-verbaux devaient être à nouveau traduits. Il a ainsi invité les prévenus à se déterminer sur l’identité du traducteur qui serait chargé de retraduire les pièces apparemment viciées (act. 1.11).

Le 30 mai 2018, A. a cependant indiqué au MPC qu’indépendamment de la question du traducteur, il contestait la validité même des procès-verbaux reçus par voie d’entraide et demandait dès lors qu’ils soient déclarés inexploitables et écartés de la procédure suisse (act. 1.13).

B. Le 14 juin 2018, le MPC a refusé cette requête. Il estimait que les procès-verbaux en question, respectivement les auditions, avaient été réalisés conformément au droit tunisien dans le cadre de procédures conduites en Tunisie par les autorités compétentes (act. 1.1).

C. Le 25 juin 2018, A. et B. SA défèrent ce prononcé devant la Cour des plaintes dans un acte commun. Ils concluent principalement à l’annulation de la décision et subsidiairement à ce que la cause soit renvoyée au MPC pour nouvelle décision sous suite de frais et dépens. Ils invoquent une violation de leur droit être entendu ainsi qu’une violation des dispositions relatives aux moyens de preuves (act. 1).

D. Il n’a pas été procédé à un échange d’écriture.

Les arguments et moyens de preuve invoqués par les parties seront repris, si nécessaire, dans les considérants en droit.

La Cour considère en droit:

1.

1.1 En tant qu'autorité de recours, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral examine avec plein pouvoir de cognition en fait et en droit les recours qui lui sont soumis (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1296 in fine; Guidon, Commentaire bâlois, Schweizerische Strafprozessordnung, 2e éd. 2014, no 15 ad art. 393; Schmid, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 3e éd. 2017, no 1512).

1.2 Les décisions du MPC peuvent faire l'objet d'un recours devant la Cour de céans (art. 393 al. 1 let. a du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 [CPP; RS 312.0] et 37 al. 1 de la loi fédérale du 19 mars 2010 sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération [LOAP; RS 173.71]). À teneur de l'art. 393 al. 2 CPP, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, le déni de justice et le retard injustifié (let. a), la constatation incomplète ou erronée des faits (let. b) ou l’inopportunité (let. c).

1.3 Dispose de la qualité pour recourir toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision (art. 382 al. 1 CPP). Le recourant doit avoir subi une lésion, soit un préjudice causé par l'acte qu'il attaque et doit avoir un intérêt à l'élimination de ce préjudice. En règle générale, le recours est ouvert contre les décisions du Ministère public admettant l'utilisation de preuves interdites (art. 140 CPP) ou refusant de retirer du dossier des moyens de preuve non exploitables (art. 141 al. 5 CPP; décision du Tribunal pénal fédéral BB.2015.91 du 12 janvier 2015 consid. 1.1; Guidon, Die Beschwerde gemäss schweizerischer Strafprozessordnung, 2011, n° 100). En l'espèce, le recourant est prévenu dans la procédure pénale objet du présent recours; B. SA, tiers saisi, a pour sa part la qualité de partie. Ils demandent que soient retirés du dossier des procès-verbaux qu’ils considèrent être des moyens de preuve illicites qui pourraient être utilisés à leur encontre. A ce titre, ils ont qualité pour recourir. Le recours a par ailleurs été interjeté dans les formes et le délai légal (art. 396 al. 1 CPP); il y a donc lieu d'entrer en matière.

2. Les recourants considèrent que les procès-verbaux litigieux doivent être tenus pour inexploitables au motif qu’ils ont été établis lors d’auditions qui ne respectent en aucune façon les principes généraux du CPP, en particulier ceux relatifs aux règles fondamentales en matière de droit de participer à l’administration des preuves.

2.1 La Cour de céans a cependant déjà été amenée à statuer sur la question de savoir si et dans quelle mesure l’inexploitabilité des preuves et le retrait de celles-ci du dossier doivent déjà être décidés au stade du recours. Elle a en particulier retenu que l'art. 141 al. 5 CPP qui prescrit le retrait du dossier de moyens de preuve non exploitables ne trouve application, au stade de l'enquête, que lorsque la loi prévoit expressément la restitution ou la destruction immédiate des preuves illicites (art. 248 , 271 al. 3 , 277 et 289 al. 6 CPP). Dans le cas contraire, la légalité du moyen de preuve peut et doit être laissée à l'appréciation du juge de fond (arrêts du Tribunal fédéral 1B_363/2013 du 12 mai 2015 consid. 2.2 et 2.3; 1B.635/2012 du 27 novembre 2012 consid. 3; décision du Tribunal pénal fédéral BB.2015.46 du 8 décembre 2015 consid. 2.2).

2.2 En l’occurrence, les procès-verbaux querellés, obtenus régulièrement dans le cadre de l’entraide, ont certes été établis en Tunisie sans que le défenseur tunisien du recourant – lequel était absent – n’ait pu exprimer son point de vue ou présenter des moyens de preuve, mais ils l’ont été en conformité avec le droit tunisien. Aussi, ces procès-verbaux doivent-ils en l’état être maintenus au dossier et la question de leur exploitabilité laissée à l’appréciation du juge du fond, respectivement de l’autorité qui rendra la décision finale.

3. Par conséquent, le recours d’emblée mal fondé est rejeté. Compte tenu de cette issue, il n’a pas été mené d’échange d’écriture (art. 390 al. 2 CPP a contrario). Par ailleurs, l’argument relatif à la violation du droit d’être entendus des recourants est devenu sans objet.

4. En tant que partie qui succombe, les recourants se voient mettre à charge solidaire les frais de la cause (art. 428 al. 1 CPP). Ceux-ci sont fixés à CHF 800.--, en application des art. 5 et 8 al. 1 du règlement du Tribunal pénal fédéral du 31 août 2010 sur les frais, émoluments, dépens et indemnités de la procédure pénale fédérale (RS 173.713.162).

Par ces motifs, la Cour des plaintes prononce:

1. Le recours est rejeté.

2. Un émolument de CHF 800.-- est mis à la charge solidaire des recourants.

Bellinzone, le 3 juillet 2018

Au nom de la Cour des plaintes

du Tribunal pénal fédéral

Le président: La greffière:

Distribution

- Me Jean-Marc Carnicé et Me Matthias Bourqui

- Ministère public de la Confédération

- Ambassade de Tunisie

Indication des voies de recours

Il n’existe pas de voie de recours ordinaire contre la présente décision.
Information de décision   •   DEFRITEN
Document : BB.2018.126
Date : 02. Juli 2018
Publié : 13. August 2018
Source : Bundesstrafgericht
Statut : Unpubliziert
Domaine : Beschwerdekammer: Strafverfahren
Objet : Consultation des dossiers (art. 101 s. en lien avec l'art. 107 al. 1 let. a CPP). Méthodes d'administration des preuves interdites (art. 140 ss. CPP).


Répertoire des lois
CPP: 101  107  140  141  248  271  277  289  382  390  393  396  428
Weitere Urteile ab 2000
1B.635/2012 • 1B_363/2013
Répertoire de mots-clés
Trié par fréquence ou alphabet
procès-verbal • tribunal pénal fédéral • moyen de preuve • tunisie • cour des plaintes • procédure pénale • violation du droit • code de procédure pénale suisse • qualité pour recourir • administration des preuves • décision • tribunal pénal • calcul • pouvoir d'appréciation • loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la confédération • intérêt juridique • nullité • séquestre • titre • partie à la procédure • examinateur • diligence • destruction • juge du fond • preuve illicite • vue • blanchiment d'argent • autorité de recours • organisation criminelle • tribunal fédéral • unification du droit • délai légal • retard injustifié • décision finale
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